| Americana, Country |
En décembre 2021, nous découvrions une paire de songwriters top notch, avec le “Delta Man” de Bobby Allison et Gerry Spehar (chroniqué ICI). Il se trouve que ce dernier s’avère sans doute le plus prolifique des deux, puisqu’il propose à présent un double CD regroupant certaines des versions les plus marquantes (à ses yeux) d’une vingtaine de ses propres compositions, interprétées par des artistes tels que Gary L. Floyd, Teresa James, Lisa Daye, Dale Watson et Lisa McKenzie. Captées sur quatre décennies (et réparties sur un double CD), elles restituent le vaste panel de styles et d’inspirations auxquels s’est adonné ce mélodiste roué et fin parolier sa vie durant. Il ne pouvait manquer d’y apposer sa propre touche, en en enregistrant cinq lui-même pour l’occasion. Ainsi de son pétrifiant “God Bless The Tomcat” d’ouverture, porté par son timbre poignant, son picking délicat (autant réminiscent du bluegrass que de Mississippi John Hurt), avant de céder le pas à la perle de Houston, Teresa James en personne (“Grandpa’s Daisies”) et à Gary L. Floyd (“Do Watcha Used To Do”). Ainsi que l’énonce fièrement “Rockin’ On A Country Dance Floor” (déjà présent sur “Delta Man”, et décliné ici selon deux versions alternatives, par Miss James et Mr Floyd), on campe certes ici en territoire country (pedal et lap-steel à l’appui), mais sans en accentuer pour autant le côté plouc, comme en attestent ces “Pull On Your Boots”, “Out Of Business Blues” et les magistraux “Georgetown” et “Normandy” (au niveau du Springsteen de “Nebraska” et “The Ghost Of Tom Joad”) dont Gerry se réserve aussi la performance, ou encore “The Last Person” qu’il co-signe avec Mike Becker. Toujours ancrés dans la réalité sociale de la working class dont il n’a jamais renié les valeurs, les lyrics de Spehar s’adressent au cœur de son auditoire, qu’il s’agisse de son Colorado natal ou de celui des roadhouses pour routiers et blue collars, avec lesquels converse également le vétéran de la scène honky-tonk californienne Dale Watson (lui aussi auteur-compositeur). Sa seule contribution à cette collection (le “Joanne” de Gerry) met en valeur sa diction de baryton sur un arrangement enlevé. Si quelques ballades (tels les duos “Both Ends Of The Rainbow”, “Angel” et “The Longer I Love You”, ou encore “What He Said”) n’échappent pas toujours au penchant sirupeux dont Céline Dion fit son fonds de commerce, cette collection n’en reste pas moins digne d’intérêt, grâce à des country tunes énergiques comme “Love To The Rescue”, “Lovin’ Proof”, “The Problem With Love” et l’adaptation par Teresa James de l’irrésistible “Train Train Train” co-signé par Spehar et Bobby Allison (et dont celle de ses auteurs figurait également sur “Delta Man”). Bref, si vous doutiez encore que la country music pût se révéler intelligente sans se départir pour autant de ses poncifs (la complexité des relations amoureuses, la solitude, le comptoir, le rodéo et les grands espaces…), nous vous recommandons de tendre l’oreille vers ce Gerry Spehar, qui place en exergue de ce recueil une citation du “Bird On A Wire” de feu Leonard Cohen, et dédie cette anthologie à son ami Paul Lacques, leader de I See Hawks In L.A. et membre de Old Californio, disparu en janvier dernier.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, June 13th 2024
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