Country |
Je sais bien qu’on ne peut juger un bouquin en se fiant à sa couverture (Willie Dixon, blues philosopher, 1915-1992), mais après la lecture du papier roboratif que consacre ce mois-ci dans Rock & Folk Thomas E. Florin au country revival, on est tout de même en droit de se livrer à une inspection sémiologique du packaging de cet album. Commençons donc par sa cover. Front page, sous le Stetson de rigueur, nous fixe sans détour la bouille joufflue et barbichue d’un trentenaire dont le t-shirt noir immaculé exhibe deux biscottos généreusement tatoués. Il est dûment accoudé au comptoir, bras croisés, devant une canette de bibine décapsulée et un paquet de cibiches, sur lequel est posé un briquet des plus ordinaires. En arrière-plan flouté (profondeur de champ oblige) trône un étalage de boots achevant de planter le contexte. Au dos, le contre-champ de cette scène typique dévoile, face à cet aimable escogriffe, une serveuse au chemisier modestement échancré, dans une posture similaire mais détournant ostensiblement le regard. Un peu dans l’esprit du lay-out du “Morrison Hotel” des Doors, la jaquette intérieure présente notre barbu tirant sur sa clope à l’extérieur du même rade, dont les inscriptions indiquent que “Robert’s Western World collabore avec la police de Nashville pour la prévention du crime”, et deux enseignes en arrière-plan (“Layla’s” et “Second Fiddle”) laissent entrevoir un panonceau mentionnant “Honky-Tonk”. Voilà pour la carte postale, intéressons-nous à présent au contenu, en passant d’abord en revue les titres des chansons: “Country & Western”, “Encore Fauché”, “Vieux Blues Du Cœur Brisé”, “Trouvé Dans Un Bar”, “Je Me Demande Si Tu Te Demandes”, “Enterrez-Moi Avec Mes Bottes Aux Pieds”… Bref, pas de doute possible, on semble bien patauger en plein territoire redneck, à un petit détail près… Sur sa photo en pied, justement, le ci-devant Joshua n’arbore toutefois pas la réglementaire paire de Santiags, mais des pseudo-Converse d’un blanc flambant. C’est peut-être un détail pour vous, mais il est suffisamment évocateur pour interpeller l’inspecteur Columbo qui sommeille en tout chroniqueur zélé qui se respecte. Push play, et “Broke Again” débite sur un tempo enlevé les tracas pécuniaires du lonesome country singer. On a juste le temps de repérer un violon électrifié dans le paysage, que le manifeste “Country & Western” assène “I’m a singing professor of country & western” sur fond de pedal-steel, de crin-crin et de honky-tonk piano. On imagine sans peine les levées de toasts dans les saloons, tandis que “Old Heartbroke Blues” convoque les ombres tutélaires de Merle Haggard, Waylon Jennings et Johnny Paycheck, tout en dévidant l’usuelle martingale de clichés (“I got a bottle of Jack and an old guitar/ And a memory on my mind” et ” I can’t help but think I was born to lose”). Mais dès “The Last Thing In The World” (“If I had a dime for every broken heart that’s been in here/ I could buy this bar and everyone a round of beers”, “There’s a reason why old boys like me love them neon signs”), on pige que le gusse ne fait pas semblant. Aparté: né à Naples (non pas dans golfe rital de Campanie, mais en Floride), le jeune Joshua tanna ses parents dès son plus jeune âge afin qu’ils lui achètent un violon. Ces derniers y consentirent pour son huitième anniversaire, et le gamin n’avait pas vingt ans qu’il tapait déjà l’incruste en tant que sideman dans le Lower Broad district de Nashville. Repéré par des pointures telles que Margo Price, on commença à le remarquer aussi auprès d’artistes tels que Justin Townes Earle, Jonny Fritz et Willie Watson, Programmé dès lors chaque lundi soir au Robert’s Western World (au zinc duquel il trône sur cette pochette), il enregistra en 2018 son premier album, “Mr. Jukebox”, suivi quatre ans plus tard de ce “Neon Blue” dont nous n’allons pas reprendre la chronique sans vous avoir livré l’une des clés du personnage: alors que la vie nocturne dans les antres de libation constitue son gagne-pain, Hedley n’en est pas moins un alcoolique réformé. Il prétend même que c’est le sevrage qui lui a donné l’inspiration d’écrire ses propres chansons, et on le croit volontiers, tant leur dimension autobiographique transpire à chaque couplet. Son propre band, les Hedliners, ne comprend que de fines lames, et la three-steps “Down To My Last Lie” en témoigne à loisir: qu’il s’agisse du pianiste Billy Nobel (!), des guitaristes Tim Galloway et James Mitchell, de la violoniste et mandoliniste Jenee Fleenor ou du pedal-steeler Scotty Sanders, chacun d’entre eux a manifestement biberonné son sujet de haute lignée. Hormis le lénifiant MOR “Free (One Heart)”, cet album regorge d’ace tracks, ainsi de la plage titulaire et “Wonder If You Wonder” (boutant le country-boogie façon Asleep At The Wheel), de saddle-tunes comme le choral “Bury Me With My Boots On”, ou des valses lentes “Let’s Make A Memory” et “River In The Rain” (à faire chialer au générique de “La Route de Madison”). Bref, ausculté, disséqué et approuvé: bon pour le service… À quand la suite?
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, August 11th 2024
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