Bobby ALLISON and Gerry SPEHAR – Delta Man

Autoproduction
Americana
Bobby ALLISON and Gerry SPEHAR - Delta Man

Il y a encore cinq ans à peine, je me serais acquitté de cette chronique avec un haussement d’épaule et un bâillement, et en un clin d’œil, la cause aurait été entendue. Songez donc: on parle ici de deux khroumirs qui se piquent de célébrer leurs quarante piges et quelque de complicité en enregistrant un “best of” de leurs compositions à quatre mains (et pour couronner le tout, ces has-beens versent dans la country)… Ils ont beau afficher en couverture leurs tronches de cakes au temps de leur splendeur, on semble en effet y friser davantage le marketing néo-chrétien (mâtiné de rednecks bon teint) que quelque courant outlaw fumeur de weed. Sauf que ces deux loustics s’avèrent, à l’écoute, une sorte d’équivalent de Leiber & Stoller dans leur registre: des songwriters capables d’émouvoir le quidam lambda en lui parlant de la dépression de sa femme (“Baby’s Got The Blues”), ou encore de sa propre repentance tardive face à sa décrépitude imminente (“Bite The Bullet”), voire de son désarroi quand sa fille de 22 printemps s’expose dangereusement aux appétits de marlous sans foi ni loi pour des speed-fucks sur les parkings de boîtes à ploucs (ce “Kinda Like Love” dont Molly Hatchet fit son beurre à son heure). Et des ragtime tunes comme “Just Relax” (avec des flon-flons comme Ray Davies sut en assumer voici un demi-siècle) tutoient le charme suranné des “Look A Little On The Sunny Side” et “Mama Told Me Not To Come” de nos Kinks et Randy Newman chéris, tandis que le tex-mex “Money” (façon Calexico) cite Dan Cooper (le pirate de l’air qui s’évanouit en parachute avec 250.000 dollars de rançon jamais retrouvés), comme aurait pu le faire une autre paire de persifleurs, Donald Fagen et Walter Becker. Mince, et si ces deux vrais-faux blue collars s’avéraient en définitive d’authentiques satiristes contemporains? La plage titulaire et “Train Train Train” évoquent ce que la rencontre entre J.J. Cale et Buddy Holly aurait pu donner au paradis (si ça se trouve, ils les y ont enregistrées), tandis que “Rockin’ On A Country Dance” (avec son break citant brièvement “Day Tripper”) et “Bubba Billy Boom Boom” en font autant avec Commander Cody, le Ray Benson d’Asleep At The Wheel et les Jordanaires. Les country-bluesy “Eye Of The Needle” et “River” rappellent le Neil Young de “On The Beach”, pendant que “25 Eyes To Brady” en fait autant pour le regretté Tony Joe White. Ne vous laissez pas embobiner par le pitch tentant de vous fourguer que l’un de ces deux birbes déambule en fauteuil roulant depuis un accident de la route, tandis que l’autre dut reprendre un job sérieux pour élever sa famille (bon Dieu, on connaît tous des cas de ce genre, non?). Tout ce qui compte pour les gens comme nous, ce sont la musique et les chansons, et ces deux lascars se démontrent orfèvres en la matière. Décidément plus proches de Jimmy Tittle (“Balmorhea”, “Here In The Pass”) que de Randy Travis, Bobby Allison et Gerry Spehar dévoilent ici d’authentiques pépites de songwriting, auxquelles contribue en outre la génération suivante de I See Hawks In L.A.. Imaginez les Eagles avec un cœur et un cerveau (c’est compliqué, mais essayez tout de même), c’est aussi bon que ça!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, December 16th 2021

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Site web de Gerry SPEHAR ICI