Eddy Mitchell et Les Chaussettes Noires – Intégrale 1961-1962

Frémeaux & Associés / Socadisc
Rock 'n roll
Eddy Mitchell et Les Chaussettes Noires - Intégrale 1961-1962

Pardonne, mais n’oublie jamais… Ce persifleur de John Lennon enfonça un jour les premiers clous dans le cercueil du rock frenchy, avec son imparable sentence: “le rock français, c’est un peu comme le vin anglais… Pas terrible, et un peu contre nature, non?”. C’était sans compter sur l’édition posthume du “Live At The Star Club” et des “Decca Tapes”, qui révélèrent ensuite des Beatles débutants à peine plus compétents que leurs contemporains rockers de ce côté-ci du Channel. En effet, comme le démontre cette anthologie généreusement remastérisée, les guitaristes William Benaïm et Tony d’Arpa n’avaient alors guère à envier au post-ado George Harrison, dans un registre similaire d’adaptations importées d’outre-Atlantique. Certes, le show-biz français ne surpassait pas en probité celui de ses équivalents margoulins rosbifs d’alors, et le semi-professionnalisme revendiqué en studio ne reflétait pas les approximations des galas de province. Faut-il rappeler que les Kinks, Troggs et autres Rolling Stones essuyaient encore trois ans plus tard (soit une éternité) les plâtres d’un circuit de concerts encore balbutiant? Comme lors de chaque révolution (remember punk?), l’enthousiasme primait donc alors sur la technicité (à l’inverse de maints avatars des décennies subséquentes). Les Chacals de Béthune et Au Bonheur Des Dames eurent beau tenter de faire basculer définitivement ces prémices d’un certain rock français vers la case kitsch (quitte à y parvenir), on assiste ici à la vulgarisation d’un répertoire radicalement exotique, au regard d’une variété française qui s’y montrait alors largement réfractaire. Dès Les Cinq Rocks (nom initial de la formation, avant son contrat avec les Chaussettes Stemm, via Barclay), la bande à Schmoll enregistrait en 1960 trois adaptations du répertoire de Gene Vincent (“Be Bop A Lula”, “Wild Cat” et “Baby Blue”), avant d’enchaîner dès l’année suivante (et leur changement d’appellation) par des covers en français de Leiber et Stoller (“Dirty, Dirty Feeling” – “Si Seulement”), Cliff Richard (“Je T’Aime Trop”, “Vivre Sa Vie”), Gene Vincent à nouveau (“Fou D’Elle”, “Il Revient”, “Petite Sheila”, “C’Est La Nuit”, “Je Reviendrai”, “Les Enchaïnés”, “Le Temps Est Lent”…), Elvis Presley via Doc Pomus et Mort Shuman (“C’est Tout Comme”, “Petite Sœur d’Amour”, “Ne Délaisse Pas”), Chuck Berry (l’inénarrable “Eddie Sois Bon”!), Dion di Mucci (“Runaround Sue” devenu “Volage”), les Everlys (“Line”) et Johnny Otis (“Je Reviendrai Bientôt”). Ce goût très sûr (et les premières manifestations des talents de parolier de Claude Moine) ne préserva hélas pas les Chaussettes de se faire repasser (!) quelques saucissons en guise de figures imposées (ce “Daniela” signé Georges Garvarentz et André Pascal qu’Eddy n’a jamais vraiment apprécié, mais aussi des collaborations aussi saugrenues que “Le Twist Du Canotier” avec Maurice Chevalier, ou encore ces “Noël de France” et “Twist Du Père-Noël” que l’on pourrait croire de la plume de Ramon Pipin). Dès 62, la vogue du twist leur imposa ainsi certaines niaiseries proto-yé-yé (“Le Chemin De La Joie”, “Non Ne Lui Dis Pas” ou ce “Shout Shout” dont se souviendront plus tard les Forbans), mais les Socquettes relevaient encore la tête avec des adaptations plus qu’honorables du “Little Sister” du Pelvis et du “Shake, Rattle & Roll” de Big Joe Turner. Cette collection se referme sur les premiers enregistrements solo du futur Mr Eddy, alors accompagné par l’incongru Opéra House Orchestra. Deux ans plus tard, il cartonnerait avec “Toujours Un Coin Qui Me Rappelle” (transposé de Burt Bacharach), mais ce serait dès lors une autre histoire… Leur mastérisation impeccable et le copieux livret qui les accompagne réhabilitent ces 56 titres du traitement piteux sous la forme duquel on les trouva souvent bradés en têtes de gondoles ces dernières décennies.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, March 18th 2023

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