Blues |

Au fil des décennies, la vocation du label chicagoan au saurien ricanant s’est muée, de pépinière pour perpétuateurs du blues local (“Genuine Houserocking Music”, avec non seulement Hound Dog Taylor, mais aussi Billy Branch, Lonnie Brooks, Son Seals, Johnny Copeland, Fenton Robinson, Kenny Neal et consorts), en asile (et consécration) pour des artistes ayant auparavant fait leurs preuves sur divers labels indépendants (Tommy Castro, Nick Moss, Joe Louis Walker, Tinsley Ellis, Charlie Musselwhite, Marcia Ball, Rick Estrin, Chris Cain…). Si des talents émergents tels que Selwyn Birchwood et Christone ‘Kingfish’ Ingram appartiennent certes encore à la première de ces catégories, la Texane Carolyn Wonderland relève pour sa part de la seconde. Sur son deuxième effort chez Alligator (chronique de son prédécesseur ICI), elle joue la sécurité en faisant à nouveau appel à Dave Alvin (ex-Blasters) pour présider à ses auspices, de même qu’à quelques usual guests (telles que Marcia Ball, Cindy Cashdollar et Ruthie Foster). S’ouvrant sur le virulent holler mississippien “Sooner Or Later” (où la Wonderland, née Bradford, démontre d’emblée l’étendue de son registre vocal, ainsi que sa dextérité au lap-steel), cette rondelle se poursuit en mode gospel féministe avec “I Ain’t Going Back”, bénéficiant des chœurs soulful de Ruthie Foster, Shelley King et Marcia Ball, ainsi que du Hammond B3 de Red Young. Le solo de Gibson dont s’y fend Carolyn explique à lui seul pourquoi feu John Mayall l’avait choisie pour ultime guitar-slinger (ce que confirme aisément le swing shuffle titulaire qui suit). Stipulons qu’elle signe à elle seule la moitié des douze compositions de cet album (tout en en co-signant quatre avec Dave Alvin ou Shelley King), et que sur des pépites telles que le poignant “Let’s Play A Game”, elle tutoie sans rougir la Joplin de “Pearl” (si ce n’est que la toujours regrettée Janis n’aurait jamais été en mesure de doubler cet exploit d’un solo de guitare aussi émouvant). Entre Asleep At The Wheel (dont le leader, Ray Benson, fut l’un des mentors de la Miss) et le vaudeville façon Ma Raney et Bessie Smith, “Whistlin’ Past The Graveyard Again” arpente avec facétie les lisières entre blues et country, et “You Should Take” épouse un second line beat louisianais, sur les rumba piano lines façon Professor Longhair de Henri Herbert. Première des deux reprises, “Wishful Thinking” fut écrit par ses amis Greg Wood et Eddie Hawkins, tandis que “Orange Juice Blues” (signé Richard Manuel) figurait sur les fameuses “Basement Tapes” qu’enregistrèrent ensemble en 67 le Band et Bob Dylan. C’est Marcia Ball qui officie aux ivoires et aux chœurs sur ce dernier, tandis que Carolyn fait parler la slide avec le brio qu’on lui connaît, y duettisant même avec les six cordes d’Alvin. Autre co-signature de ce dernier (qui y récidive à la guitare), “Tattoo As His Talisman” ranime à point nommé la fibre rock n’ roll, avant que l’ironique “Flowers In Bloom” ne chronique les ups & downs d’une relation de couple battant de l’aile (autre grande performance vocale de Madame). L’afro-cubain “Deepest Ocean Blue” précède le touchant “Blues For Gene”, dédié à la mémoire du récemment disparu Gene Taylor, pianiste des Blasters, Red Devils, Canned Heat et autres Fabulous Thunderbirds. Son comparse cinq décennies durant, Dave Alvin ne pouvait manquer d’y apposer sa griffe, tandis qu’Henri Herbert lui rend au clavier l’hommage qui s’impose. Ceux qui eurent le bonheur de capter Carolyn Wonderland sur scène se demandent encore comment une si frêle silhouette parvient à exsuder tant de puissance vocale et instrumentale. Ni sourd ni aveugle, Bruce Iglauer ne s’y est pas trompé, et ce disque reflète fidèlement le talent et le feeling impressionnants d’une grande dame.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, April 14th 2025
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