Blues |

Sempiternelle querelle entre les anciens et les modernes… Quand, en 1964, une kyrielle de blancs-becs rosbifs entreprit de convertir les teen-agers de leur bled insulaire aux vertus des douze mesures approximatives, les puristes hurlèrent à l’hérésie. Tandis que ses initiateurs crevaient la dalle at home, comment tolérer en effet que des néophytes (même pas en phase avec l’expérience de la ségrégation et des plantations) pussent prétendre s’arroger cet héritage sacré? Tandis que se déroulait cette polémique picrocholine, depuis leurs dèches respectives, Jimmy Reed, Howlin’ Wolf, BB King, Muddy Waters, Billy Boy Arnold et Bo Diddley commencèrent néanmoins à entrevoir ce que cette pseudo-appropriation n’allait pas tarder à revêtir de miraculeux pour leur propre sort. Quand les Stones cartonnaient avec leur version de “Little Red Rooster”, et les Yardbirds avec celles de “Smokestack Lightning”, “I’m A Man” et “I Ain’t Got You”, leurs auteurs n’en percevaient certes que quelques chiches dividendes, mais aussi (et surtout) l’opportunité de gigs mieux rémunérés. Et hormis les ayant-droits de Willie Dixon (contraints d’acter en justice pour que ces usurpateurs de Led Zep leur reversent les droits acquis sur le “Whole Lotta Love” du patriarche), chacun y retrouva peu ou prou son compte, et le blues le premier. Ce débat s’est amplement perpétué depuis (Johnny Winter avait-il le droit de jouer le blues bien qu’il fût albinos? Et Stevie Ray, Popa Chubby et Gary Moore, c’est du lard ou du cochon?), mais Bruce Iglauer (boss d’Alligator) en personne me le confessa un jour dans les yeux: sans l’intervention régulière d’artistes crossover à même d’y rameuter l’intérêt de nouvelles générations, on ne donnerait tôt ou tard plus cher de la peau du blues. Frangin légitime de la blues-rocker british Dani Wilde (chez Ruf, et qui assure ici les backing vocals), l’harmoniciste et chanteur Will Wilde a déjà publié cinq albums sous son nom: “Unleashed” (2010), “Raw Blues” (2013), “Live In Hamburg” (2015), “Bring It On Home” (2018) et “Bad Luck Friday” (2022). Désormais signé sur le label US de Richard Rosenblatt et Bob Margolin, ce jeune musicien anglais envisage à présent la reconnaissance transatlantique. Pour le remercier de sa contribution à son dernier LP (l’acclamé “Broken”), le non moins controversé Walter Trout contribue au morceau titre de cet album, qui ouvre le ban en profession de foi. À son solo incendiaire succède ceux (au napalm) d’un Will fermement décidé à imprimer sa marque, quitte à ce que celle-ci s’appose au fer rouge. Plus conventionnel (bien que non moins enlevé), le shuffle “Wild Man” et et “Don’t Play With Fire” procurent une idée de ce que la rencontre Rice Miller/ Elmore James/ Canned Heat et Little Walter eût pu donner. On n’a en effet pas ouï pareille furia sur cet instrument de poche depuis Magic Dick, Andy Just, Giles Robson, Mason Casey et Son Of Dave. Sur la trame du classic blues “St. James Infirmary”, “Gypsy Woman” apaise un temps le propos, tandis que le piano électrique de Greg Coulson et les balais de de Steve Rushton y prodiguent un swing de bon aloi. Que je sois banni si par dessous le boogie effréné de “Trouble Of That Girl” ne transpire pas la transe rustique de Robert Johnson et Mississippi Fred McDowell (lequel se targuait pourtant de ne pas jouer de rock n’ roll), et si derrière le blues atmosphérique “Stole My Girl” (où étincelle la guitare de Bobby Harrison) ne rodent pas non plus les ombres d’Otis Rush et T-Bone Walker. Le rhythm n’ blues de “Can I Get A Witness” et “Little By Little” anime ensuite ce “Girls Got Soul” dont les jeunes Rolling Stones auraient sans doute pu faire leur miel éhonté. L’harmo de Will y trace des loopings et des shrapnels dans le firmament, précédant l’irrésistible boogie “Learn How To Love”, auquel contribuent les choristes Dani Wilde, Lindsey Bonnick et Chloe Josephine. Le languide “Broken Dream Blues” présente Will au chromatique, et on comprend ce qui a pu séduire Richard Rosenblatt (patron du label, mais lui aussi harmoniciste) chez ce jeune musicien. Il y a en effet du George Smith, du Kim Wilson, du Rod Piazza, du Butterfield et du Musselwhite en ce prometteur impétrant, et nous vous recommandons l’écoute de cette plage pour vous en convaincre. Will conclut sur l’up-tempo Texas-shuffle “Don’t Trust Me”, qu’il assaisonne à nouveau de choruses enflammés. Alors, iconoclaste ou équivalent pour l’harmonica de shredders tels que les deux Joe sur les six cordes (Bonamassa et Satriani)? Tel Nosferatu, le blues aura toujours besoin de sang neuf pour se régénérer, et celui qu’y perfusent des artistes sincères (quoiqu’encore quelque peu démonstratifs et exaltés) tels que Will Wilde demeure le bienvenu. La morale réside dans le titre même: un jeune artiste à suivre.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, February 27th 2025
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