BEN LEVIN – Take Your Time

VizzTone
Blues
BEN LEVIN - Take Your Time

Qu’un ex-enfant prodige du piano-blues et boogie suggère de “prendre son temps” pour son cinquième album à 22 ans à peine, peut paraître véhiculer une certaine dose d’ironie. Natif de Cincinatti, ce fils d’un guitariste de blues et de jazz de modeste renommée commença en effet son apprentissage à l’âge de sept ans, pour se produire ensuite, dès son treizième anniversaire, au sein de l’orchestre paternel. Entouré et soutenu depuis ses débuts par un aréopage d’aînés bienveillants, il ne souscrit donc en rien à la tendance de certains iconoclastes résolus à faire table rase du passé, envers lequel il cultive au contraire un profond respect, empreint d’une insatiable curiosité. C’est ce qu’il démontre plus que jamais ici, avec le concours de quelques vétérans passés l’adouber en studio. À commencer par l’un des piliers les plus essentiels de la scène de Chicago, le vénérable bassiste Bob Stroger (qui fêtera bientôt ses 92 printemps), aux états de service duquel figurent des collaborations avec Otis Rush, Jimmy Rogers, Eddie Taylor, Billy Boy Arnold, Homesick James et Mississippi Heat, mais aussi (excusez du peu) Lil’ Ed Williams (leader de ses Imperials et neveu de JB Hutto), ainsi que Rockin’ Johnny Burgin et Lil’ Jimmy Reed. La guitare de Aron Levin contribue toujours à près de la moitié des titres, et les baguettes du bon moins fidèle Ricky Nye à la quasi-totalité des titres (puisque supplanté sur deux autres par un certain Shorty Starr, sans parenté avérée avec un certain Ringo). C’est Burgin qui officie aux six cordes sur la plage titulaire qui ouvre le ban, et son jeu concis et délié contribue à valoriser celui, plus barrelhouse que jamais, de son cadet de leader. C’est ensuite à Bob Stroger qu’échoit le microphone pour le jump “Jazzman Blues” qui porte sa signature, et la guitare y est assurée par Noah Wotherspoon, tandis que Ben retrouve comme souvent en pareil contexte des accents à la Jay McShann. C’est à Lil’ Ed que reviennent ensuite le chant et les licks pour le poignant “Why Do Things Happen To Me”, dans une veine contrite où son dialogue avec le piano évoque celui du regretté Otis Spann, au temps où ce dernier enregistrait avec Buddy Guy. On reste à Chicago pour le shuffle “I’ve Been Drinking Muddy Water” de Big Smokey Smothers, avec Lil’ Jimmy Reed au chant et à la guitare, tandis que Ben y démontre ce qu’il a retenu d’une écoute assidue de Pinetop Perkins et Sunnyland Slim. Lil’ Ed revient duettiser sur une version quasi-rock n’ roll du “Hole In The Wall” de Brownie McGhee, où la slide saturée de l’homme au fez reprend ses droits. Johnny Burgin rend ensuite un vibrant hommage à Otis Rush période Cobra, pour le mambo “Out Of Your Own Way”, où Shorty Starr est assisté du conga de Kris Butler. C’est Wotherspoon qui endosse le rôle d’Eddie Taylor, pour le “Bad Boy” que ce dernier composa dans l’esprit languide de l’un de ses employeurs notoires, Jimmy Reed (le vrai), tandis que Stroger y chante en faisant swinguer ses cordes de plus belle, et que le jeu de Ben sur les ivoires rappelle celui d’un autre géant récemment disparu, Henry Gray. Le bon vieux Louisiana rhythm n’ blues des fifties n’en demeure pas moins l’une de ses marottes, comme en témoigne “You Know You’re So Fine” de Lightnin’ Slim. Lil’ Ed introduit le shuffle “Longer Days, Shorter Pay” (de Aron et Ben Levin) par son facétieux “one, two, you know what to do” qui désarçonne tant de rythmiques de fortune. Il en faut davantage pour perturber Ricky Nye et Walter Cash, qui assurent avec l’aplomb qu’on leur connaît, et Lil’ Jimmy Reed tire sa révérence sur le lent “Lump Of Coal” (à nouveau co-signé Levin père et fils). Stroger revient pour l’enlevé “Love You Baby” (dans la ligne de ce que produisaient ensemble Buddy Guy et Junior Wells il y a un bon demi-siècle), avant le bref instrumental conclusif “Mr Stroger’s Strut”, où s’illustrent (outre sa basse toujours aussi svelte et agile) les six cordes de Wotherspoon et les ivoires de Ben, dont voici l’album le plus ancré dans le classic blues urbain à ce jour (et sans doute le plus fun aussi). Qu’un jeune traditionaliste surdoué trouve ainsi loisir de nous étonner, tout en fédérant plus avant encore les générations qui l’ont précédé, ne peut susciter que l’adhésion.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, October 16th 2022

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Chronique de l’album Still Here, de Ben Levin, ICI

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