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Amina Claudine Myers, le souffle du silence
Certains albums s’écoutent, d’autres se traversent. Solace of the Mind, le dernier opus de la compositrice, pianiste et chanteuse Amina Claudine Myers, appartient à cette seconde catégorie. Rarement un disque aura su, avec une telle justesse, ménager les silences et les respirations pour mieux faire émerger une pensée musicale d’une profondeur bouleversante. À l’instar d’Éric Satie ou d’Henry Purcell, auxquels on peut légitimement la rapprocher, Myers compose avec les vides autant qu’avec les notes, construisant une dramaturgie organique et épurée, qui ouvre la voie à une lecture aussi intellectuelle qu’introspective.
Peu d’artistes peuvent aujourd’hui se prévaloir d’un tel équilibre entre maîtrise technique, héritage classique digéré et liberté expressive. Ce disque en solo, qu’elle porte à bout de souffle, prolonge l’élan de son précédent projet, Mosaïque de réservoir, lac, chemins et jardins de Central Park, enregistré en duo avec le trompettiste Wadada Leo Smith et salué par la critique lors de sa parution en mai 2024 chez Red Hook Records.
Cette collaboration, marquée par une rare communion entre deux artistes majeurs, les avait alors ramenés à l’essentiel de leur art. Dans cette nouvelle œuvre solitaire, Myers poursuit cette quête de dépouillement, flirtant avec les sons comme on écrit une prière, avec une sensibilité qui évoque parfois l’âme nue de Keith Jarrett. L’expérience d’écoute devient alors introspection. Que nous dit cette musique de notre rapport à l’art? À l’univers? Elle invite à une forme de conscience collective, à la fois littéraire et pacifiste, qui nous dépasse tout en nous recentrant.
Depuis plus de soixante ans, Amina Claudine Myers navigue aux confins des genres. Formée dans les églises baptistes et méthodistes du Sud des États-Unis, elle a d’abord dirigé des chœurs avant de s’aventurer dans les marges mouvantes du jazz, sans jamais cesser d’en repousser les frontières. Son langage musical puise dans le gospel, le rhythm and blues, la tradition savante, et s’est nourri de rencontres avec des figures comme Archie Shepp, Gene Ammons, Charlie Haden, Muhal Richard Abrams ou Anthony Braxton. Une trajectoire saluée par de nombreux prix, dont le prestigieux titre de Jazz Master décerné en 2024 par le National Endowment for the Arts, et plus récemment une bourse Mellon Jazz Legacies en 2025.
Solace of the Mind est un recueil à la fois poétique et spirituel. Myers y joue du piano, de l’orgue Hammond B3 et y pose sa voix, dans une forme de conversation intime avec elle-même. L’album, produit par Sun Chung, fondateur du label Red Hook Records et ancien producteur d’ECM, en reprend d’ailleurs l’élégance feutrée et l’exigence sonore. On y retrouve ce souffle méditatif et cette attention au détail qui faisaient la grandeur du label munichois dans ses heures les plus fécondes.
Pourtant, malgré cette reconnaissance institutionnelle croissante, Myers reste empreinte d’une humilité rare. «Jazz Master? Je suppose que ça signifie que je dois encore progresser», dit-elle en souriant. «Il faut que ce soit vraiment magistral.» Et de fait, Solace of the Mind dépasse les attentes. C’est un album qui transcende les catégories, oscillant entre recueillement personnel et méditation universelle, promesse discrète de consolation et de lucidité.
De cette écoute, nul ne ressort indemne. On en sort changé, grandi, ému. Et l’on se demande, non sans gravité : avons-nous encore le droit de parler ici de jazz? Ou faut-il admettre qu’avec Amina Claudine Myers, c’est bien d’art, au sens le plus noble du terme, qu’il s’agit?
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, June 13th 2025
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Musicians :
Amina Claudine Myers, piano
Tracklist :
African Blues
Song For Mother E
Sensuous
Steal Away
Ode To My Ancestors
Voices
Hymn For John Lee Hooker
Twilight
Cairo
Beneath The Sun
Recorded: October 27 & 28, 2023 – Sear Sound, New York, February 9, 2024 – Home organ recording, New York
Engineer: Chris Allen, Rick Kwan – Mixing: Rick Kwan – Mastering: Alex Bonney
All photos: Crystal Blake – Cover Art: Sam Winston – Design: Matt Appleton
Produced by Sun Chung