| Jazz |
“Dedicated ”, de Paul Morvan: un premier album entre expérience, sincérité et swing.
Après avoir passé plus d’une décennie au cœur de la scène jazz américaine, le batteur et compositeur Paul Morvan revient en Europe, fort d’un parcours jalonné de collaborations avec certaines des figures les plus respectées du jazz contemporain. De Jim Rotondi à Dmitry Baevsky, en passant par Peter Bernstein, Logan Richardson, Frank Basile, Joe Magnarelli, David Wong, Saul Rubin, Fabien Mary, David Sauzay ou encore le légendaire Alain Jean-Marie, Paul Morvan a affiné son art dans l’ombre des maîtres, à l’écoute du groove, du swing et de l’exigence musicale.
Avec Dedicated, son tout premier album en tant que leader, il entre dans la lumière en compagnie d’un trio de haut vol : le saxophoniste alto Dmitry Baevsky et le contrebassiste David Wong. Deux musiciens d’exception, dont les parcours impressionnent autant que leur profonde connaissance de la tradition jazz. Wong a joué aux côtés de géants comme Hank Jones, Roy Haynes ou Jimmy Heath, tandis que Baevsky a été entendu auprès de Cedar Walton ou Peter Bernstein. Ce trio ne se distingue pas seulement par sa virtuosité, mais par une qualité rare : une écoute collective, une justesse de ton, une volonté partagée de raconter une histoire musicale sincère.
Ce disque est donc bien plus qu’un simple premier essai. C’est une synthèse inspirée d’années d’apprentissage, d’écoute, de maturation. À rebours de certains albums de batteurs conçus comme vitrines de démonstration, Dedicated est une œuvre d’architecture musicale. Chaque composition est pensée comme un tout cohérent où le batteur ne se met pas en avant, mais agit en catalyseur de la narration collective. Selon les morceaux, chaque instrument devient personnage principal, narrateur, ou décor sonore, en fonction des besoins de l’arrangement. On sent un travail d’écriture et d’orchestration rigoureux, mais jamais pesant, où la complexité se met au service de la clarté.
Au fil des dix plages de l’album, le trio navigue avec aisance entre standards revisités, signés Thad Jones, Duke Pearson ou Kenny Dorham, et compositions originales de Paul Morvan. Ce répertoire, à la fois raffiné, stimulant et profondément ancré dans le langage du jazz, ne cherche pas à construire un pont artificiel entre jazz européen et jazz américain. Morvan ne pense pas le jazz en termes de géographie, mais comme un langage qu’il parle avec naturel et justesse. Ce qu’il tisse, c’est un lien entre l’histoire du jazz et sa propre trajectoire. Et c’est sans doute là que réside le secret de son impact: rares sont les musiciens européens capables de s’intégrer avec une telle fluidité dans cette culture musicale.
Avec Dedicated, Morvan s’impose non seulement comme un batteur inspiré, mais aussi comme un compositeur exigeant et un leader attentif. L’album, servi par des interprètes d’une grande finesse, ne cède jamais à la facilité. Chaque morceau témoigne d’un souci du détail, d’un goût pour la mélodie, d’une recherche du son d’ensemble. Ce jazz-là est contemporain sans être cérébral, sophistiqué sans être distant. Il avance, porté par une pulsation chaleureuse, une précision rythmique, et une réelle envie de dialogue.
Joe Farnsworth, lui-même batteur de renom, résume parfaitement l’essence de cet album dans ses notes de pochette: “Rien qu’à le regarder, j’ai su qu’il prenait cette musique au sérieux. Je l’ai observé installer ses cymbales et j’ai compris qu’il allait jouer avec âme et swing. À travers son jeu, Paul Morvan exprime son amour pour cette musique et pour les maîtres qui l’ont façonnée. C’est cela, la seule vraie manière de dédier un disque: non pas en jouant comme eux, mais en s’en inspirant pour créer quelque chose d’unique.
Quand Art Taylor parlait de ce qu’il faut pour être un grand musicien, un bon leader, un vrai messager de cette musique, il disait: “Travaille dur, sois fidèle à toi-même, occupe-toi de tes affaires et entoure-toi de bonnes personnes.” C’est exactement ce que Paul Morvan incarne, dans son âme comme dans sa musique.”
Dedicated est sans doute destiné à devenir un classique modern, non pas parce qu’il cherche à impressionner, mais parce qu’il veut dire quelque chose. En tendant l’oreille, on découvre à chaque écoute une nouvelle subtilité, un nouvel équilibre, une nouvelle émotion. Avec ce premier opus, Paul Morvan s’impose comme l’un des batteurs les plus prometteurs de sa génération, et comme une voix singulière dans le récit en constante évolution du jazz.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, June 3rd 2025
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Musicians:
Paul Morvan (drums), Dmitry Baevsky (alto sax on #1-5, 7-10), Hugo Lippi (guitar on #3, 4, 6, 9), David Wong (bass), Christelle Raquillet (flute on #3 & 7).
Tracklist :
Yeah
Clockwise
Say You’re Mine
One for Kochte
Koko
Kneelin’ in the Yard
Let’s
Passport
Old Folks
A Sleepin’ Bee
Recorded at Studio Sextan in Malakoff, France, April 21, 2024
Sound engineer: Erwan Boulay
Cover photo by Shimon Gambourg
Other photos by JR Sprich