Meltem Ege – Solitude (FR review)

Self Released – Available
Jazz
Meltem Ege – Solitude

“Solitude” de Meltem Ege: un premier album éblouissant, hors des genres, qui invite à l’errance.

Parfois, certains albums nous parviennent avec retard, bien après leur sortie ou le bruissement médiatique initial. Mais lorsque la vision artistique frappe avec une telle clarté et originalité, la date importe peu. Solitude, la dernière création de la chanteuse et compositrice Meltem Ege, née en Turquie et installée à Los Angeles, fait partie de ces œuvres rares qui semblent intemporelles dès la première écoute. D’emblée, avec une envolée vocale qui flirte avec le scat, l’album nous plonge dans un univers sonore à la fois intime et vaste, enraciné dans le jazz mais totalement affranchi de ses frontières.

La voix d’Ege est d’une singularité saisissante, évocatrice, d’une précision technique remarquable, et pourtant dépouillée de toute volonté de démonstration. On oublie vite la complexité musicale pour ne retenir que l’émotion brute d’une interprète qui semble chanter avec l’entièreté de son être. Et cela n’a rien d’étonnant. Forte d’un parcours aussi riche que multiple, Ege insuffle à son premier album une profondeur rare.

Formée au piano classique et au chant jazz à l’université Bilkent, puis au Berklee College of Music, elle poursuit son exploration artistique au California Institute of the Arts, où elle s’immerge dans la musique expérimentale et le théâtre. Aujourd’hui professeure à temps plein à CalArts, elle continue de repousser les limites de son art, qu’elle exprime autant à travers des pièces de chambre complexes que des performances solos électroniques ou des incursions dans l’opéra d’avant-garde.

Aucun genre ne saurait véritablement contenir cet album. S’il a un style, c’est celui de Meltem Ege elle-même, une artiste qui s’amuse à déconstruire les formes du jazz pour les réinventer à travers un prisme profondément personnel. À travers huit compositions originales enregistrées entre la Turquie et les États-Unis, Solitude offre non seulement un festin sonore, mais aussi une exploration de l’identité, de la mémoire et des émotions. Ce n’est pas seulement une suite de chansons: c’est une véritable déclaration artistique.

Dès les premiers morceaux, il devient évident qu’Ege ne se contente pas de faire du jazz; elle l’utilise comme un vecteur d’expression pour y infuser des éléments de son héritage turc, notamment dans ses choix harmoniques ou son usage subtil des cordes. Ces influences ne sont jamais plaquées ni anecdotiques: elles émergent avec une fluidité qui témoigne d’années d’expérimentation.

L’un des aspects les plus marquants de l’album est son plurilinguisme—pas seulement au niveau des langues, mais aussi dans son vocabulaire musical. Dans un titre comme «Aklında Kalmasın» (que l’on peut traduire par «Pour ne pas rester dans ton esprit»), Ege mêle des paroles en turc à un univers jazz contemporain, défiant les attentes avec une audace tranquille. Il est rare d’entendre la langue turque s’épanouir avec une telle justesse dans un contexte jazz, et plus rare encore que cela sonne aussi vrai, aussi sincère.

À une époque où de nombreux albums vocaux finissent par se ressembler, Solitude se distingue, non parce qu’il cherche à l’être, mais parce qu’il ne peut être autre chose. L’identité artistique d’Edge est trop enracinée dans la complexité de ses origines et la pluralité de ses influences pour pouvoir être imitée. C’est la voix d’une artiste qui sait qui elle est, mais qui ne cesse de découvrir ce qu’elle peut encore devenir.

Au fond, Solitude est une invitation, au voyage, à l’introspection, à une écoute plus attentive. Il ne demande rien d’autre que votre attention, et en retour, offre un monde sonore d’une richesse bouleversante. Pour celles et ceux qui aiment la culture, la prise de risque artistique et le plaisir de la découverte, cet album est une révélation, un ravissement de bout en bout.

Dans une époque marquée par le bruit et le conformisme, Solitude fait figure d’acte de résistance poétique. Il propose plus que de la beauté, il offre du sens. Plus que de la maîtrise, il offre une âme. Et par-dessus tout, Meltem Ege nous rappelle ce que le jazz peut encore être: un espace de dialogue, d’intimité, de pensée, et de liberté.

Laissez-vous porter par sa voix: un monde entier s’ouvrira à vous.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, June 10th 2025

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Website

Musicians :
L’album Solitude de Meltem Ege réunit des musiciens issus de sessions d’enregistrement à Los Angeles et à Istanbul:
La session de Los Angeles comprend Meltem Ege au chant, Theo Bleckmann au chant sur le morceau ‘We Must Not Say Yes’, Sarpay Ozcagatay à la flûte sur ce même titre, Derek Bomback à la guitare, Miller Wrenn à la contrebasse, Matthew Welton Smith à la batterie, Ibra Rachel et Rock Mecutie au violon, Betsy Rettig au violoncelle.
La session d’Istanbul réunit Meltem Ege au chant, Sarpay Özçağatay à la flûte sur ‘Eyes of Innocence’, Senova Ülker à la trompette, Bulut Gülen au trombone, Önder Focan à la guitare, Ozan Musluoğlu à la contrebasse, et Serkan Alagök à la batterie.

Tracklist :
Anlayama
We Must not Say Yes
Solitude
Dawn
Sennline Dans
Eye Of Innocence
Brush Strokes