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À l’aube, Itai Kriss fait parler la flûte en pleine lumière.
Il est des albums que l’on écoute une fois, et puis il y a ceux que l’on habite. Daybreak, la dernière œuvre du flûtiste et compositeur Itai Kriss, appartient résolument à cette seconde catégorie, un disque aux textures riches et aux climats changeants, qui semble accompagner les heures, de la douceur du matin jusqu’aux silences du soir. Construit autour de compositions originales, Daybreak révèle Kriss autant en brillant instrumentiste qu’en architecte sensible du son, au service d’un jazz fusion qui embrasse avec chaleur les influences du monde, notamment les rythmes et les harmonies du Brésil, dans une danse musicale aussi généreuse qu’inspirée.
C’est une musique qui voyage. Elle s’étend comme un carnet de route, timbré de souvenirs et d’émotions, chaque morceau devenant une photographie sonore d’un périple imaginaire où la lumière et l’ombre s’entrelacent. Écouter Daybreak, c’est feuilleter l’album souvenir d’un voyage que l’on n’aurait jamais vraiment fait, mais que l’on croit pourtant reconnaître, comme un rêve flou dont on retiendrait les couleurs plus que les contours.
Mais derrière cette poésie vagabonde se cache une ambition claire : redonner à la flûte toute sa place dans le jazz contemporain. Non pas comme un simple ornement ou un souffle furtif, mais comme une voix soliste à part entire, profonde, vibrante, affirmée. « Beaucoup considèrent la flûte comme un instrument aérien, fugace, une présence légère, presque capricieuse », écrit T.J. English dans les notes de pochette. «Mais entre les mains d’Itai Kriss, elle devient une force avec laquelle il faut compter.»
L’album s’ouvre sur la pièce-titre, Daybreak, une évocation paisible de l’aube, les fleurs qui s’épanouissent dans le silence lumineux du matin, le monde qui s’éveille lentement. Une note de basse continue (signée Dan Pappalardo, alias Sellick) soutient la progression du morceau, qui glisse subtilement de signatures rythmiques traditionnelles vers des harmonies complexes. Vient ensuite Drivin, qui plonge dans l’énergie urbaine d’un matin new-yorkais à la Art Blakey, la ville en pleine effervescence. Ici, la flûte n’apaise plus : elle propulse, elle enflamme, répondant à la trompette avec panache.
O Jardim offre un contrepoint délicat: un duo intimiste entre flûte et contrebasse, posé sur une douce mélodie de samba. C’est une promenade musicale dans les allées luxuriantes du Jardim Botânico de Rio, une rêverie tropicale en pleine floraison. Puis survient Uphill, radicalement différent, qui s’ouvre comme une marche funèbre, martelée par les percussions d’Adam Pinciotti, avant de s’ouvrir sur le piano mélancolique et habité d’Adam Birnbaum. Chaque morceau s’enchaîne au suivant comme un chapitre d’un roman distinct, mais relié, révélant peu à peu l’architecture globale de l’album.
Mais Daybreak est plus qu’un carnet de voyage. C’est une œuvre à la dimension romanesque, un récit musical avec un commencement, un développement, une résolution. Kriss compose avec la flûte comme un écrivain compose avec les mots, avec un instinct narratif certain. Certaines sonorités sembleront familières, comme issues d’un souvenir diffuse, mais ce sont bel et bien des compositions originales, qui convoquent, par instants, notre mémoire collective et émotionnelle.
Daybreak est, au fond, un manifeste. Une déclaration d’amour à la flûte comme voix centrale du jazz d’aujourd’hui, mais aussi un rappel du pouvoir de la musique à épouser le rythme de nos vies et à transfigurer le quotidien en quelque chose de sacré. Comme le conclut T.J. English: «Il suffit d’ouvrir ses oreilles et son cœur, et de faire confiance : peu importe où vous mènera la journée, elle sera illuminée par les harmonies, les mélodies et la virtuosité sans faille de cette brillante formation au sommet de son art.»
Il n’y a pas grand-chose à ajouter, si ce n’est ceci: Daybreak pourrait bien devenir la bande-son de votre été. Il commence avec la lumière… et ne fait que l’amplifier.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, June 7th 2025
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Musicians :
Itai Kriss – flute
Adam Birnbaum – piano
Luke Sellick – bass
Anthony Pinciotti (†) – drums
Recorded April 29-30, May 1, 2022 at Sound on Sound Studios
Mixing and Mastering at Swan Studios NYC
Engineer: Andreas K. Meyer
Produced by Simon Belelty for JOJO RECORDS