Robert FINLEY: the Bayou speaks its mind.

Robert Finley - © Jim Herrington

Interview de Robert FINLEY
Réalisée par Patrick DALLONGEVILLE (Paris-Move, Illico & BluesBoarder) le 20 novembre 2023
Photos: © Jim Herrington

 Nous sommes un lundi, le 20 novembre 2023, et Le Grand Mix, scène de musiques actuelles de Tourcoing, accueille ce soir l’une des révélations les plus inattendues de la scène soul blues actuelle, le vétéran Robert Finley. Avec la ponctualité d’un roi, il nous rejoint en coulisses pour une interview, quelques minutes avant son passage public.

Patrick DALLONGEVILLE: Bonsoir, merci de votre accueil. En guise de préambule, pouvez-vous nous parler de votre enfance ?

Robert FINLEY: J’ai grandi en Louisiane. Nous étions sept frères et sœurs, et notre maison ne comprenait que deux chambres. Cela signifie que mes parents dormaient dans l’une des chambres, les filles dans une autre, et le reste des garçons dans le living et la cuisine, ou ce qui en tenait lieu. Nous n’étions pas malheureux pour autant, nous vivions à la campagne, et avions la nature pour terrain de jeux. Évidemment, nous étions pauvres, et chacun d’entre nous contribuait au travail des champs. Mon père ne possédait pas la terre que nous cultivions, il n’était que le métayer d’un propriétaire, et nous passions le plus clair de notre temps à ramasser le coton et récolter le maïs, ce qui ne nous laissait guère de temps pour aller à l’école. Mon père était un homme très religieux, il ne manquait jamais la messe du dimanche, où il faisait partie du chœur gospel, et il nous a d’une certaine manière transmis le goût de la musique. Quand il partait faire des courses à la ville avec ma mère, mes frères et sœurs nous agglutinions autour du poste de radio pour capter les émissions de blues et de country music que nos parents nous interdisaient d’écouter, et nous nous relayions à la fenêtre pour guetter leur retour. Le chemin de terre qui menait chez nous soulevait un nuage de poussière qui annonçait de loin l’approche de tout véhicule, et dès que nous apercevions la carriole des parents, nous éteignions la radio pour reprendre nos activités ménagères, car si mon père nous avait surpris à écouter ce qu’il nommait les musiques du diable, Dieu sait le sort qu’il aurait pu réserver à ce bon vieux poste!

Patrick DALLONGEVILLE: Votre père n’était donc guère porté sur le blues…

Robert FINLEY: Oh que non ! Il fut d’ailleurs très contrarié quand il réalisa que j’avais dépensé l’argent qu’il avait durement économisé pour m’acheter une paire de chaussures à acquérir une guitare à la place. J’avais à peine dix ans, et j’ai appris à en jouer avec un copain, qui m’a montré mes premiers accords. J’allais en avoir quatorze quand mon père est décédé dans un accident de voiture, et ma mère ne pouvant plus tenir la ferme seule, même avec l’aide de ses enfants, nous avons alors déménagé dans une ville toute proche. Notre maison était plus confortable, mais la nature au sein de laquelle nous avions grandi nous manquait cruellement. Nous avons tous dû chercher du travail, et comme j’étais doué de mes mains, je me suis trouvé un emploi d’apprenti charpentier. Je n’avais plus guère le temps de me consacrer à la musique, et je me suis enrôlé dans l’armée. Transféré en Allemagne, j’y ai occupé un poste de mécanicien, jusqu’à ce qu’on réalise que je savais jouer d’un instrument. J’ai alors été affecté au sein de l’orchestre de la base, où j’ai passé l’essentiel de ma conscription.

Patrick DALLONGEVILLE: Il y a pire, comme service militaire.

Robert FINLEY: Oui, sans doute… À mon retour, je me suis installé à Bernice, dans ma Louisiane natale, pour m’y marier et reprendre mon emploi de charpentier. Je chantais et je jouais le week-end dans un groupe de gospel. La vie suivait son cours, je voyais mes enfants grandir, j’avais un métier et je me sentais membre d’une communauté solidaire, quand brusquement, ma vue s’est mise à décliner. Soudain, il ne m’était plus possible de grimper sur une échelle ou un échafaudage, ni même d’user avec précision d’une scie et d’un marteau. J’ai perdu mon emploi, et ne pouvant me résigner à vivre d’expédients, j’ai commencé à chanter en jouant de la guitare aux coins des rues, tout en y vendant à la sauvette mon premier album autoproduit aves les moyens du bord (“Lifetime Of The Blues”, 1999). C’est là que Tim Duffy, de la fondation Music Maker, m’a repéré en 2015, et m’a donné l’occasion d’enregistrer chez  Fat Possum (“Age Don’t Mean A Thing” en 2016). De là, tout s’est enchaîné pour moi comme dans une de ces success stories de la télé…

Patrick DALLONGEVILLE: La télévision, justement, parlons-en…

Robert FINLEY: Oui, nous avons cette émission sur nos canaux nationaux, “America’s Got Talent” (NDR: un peu la matrice et l’équivalent de “The Voice” chez nous). J’y ai été sélectionné en 2019, et m’y suis hissé jusqu’en demi-finale, avec standing ovation du jury. À la suite, le boss de Fat Possum m’a présenté Dan Auerbach (des Black Keys), qui lançait justement son propre catalogue et son propre studio d’enregistrement. Dan est comme un frère bienveillant pour moi. Il m’accompagne autant qu’il le peut, bien qu’il s’avère déjà très occupé.

Patrick DALLONGEVILLE: Vous parcourez désormais le monde, et sur ce dernier album comme lors de cette tournée, vous embarquez votre propre fille avec vous.

Robert FINLEY: Oui, elle est une grande artiste in her own right, et une chanteuse de talent, comme vous pourrez le constater vous même ce soir. Sur mon nouvel album, “Black Bayou” (Easy Eye Sound), elle paraît sur un titre avec sa propre fille. Réunir trois générations de Finleys sur ce disque signifie beaucoup pour moi, je suis un père et un grand-père fier et comblé.

Patrick DALLONGEVILLE: Un dernier mot avant de rejoindre votre loge pour vous préparer?

Robert FINLEY: Oui, comme me le disait souvent mon père : “il vaut mieux être un poisson de belle taille dans un modeste marigot plutôt qu’un gros poisson perdu en mer”. C’est ce que je me répète tous les jours en me levant, et cela ne m’a pas mal réussi, vous ne trouvez pas?

Retrouvez la chronique de l’album BLACK BAYOU sur Paris-Move
Retrouvez la chronique de l’album SHARECORPPER’S SON sur Paris-Move
retrouvez la chronique de l’album AGE DON’T MEAN A THING sur Paris-Move

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Tournée française :