ROBERT FINLEY – Sharecorpper’s Son

Easy Eye Sound / Bertus
Blues, Soul
ROBERT FINLEY - Sharecorpper's Son

Les années 80 ont eu Steve Lillywhite, Trevor Horn, Jeff Lynne et Phil Collins, les années 90 Butch Vig, Don Was, Steve Albini et Rick Rubin, tandis que les 2010 et 2020 ont droit à Jack White, Dave Cobb, Danger Mouse et Dan Auerbach. C’est simple, on trouve la marque distinctive de ces producteurs absolument partout (des Traveling Wilburys à Clapton et Frida Lyngstad, de Nirvana à Johnny Cash, et de Wanda Jackson aux Black Keys, ainsi qu’auprès de Chrissie Hynde, Dr. John, Cage The Elephant, Lana Del Rey, et même récemment, Tony Joe White). Leur magic touch définit le son de l’époque, mais le corollaire en demeure le risque latent d’uniformité (voire de laminage) des identités respectives de chacun des artistes auxquels ils prestent service. Les cas les plus flagrants de ce syndrome s’avèrent sans doute Jack White et Dan Auerbach: laissez donc mariner quelques années un guitariste et un batteur ensemble, sans aucun apport extérieur régulier. Privé de la fonction médiatrice d’un bassiste ou d’un clavier, ce bras de fer permanent tourne le plus souvent à l’avantage des six cordes. Capables d’assurer à la fois le rythme et l’harmonie, celles-ci procurent à qui les maîtrise la pernicieuse illusion du contrôle total. Transposé derrière une console, ce sentiment de toute puissance induit souvent des comportements invasifs, mais n’est pas Phil Spector qui veut. Il faut une sacrée personnalité pour affronter de tels tempéraments, et c’est pourquoi ce second album de Robert Finley produit par Dan Auerbach (son troisième, au total) s’avère sans doute son meilleur à ce jour. Dès le poignant “Souled Out On You” introductif, on retrouve, intact, ce mix troublant de soul et de vintage West-Side Chicago blues façon Magic Sam et Otis Rush, tandis que “Make Me Feel Alright” et “Country Child” mêlent de la même façon le swamp rock de Creedence reprenant “Suzie Q”, avec la soul sensuelle de Sam & Dave (à laquelle s’apparente aussi “Better Than I Treat Myself”). Comme l’avait indiqué d’emblée son séminal “Age Don’t Mean A Thing” (chez Fat Possum en 2016), entre soul et blues, Robert Finley ne choisit pas. Il lui reste suffisamment d’histoires en stock pour ne pas s’en laisser conter, et la plage titulaire (ainsi que les bien intitulés “My Story” et “Starting To See”) s’avère sur ce point révélatrice. Autobiographiques s’il en est, ces pivots de l’album confirment la ténacité et l’esprit de résilience d’un artiste affligé de la même infirmité que Stevie Wonder. Voici un demi-siècle, un crétin osa demander à ce dernier s’il ne trouvait pas trop dur d’être aveugle. “C’aurait pu être pire, j’aurais aussi pu être Noir“, répliqua alors l’offensé au malotru. Robert Finley ne se résout pourtant pas à cette légitime ironie: pétri de gospel dès son plus jeune âge, il privilégie l’empathie, et son falsetto sur “I Can Feel Your Pain” constitue l’une des plus émouvantes (et convaincantes) re-créations de Curtis Mayfield & The Impressions à ce jour. Entre J.J. Cale reprenant le “Going Down” de Don Nix et le Sylvester Stewart de “Fresh”, “Country Boy” s’avère sans doute la plage la plus swamp du lot: on y entend presque le crapaud buffle et les crickets s’ébrouer entre les rasades de slide et l’orgue Wurlitzer de Bobby Wood. Cette splendeur se referme sur “All My Hope”, pur gospel à trois temps, au fil duquel Robert rend grâce au Créateur des bienfaits dont il le comble. À l’âge vénérable de 67 ans, la route fut certes ardue pour ce vétéran, mais il en recueille à présent les fruits, et nous les présente ici sous leur meilleur jour.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, May 29th 2021

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Robert Finley – “Sharecropper’s Son” [Official Video]:

Robert Finley – “Souled Out On You” [Official Video]:

Saturday Sessions: Robert Finley performs “Sharecropper’s Son”:
https://www.youtube.com/watch?v=cepTWvdxPms