Post-Punk |
Enjambons ironiquement l’étiquette-valise qu’est devenu le post-punk (à ranger désormais parmi ces autres artefacts verbeux de la vacuité prête-à-penser que sont “voilà”, “on va pas se mentir”, “porteur de sens”, “créer du lien”, “il ne vous a pas échappé que”, “OK boomer” et autres “quelque part”…), pour en venir au fait. Tramhaus, c’est littéralement la traduction néerlandaise de notre abribus national, et si ce quintette a pris ce nom, c’est peut-être parce que notre époque ne favorise plus guère les transports en commun (au sens culturel du moins). Car il n’est pas excessif d’affirmer que depuis Talking Heads, The Fall et Soul Coughing (soit quasiment le Jurassique, à l’échelle du rock), hormis Tricky, Radiohead et certaines expérimentations de Damon Albarn (ce qui ne nous rajeunit guère non plus), l’innovation ne semble plus être la valeur cardinale en matière de musiques prétendument actuelles. Plus rien ne se crée, tout se recycle, et les dinosaures que la révolution de 77 était censée balayer ont ainsi pu continuer de prospérer quatre bonnes décennies durant (à preuve, certains bougeraient même encore)… Sur la foi de ce constat (ou quitte à s’en contreficher), quelques ultimes escouades de francs tireurs tentent encore de mener certains raids isolés hors du corporate mainstream (lequel est parvenu à absorber, avec le savoir-faire opportuniste qu’on lui connaît, jusqu’à la notion même d’indie). Dans la foulée de Mush à Leeds (ainsi que The Cool Greenhouse, The Pigeons et Ulrika Spacek à Londres, tous chroniqués ICI, ICI et ICI), c’est donc à Tramhaus qu’il incombe à présent de tenter de secouer un brin le cocotier, depuis son Rotterdam natal. Avec son déluge de guitares saturées sur beat motörik frénétique, “The Cause” ouvre le ban dans un climat d’urgence, évoquant autant le lointain Velvet Underground que les débuts de Wire et de Roxy Music, mais avec une furia encore inédite à ce jour. Introduit par la basse de Julia Vroegh, “Once Again” rappelle ensuite les premiers Cure (même si le chant de Lukas Jansen s’y révèle moins étranglé que celui du Robert Smith d’alors). Les guitares croisées de Nadya van Osnabrugge et Micha Zaat y rappellent les rôles qu’échangeaient jadis Tom Verlaine et Richard Lloyd au sein de Television, avant que dans une explosion de rage, Lukas ne s’exclame “No Smile, No Cry, No Desire”… “Beech” persiste trompeusement dans cette veine “Three Imaginary Boys”, avant d’exploser à son tour en accès de rage répétés, et l’on saisit alors la spécificité de Tramhaus: comme chez Pavement, Nirvana et les Pixies avant eux, cette bande de Bataves utilise des références familières pour mieux les détourner de leur trajectoire initiale. Dès lors captifs, “A Necessity” nous entraîne sur les montagnes russes, via le drumming impavide de Jim Luijten et la basse obstinée de Vroegh. Bien qu’empruntant sommairement aux mêmes éléments, “Semiotics” achève d’opérer la séduction des (plus si) innocents: si le rock était régulé par le même code que les DC Comics dans les fifties, Tramhaus serait mis au ban de la société sans autre forme de procès. On songe à ces climats pervers et morbides que distillaient Alice Cooper au temps de “Killer” et Killing Joke à celui de “Requiem” pour ce “Worthwhile” aux atours de Golgotha, sur lequel planent les ombres rarement conciliables de Ron Asheton et James Williamson. Entre PIL, Can et Gang Of Four, “The Big Blowout” et “Ffleur Hari” achèvent de nous mettre à genoux, avant que “Past Me” ne conclue en avertissement, à la manière du Tom Joad de Steinbeck. Avec le nouveau Godspeed You ! Black Emperor, voici donc enfin le disque en forme de direct radical au foie qu’appelle notre époque de reddition généralisée. Traduction: réveillons-nous, veaux résignés que nous sommes advenus! Dernier avis avant liquidation.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, October 15th 2024
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