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Le Pouls Intérieur: Sarah Elizabeth Charles et l’art de la transformation
La vision au-delà du style
Ne posons pas ici la question du style. Ce que propose Sarah Elizabeth Charles n’est pas un exercice de classification musicale, mais un acte d’expression artistique à l’état pur, une démarche qui emprunte autant à la musique classique qu’à la pop, au rock ou au jazz. Mais au-delà de ces influences, son œuvre s’impose avant tout comme une construction poétique d’une densité rare.
Chez elle, la musique suit la vision. La voix devient à la fois instrument et miroir, un canal où se fondent pensée, émotion et rythme. À l’instar de Michael Mayo, Sarah Elizabeth Charles évolue dans un univers intérieur où le monde intime de l’artiste prime sur la forme extérieure.
Il n’est donc pas étonnant que la presse se passionne pour elle: «Sarah Elizabeth Charles possède un style vocal d’une grande profondeur, alliant une voix puissante et des nuances subtiles… Elle est en parfaite harmonie avec son groupe.» –Nate Chinen, The New York Times
«Un genre à elle seule… Sarah Elizabeth Charles maîtrise parfaitement son art et le restera sans doute longtemps.» –Joe Tangari, DownBeat
«Une maîtrise technique irréprochable, socle d’une expression audacieuse et débridée, porteuse de convictions politiques et culturelles affirmées: une combinaison aussi rare qu’exaltante, qui évoque Betty Carter et Abbey Lincoln, et, ces cinq dernières années, la ferveur néo-soul teintée de jazz de Sarah Elizabeth Charles.» –Christopher Loudon, JazzTimes
Ces éloges ne sont pas de simples citations, ils reconnaissent une voix qui dépasse les catégories, un art qui habite son propre territoire.
Dawn: L’alchimie du son et de l’expérience
Nous sommes ici au cœur de l’art, au sens le plus strict du terme. Sa voix, lumineuse, familière, ancrée dans la mémoire, évoque certaines figures de la pop des années 1980 et 1990, créant immédiatement un sentiment de reconnaissance. Cette familiarité n’est pas fortuite: l’auditeur, séduit par cette impression de déjà-connu, avance sur un terrain de confiance.
Dawn, son plus récent album, est à la fois ample et intime, ne méditation sur la naissance, la perte, la joie, le deuil, l’espoir et la transformation. Composé sur une période de quatre ans et enregistré en 2024, alors qu’elle était enceinte de six mois de son deuxième enfant, Dawn s’est créé dans le temps même de la vie.
Au fil de sa conception, Sarah Elizabeth Charles a affronté les fausses couches qui avaient précédé chacune de ses grossesses menées à terme, pleuré des êtres chers, célébré la naissance de ses deux fils. En dix titres d’une beauté exquise, Dawn dévoile la complexité de ces expériences avec une transparence et une sensibilité bouleversantes.
Rien, dans sa musique, n’est démonstratif. L’émotion naît de la justesse, non de l’excès. Elle se loge dans la précision du mot, dans l’intention exacte du phrasé. La beauté, chez elle, réside dans l’équilibre trouvé entre la voix, le rythme et l’harmonie. Si l’on tend l’oreille, on perçoit un battement: celui d’un cœur, d’une vie. Les arrangements, d’une délicatesse extrême, viennent en filigrane harmoniser l’ensemble, comme une respiration subtile qui relie toutes les choses.
Mother: La politique de la reconnaissance
Si Dawn murmure à l’oreille, Mother, morceau que Sarah décrit comme du “Sarah classique”, s’affirme avec force. C’est une déclaration, presque un manifeste, pour la visibilité et la reconnaissance de celles et ceux qui donnent la vie.
«J’ai l’impression que “Mother” est une affirmation», dit-elle. «On ne reconnaît pas vraiment le sacrifice, on ne voit pas la contribution. Nous ne comprenons pas l’engagement du corps, de l’esprit et de l’âme.»
Le refrain, puissant, traduit cette vérité: l’énergie réelle qu’il faut pour traverser les expériences de la grossesse, de l’accouchement et de la maternité.
«D’après mon expérience, les gens ne prennent pas le temps de saisir pleinement ce que cela implique, parce que c’est si commun, si évident. Cette chanson est un appel à honorer la complexité de ce travail souvent invisible et sous-estimé.»
Les solos lumineux de Keren, Oh et Harris soulignent la performance magistrale de Charles, transformant Mother en une célébration vibrante, un chant d’affirmation, mais aussi de reconnaissance. Ce n’est pas seulement un hymne à la maternité : c’est une réflexion politique et charnelle sur la création elle-même.
Le moment humain
Ces paroles, ces mélodies, ces gestes musicaux, tout, dans Dawn, résonne avec l’expérience humaine. La musique, la voix, les textes auraient pu devenir un livre, tout comme Lulu on the Bridge fut pour l’écrivain une méditation sur la perte et l’amour. Chaque artiste choisit son médium: l’un l’image ou la page, l’autre le son.
Mais, dans les deux cas, bien au-delà de l’aspect poétique ou personnel, c’est une vision de l’humanité qui s’exprime, à un instant précis, fragile, nécessaire.
Au fond, Dawn n’est pas seulement un album que l’on écoute: c’est une œuvre que l’on ressent, comme un pouls intérieur qui nous rappelle que nous sommes encore, et toujours, en train de devenir.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, November 10th 2025
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Musicians :
Sarah Elizabeth Charles (vocals)
Maya Keren (additional vocals, piano, Rhodes, keyboards)
Linda May Han Oh (bass)
Savannah Harris (drums)
Skye Steele (violin)
Marika Hughes (cello)
Jarrett Cherner (string arrangements — tracks 3, 4, 6, 9)
Tracking List :
1. Rainbow J (3:18)
2. Ground (feat. Linda May Han Oh) (2:13)
3. Discovery (6:18)
4. Miracle (3:55)
5. Kick (6:28)
6. Plans (6:15)
7. Rainbow T (2:20)
8. Mother (5:40)
9. Angel Spark (4:44)
10. Questions (3:48)
Produced by Sarah Elizabeth Charles
Co-postproduction: John Davis
Music and lyrics by Sarah Elizabeth Charles
Recorded at The Bunker Studio, Brooklyn, NY (2024 & 2025)
Engineered by John Davis
Assistant Engineer: Annaliese Stickle
Track 10 Engineered by Aaron Nevezie
Mixed by John Davis
Mastered by Alex DeTurk
Dawn song cycle made possible by Chamber Music America’s New Jazz Works Grant
