PHIL REPTIL (Éponyme)

PeeWee! / Believe / Socadisc
gloubi-boulga

Pour introduire un tel ovni, il faut sans doute commencer par le collectif dont il est une des multiples émanations. À savoir le duo (et désormais trio) underground parisien Zarboth. Son batteur, Étienne Gaillochet, commence à se produire sur scène dès l’âge de 18 ans avec son premier groupe, We Insist. Un quart de siècle et huit albums plus tard, il est toujours en tournée. Parallèlement, il travaille avec de nombreuses autres formations (Nosfell, D’ de kabal, Perio, Blair), et a fondé le groupe Zarboth avec Phil Reptil en 2008, au sein duquel il tourne également, et a déjà enregistré trois LPs. Il a fondé la Compagnie Orienté Bancal en 1999, afin de produire et diffuser ses propres spectacles, et travaillé en 2015 avec la Cie DCA Philippe Decouflé, sur le projet d’hommage à David Bowie à la Philharmonie de Paris, dans lequel il officia en tant que batteur et chanteur. Né à Dublin en 1973 et diplômé de l’École Nationale d’Arts Paris-Cergy en 1998, Macdara Smith enseigne pour sa part à l’École Européenne Supérieure d’Arts de Brest. Parolier, chanteur et trompettiste, il est lui aussi membre de plusieurs groupes de musiques actuelles depuis une vingtaine d’années, dont Zarboth, Think Twice, Electromenager, Underpressure et Onze Onze, avec là encore plusieurs albums à son actif. Quant au guitariste et claviériste Phil Reptil (dont voici déjà le onzième album “solo”), c’est le prototype même du musicien inclassable. A la fois compositeur, réalisateur et interprète dans l’univers électro-acoustique, il hante les scènes alternatives et underground depuis trois bonnes décennies, et se trouve à l’origine, non seulement de Zarboth, mais aussi d’autres formations aux blases tout aussi ésotériques (Osteti, La Theory Du Reptil, Maisons Maquets). Œuvrant tour à tour pour le théâtre, la radio publique (France Culture) et la presse musicale (Guitare et Claviers, Guitarist Magazine, Yeah!, Guitare Planète, Guitare et Jardin), il aligne des collaborations avec Archie Shepp, Tania Maria, Andy Emler, Nosfell, Richard Bona, Etienne M’Bappé, Paco Séry, Cheick Tidiane Seck, Médéric Collignon, Mina Agossi ou encore la chorégraphe Carolyn Carlson. En marge de toutes les chapelles (“soit dans tous les tiroirs, soit dans aucun”, comme l’énonce Etienne Gaillochet), Reptil ne pouvait manquer d’attirer l’attention du label PeeWee! récemment réactivé (deux de ses albums, et le dernier de Zarboth y furent notamment publiés). Outre les piliers du Studio Sextan (Sophia Domancich, Claude Tchamitchian et Simon Goubert) et ses deux complices Zarbothiens, Phil a rameuté pour l’occasion la guitariste et vocaliste Carole Agostini, ainsi qu’une vieille connaissance en la personne du chanteur Nosfell. S’ouvrant sur une paisible ballade instrumentale à deux guitares électriques (Reptil et Carole Agostini) introduisant le languide “Goe” (où le timbre haute perché de Nosfell n’est pas sans rappeler celui du regretté Jeff Buckley), le périple se poursuit, via l’instrumental aérien “Cherubino” (que Reptil interprète seul), en abordant le déjà plus singulier “Ayana”, où la narration parlée par Macdara Smith se mêle au chant de Carole Agostini en suomi (dialecte finnois), tandis qu’outre la guitare acoustique, le bouzouki et les loops, Reptil y assure les percussions sur verres accordés (à la manière d’un verrillon), et que Sophia Domancich officie au piano. Reptil revient ensuite à la guitare acoustique en solo pour le délicat instrumental “Il Viscomte Dimezzato”, avant le second cameo de Nosfell sur “Guru” (dont ce dernier signe le texte). Son timbre féminin ré-emprunte des accents Buckleyiens, tout en alternant avec un refrain nettement plus guttural, et l’on s’y trouve dès lors au croisement du Led Zep III et de Beefheart. Vient ensuite la pièce de résistance, ce “Profondo Rosso” de 8’35 (dédié à Dario Argento) qu’interprètent en trio la contrebasse de Claude Tchamitchian, les baguettes de Simon Goubert et les six cordes électriques de Phil. S’ouvrant sur des riffs et des roulements aussi puissants que saturés, cette pièce bifurque à tiers-parcours vers une tension moins extravertie, d’où sourd néanmoins toujours une menace volcanique induite. On songe au King Crimson de “Red” et de “Lark’s Tongue In Aspic”, bien que le jeu du Reptil ne s’y apparente que partiellement à celui de Robert Fripp (mais en fait davantage à celui d’un Bill Frisell en furie). Par contraste, l’apaisé “Kuun Laulu” (“la chanson de la lune”) propose un duo entre le piano céleste de Domancich et la guitare électrique 8 cordes (!) de Phil. Juste porté par les arpèges de ce dernier, “A Life Of Suffering” est une harangue de son cru déclamée par un Macdara Smith stoïque, dans l’esprit des débuts de John Cale en solo, tandis que Carole Agostini prodigue en arrière-plan ce que le livret désigne comme “le chant des sirènes“. Sirènes auxquelles se substituent ensuite les fameuses huit cordes de l’instrument amplifié du Reptil, sur l’instrumental ” Listen To The Sirens”. On le retrouve à nouveau seul, officiant au bouzouki, au “sound design” et à la “boîte à musique” sur l’abscons “Still Frenzy”, s’apparentant davantage au bruitage de cinéma qu’à quoi que ce soit d’autre, comme l’évoquent ses huit mouvements déclinés. Dédié à son compagnon de label Andy Emler (chroniqué ICI et ICI), “Walking Andy Suite” est un autre instrumental placide à la guitare électrique, de même que le “What Is Love” qui conclut cet album, certes parfois aussi déconcertant qu’annoncé, mais d’une indéniable beauté, tour à tour convulsive et contemplative. Ce Reptil là n’est assurément pas qu’un animal à sang froid.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, August 17th 2023

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