MONSTER MIKE WELCH – Nothing But Time

Gulf Coast Records
Blues
MONSTER MIKE WELCH - Nothing But Time

Alors qu’il vient de fêter son 44ème anniversaire, Monster Mike Welch n’est plus exactement le wonder-kid que le show-biz poussa sur les routes voici près de trois décennies. Son expérience en tant que leader, mais aussi en partenariat avec Duke Robillard, Sugar Ray Norcia, Darrell Nulisch et Nick Moss, en ont fait l’un des dépositaires les plus accomplis d’une lignée remontant, via les frères Vaughan, jusqu’à Albert Collins, Magic Sam et Otis Rush. C’est lors de sa collaboration avec Moss qu’il noua accointance avec le chanteur de la formation de ce dernier, Mike Ledbetter (lointain parent de Leadbelly). Ces deux larrons commirent en 2017 l’excellent “Right Place Right Time”, et l’on s’attendait alors à ce que leur complicité perdure. Le destin en décida autrement, puisque Ledbetter décéda brutalement en janvier 2019, suite à une crise d’épilepsie. Le sort s’acharnant manifestement, Mike contracta ensuite un COVID long qui l’invalida des mois durant, le tenant éloigné de la scène comme des studios. C’est dire si son retour était attendu avec impatience, et avec quel plaisir on le retrouve ici sous la houlette de Kid Andersen (qui produit ces sessions depuis son fameux Greaseland à San Jose) et Mike Zito (qui signe notre prodige sur son propre label maison). Après Tone-Cool (voici plus d’un quart de siècle déjà), BGB, 95 North Records, Severn et Delta Groove, revoici donc la carrière de notre Bostonien entre bonnes mains. Si l’on ajoute à ce casting (outre Andersen lui-même à la basse occasionnelle et à divers claviers) le pianiste Bob Welsh, le grand Jerry Jemmott à la basse et une demi-douzaine de cuivres variés, on découvre avec ravissement le nouvel occupant du tabouret de batterie, en la personne de notre compatriote Fabrice Bessouat (déjà comparse de tant d’artistes américains, et aussi membre fondateur des Lowland Brothers). Album de retrouvailles au sens littéral, celui-ci débute de la manière la plus torride, avec un “Walking To You Baby” où, que ce soit par la flamme qu’y insufflent les six cordes saturées de Mike ou par son timbre vocal (désormais résolument mature), la fièvre du jeune Otis Rush (celui de ses premiers enregistrement Cobra) dégorge à pleins jets, portée par un Bessouat aussi déterminé qu’au fond du temps, et des cuivres lancinants dignes de ceux qui nimbaient jadis la seconde incarnation du Butterfield Blues Band. Après pareille introduction, une première cover du vénéré Robert Johnson (“If I Had Possession Over Judgement Day”) ne laisse guère décroître la pression: Andersen  y passe à la contrebasse et Bessouat aux balais, tandis que Mike y slide et brame avec frénésie, comme s’il avait effectivement aux trousses les molosses de l’enfer! Avec son orgue, ses cuivres et ses chœurs féminins, le mid-tempo “I’ve Got Nothing But Time” nous entraîne en territoire southern soul, mais n’allez pas imaginer que la guitare du Welch s’y révèle moins démonstrative pour autant. On n’avait en tout cas jamais ouï Mike vocaliser avec autant de puissance et d’assurance, au point que ce bluesman consommé semble désormais en mesure d’ajouter la ligne soul man à son curriculum. Verdict que confirme la surprenante reprise du “I Me Mine” de George Harrison (parue initialement sur le “Let It Be” des Scarabées), que le band transpose sur le mode qu’aurait pu y adopter Buddy Guy au temps de sa splendeur sixties. Sur le rhythm pattern du du “One Way Out” de Rice Miller (et du “Watch Your Step” de Robert Parker), “Offswitch Blues” est tronçonné d’une fulgurante slide façon Elmore James, tandis qu’en échappée chorus, le manche de Mike atomise le bar. Le swing shuffle cuivré “I Ain’t Sayin'” rallie la veine à laquelle ce dernier contribua près de 18 ans durant auprès de Sugar Ray Norcia, avant que le funk blues que pratiquait Freddie King au terme de son parcours terrestre ne prenne le relais avec “In Case You Care”. Là encore, tous aux abris question guitare: Bonamassa et autres shredders de pacotille n’ont plus qu’à retourner à leurs chères études, d’autant que le mambo “Time To Move” renoue à nouveau avec la fibre “All Your Love” de Otis Rush (à laquelle puisèrent ensuite Peter Green et un certain Carlos S.). Bessouat, Welsh, Andersen et des cuivres aux petits oignons y contribuent avec brio, mais le boogie façon “Feelin’ Good” de Junior Parker embraie pour un “Losing Every Battle” en forme de cavalcade. Plus Otis Rush que jamais (et si proche de son “Double Trouble”), “Hard To Get Along With” persiste à indiquer, telle une boussole, vers quel pôle s’obstine à tendre notre Monster favori (tout apprenti guitar pupil y trouvera à nouveau matière à dissection pour quelques semestres). Le bien intitulé “Jump For Joy” ne nous libère furtivement de l’emprise du gaucher du West-Side que pour nous lancer sur la piste de Riley Ben King et de ses souffleurs invétérés, avant d’en transmettre le témoin au jeune Buddy Guy, pour une adaptation pétrifiante de son “Ten Years Ago”, au fil de laquelle Mike démontre sa totale assimilation de l’alternance des climats tension et détente, ainsi que de son nouveau statut de blues-shouter. Nous n’ajouterons qu’un mot: wow… L’instrumental “Afraid Of My Own Tears” (Parts 1 & 2)” ne se réduit pas une obtuse démonstration de virtuosité, mais rejoint au contraire l’inspiration d’un Albert King période Stax, pour emprunter une chaleureuse touche gospel qu’accentuent le Hammond B3 d’Andersen et un tambourin bienvenu, renforçant le southern beat qu’y imprime Bessouat. Prix Donald Duck Dunn 2023 de la most grooving bass à Jerry Jemmott, avec les félicitations du jury! Mike ferme le ban en solo sur une version épurée du “Kind Hearted Woman” de Robert Johnson, dont les exégètes s’évertueront à comparer les mérites avec celle d’un certain Clapton. Ne cultivons pas pour autant quelque débat stérile visant à décréter si ceci s’avère ou non son meilleur album: c’est assurément l’une des toutes meilleures parutions du millésime en cours. Sur le plan du groove, de l’émotion, de l’interprétation comme de l’inspiration, les sommets y abondent, au point que c’en devient vertigineux… Vivement la preuve sur les planches!!!

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, July 2nd 2023

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