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Gary Bartz à 83 ans: toujours à l’écoute, toujours en quête, toujours en avance!
À première vue, le nouvel album de Gary Bartz, Damage Control, pourrait sembler être un projet trop lisse, presque commercial. Le choix des chansons est familier, puisé dans les répertoires de Curtis Mayfield, Anita Baker, Patti LaBelle, Debarge, et la liste des musiciens ressemble à un casting de stars du jazz. Mais cette impression s’effondre dès les premières minutes d’écoute. Il ne s’agit pas d’un disque conçu pour flatter la nostalgie ou pour vendre. C’est une prise de position: celle d’un artiste de 83 ans qui refuse de se reposer sur ses acquis, dont l’oreille reste tournée vers le présent, et dont la musique continue d’ouvrir des dialogues plutôt que de distribuer du confort.
Bartz a déjà prouvé sa modernité. En 2021, le label visionnaire Jazz Is Dead lui consacrait son sixième disque, en collaboration avec Adrian Younge et Ali Shaheed Muhammad. Le projet montrait combien Bartz pouvait naviguer entre les époques, portant l’esprit du bebop et du jazz spirituel dans un langage contemporain qui séduisait une nouvelle génération. Ce disque avait alors reçu un accueil enthousiaste, de Paris à Los Angeles. Avec Damage Control, Bartz bifurque à nouveau, cette fois vers des chansons qu’il aime jouer chez lui, quand le monde ralentit. «Ce sont des morceaux qui m’aident à me détendre», explique-t-il. «Ils me font du bien.»
Mais «détente» est un mot relatif. Ces titres ne se contentent pas de flotter en arrière-plan. Sous la direction de Bartz, ils se transforment en paysages méditatifs, traversés par une curiosité harmonique et un goût constant pour l’improvisation. Les standards de la soul restent reconnaissables, mais Bartz les déconstruit, les réassemble, et en fait une matière neuve. Son saxophone, rauque, lyrique, insistant, refuse de traiter ces chansons comme des reliques intouchables. Il les aborde comme des éléments vivants.
Cette liberté est sa marque depuis six décennies. Né à Baltimore en 1940, Bartz a grandi dans un contexte où le jazz était autant une forme musicale qu’un acte politique. Sa trajectoire croise toute l’histoire de la musique noire américaine d’après-guerre: le Jazz Workshop de Charles Mingus, les Jazz Messengers d’Art Blakey, des collaborations avec McCoy Tyner, Max Roach, Abbey Lincoln, et bien sûr Miles Davis. Dans les années 1970, son groupe Ntu Troop est devenu un laboratoire de jazz spirituel et politique; ses disques avec les frères Mizell ont exploré le jazz-funk ; et, bien plus tard, les producteurs de hip-hop ont puisé dans son catalogue. A Tribe Called Quest, Warren G et 9th Wonder, entre autres, ont samplé son travail, faisant entrer son son auprès d’un public qui ignorait peut-être son nom mais reconnaissait sa signature.
Son influence est immense: plus de 45 albums en tant que leader, plus de 200 en tant que sideman, et, l’an dernier, une consécration comme «Jazz Master» par le National Endowment for the Arts, l’une des plus hautes distinctions musicales aux États-Unis. On peut, sans excès, le qualifier de trésor national.
Et pourtant, Bartz refuse qu’on le range dans un musée. Pour lui, la musique échappe aux étiquettes. «Ce n’est pas parce qu’un morceau passe en club qu’il doit être appelé R&B », dit-il. « La musique transcende les catégories. On ne peut pas l’expliquer. Ce sont des sons.»
Mais ces sons portent un poids politique. L’art de Bartz a toujours eu une portée sociale, même quand les notes ne sont pas explicitement militantes. À la fin des années 1960, il a songé à rejoindre les Black Panthers avant de choisir son saxophone comme arme. Le titre Damage Control, emprunté au vocabulaire maritime et médical, renvoie à l’effort de maintenir un navire à flot ou de stabiliser un corps blessé. La métaphore n’a rien d’anodin. «Je ne me suis jamais senti en sécurité dans ce pays. Pas un seul jour», confie-t-il. L’album devient ainsi un refuge, pour lui comme pour ses auditeurs.
Ce refuge est pourtant traversé de joie. Sur plusieurs morceaux, Bartz chante. Sa voix, fragile mais chaleureuse, humaine et directe, donne à l’album un caractère inoubliable. Dans quelques années, on se souviendra peut-être de ce disque pour cette audace: «Tu te rappelles de l’album de Gary Bartz où il chantait…?»
Damage Control agit aussi comme un rappel de continuité. Bartz est l’un des derniers musiciens en vie à avoir joué aux côtés de Mingus, Roach, Tyner, Blakey et Davis. Il incarne une lignée qui va du bebop au hip-hop, du jazz militant à l’improvisation contemporaine. Sa musique porte cette histoire, non comme un fardeau, mais comme un fil conducteur.
En fin de compte, Damage Control ne parle pas seulement de blessures, mais de résilience. C’est l’œuvre d’un artiste qui a traversé les époques, qui s’est adapté, qui continue de créer. C’est aussi un cadeau: la preuve qu’à 83 ans, Gary Bartz reste à l’écoute, en mouvement, en tête.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, September 3rd 2025
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Musicians :
Gary Barts, Vocals, Saxophone Alto
Barney Mcall, piano & keyboards
Tarron Crayton, Bass
Om’Mas Keith, Drums & Percussions
Sam Anning, Acoustic Bas, Electric guitar
Brandee Younger, Harp
Ellias Mcall, Nylon String Guitar
Theo Crocker, Trumpet
Miles Kahlil, Tenor Saxophone
Rita Stach, Background & Lead Vocals
Juwett Bostick, Guitar
Spaceman Patterson, Guitar
Kamasi Washington, Tenor Saxophone
Terrace Martin, Alto Saxophone
Nile Rogers, Guitar
Dominique Sanders, Bass
Cory Henry, Organ
Daniel Merriwather, Lead & Backgrounds Vocals
Shelly Fka Dram, Vocals
Track Listing :
Fantasy
One Hundred Ways
In Search of My Heart/ Love Surrounds Us Everywhere
The Making of You
You Bring Me Joy
You are my Starship
Slow Jam
If Only You Knew
Biggest Part of Me
Love Me in a Special Way
Tour Dates :
Sun 11/9/2025 Utrecht, NL Le Guess Who? @Grand Hall
Tue 11/11/2025 Helsinki, FI G Livelab
Wed 11/12/2025 Tampere, FI G Livelab
Mon 11/17/2025 Berlin, DE Gretchen
Wed 11/19/2025 Gdansk, PL Monk Club @ KOT
Thu 11/20/2025 Warsaw, PL Jassmine
Sun 11/23/2025 Cagliari, IT Jazz In Sardegna
Wed 11/26/2025 London, UK Union Chapel
Thu 11/27/2025 Paris, FR Duc Des Lombards
Fri 11/28/2025 Paris, FR Duc Des Lombards
Sat 11/29/2025 Paris, FR Duc Des Lombards
Thu 02/26/2026 LPR, NYC