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Un rêve gravé dans le son: «Gadabout Season», une vision transcendante du jazz afro futuriste
Pour ceux qui connaissent déjà les explorations du world-jazz des années 70 et 80, Gadabout Season ne représentera peut-être pas un choc stylistique. Et pourtant, cet album est tout sauf prévisible. Ce qui le hisse bien au-dessus de la norme, ce n’est pas seulement sa filiation artistique, mais la force de son exécution: une vision curative affirmée, des arrangements d’une grande finesse, et surtout, l’ensemble exceptionnel de musiciens réunis autour de la harpiste et compositrice Brandee Younger.
Ce disque évite tous les écueils qui ont parfois réduit le jazz spirituel à une caricature. Il s’impose au contraire comme une œuvre singulière, riche en émotion et en délicatesse, mon coup de cœur incontesté de la semaine.
Certes, Gadabout Season convoque des échos de mysticisme africain et une qualité éthérée propre au jazz cosmique. Mais ce n’est pas ce qui en fait un album inoubliable. Ce disque est avant tout une véritable invitation: à la paix, à l’amour, à l’évasion poétique. C’est un album narratif au sens le plus noble, une histoire racontée à travers des arcs mélodiques subtils et une texture sonore raffinée, portée par la voix musicale unique de Younger.
Cette vision a pris forme notamment grâce au bassiste et producteur Rashaan Carter, dont le rôle a été aussi intime qu’essentiel. Carter a enregistré l’intégralité de Gadabout Season dans l’appartement même de Younger, à Harlem, transformant sa seconde chambre en studio improvisé. Pendant plusieurs mois au second semestre 2024, tous deux ont mené un processus créatif lent et organique. «J’ai l’habitude d’enregistrer tout d’un seul bloc en studio », confie Younger. «Mais cette fois, il fallait laisser le temps à la musique de se révéler». À la fin de chaque session, le trio, avec le batteur Makaya McCraven, restait pour esquisser de nouvelles idées, improviser librement. De ces instants de lâcher-prise sont nés certains des morceaux les plus marquants de l’album: “Reckoning”, «Discernment» et «End Means», fruits d’une spontanéité encadrée par une précision chirurgicale.
Le mystère de l’album prend sans doute sa forme la plus profonde dans le choix même de l’instrument: la harpe. Mais pas n’importe quelle harpe, un instrument chargé d’histoire et d’aura. Celle qu’utilise Younger appartenait autrefois à Alice Coltrane, grande prêtresse du jazz spirituel. Elle en est devenue la gardienne l’an passé, après une restauration minutieuse menée dans le cadre de The Year of Alice, une série d’hommages et d’événements organisée en collaboration avec le label légendaire Impulse! Younger reconnaît avoir eu besoin de temps avant de se sentir digne de l’instrument. «Il fallait que je m’en empare, que je me l’approprie», dit-elle. «Ce n’était pas la première fois que je jouais de la harpe, bien sûr, mais cette musique était nouvelle, et je devais vivre avec elle, la laisser habiter mon foyer.»
Un respect amplement justifié. Car les instruments à cordes anciens possèdent une forme d’alchimie sonore qui défie l’analyse. Une harpe neuve peut produire un son limpide, mais une harpe ancienne porte autre chose, une âme, une histoire. Le cristal du son entendu ici ne tient pas uniquement au talent de Younger, mais aussi à la vie accumulée de l’instrument: des milliers d’heures de jeu, des décennies d’humanité. Ce sont aussi des vernis, des bois, des techniques de lutherie transmises sur plusieurs générations. Des objets de musique devenus objets d’art.
Pour autant, Gadabout Season n’est pas tourné vers le passé. Il regarde droit vers l’avenir. L’usage évolutif que fait Younger de textures électroniques et de techniques étendues de harpe donne naissance à ce que Carter décrit comme une «palette sonore afro futuriste». Le morceau-titre incarne parfaitement cet esprit, à la fois onirique et interrogatif, il explore l’idée de personnalité projetée vers l’extérieur, de masque sonore. C’est une œuvre immersive, mais jamais gratuite; lumineuse, mais jamais légère.
Ce n’est pas un album à écouter d’une oreille distraite. De prime abord, il peut sembler serein, voire simple. Mais pour vraiment le comprendre, et l’aimer, il faut une connaissance approfondie du jazz contemporain. Car c’est bien là un album exigeant, qui s’adresse à l’oreille attentive. À ceux qui s’y abandonnent, Gadabout Season ne propose pas seulement un univers sonore: il offre une vision. Une atmosphère. Un sens.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, June 23rd 2025
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Musicians :
Brandee Younger, harp
Rasham Carter, bass
Alain Mednard, drums
Shakaba, Flute, clarinet
Makaya McCraven, drums, percussions
Joel Ross, vibraphone
Ele Howell, drums
Nia, vocals
Courtney Brian, piano, Fender Rhoodes
Josh Johnson, Saxophone
Tracklist :
Reckoning
End Means
Gadabout Season
Breaking Point
Reflection Eternal
New Pinnacle
BBL
Unswept Corners
Discernment
Tour Dates:
July 3, 2025 – Ljubljana Jazz Festival – Krizanke, Ljubljana, Slovenia
July 4, 2025 – Ghent Jazz Festival – De Bijloke, Ghent, Belgium
July 8, 2025 – Montreux Jazz Festival – Montreux, Switzerland
August 10, 2025 – NoMad Jazz Festival – Sofia, Bulgaria
October 5, 2025 – Jazzfest Brno – Cabaret des Péchés, Brno, Czech Republic
October 7, 2025 – Enjoy Jazzfestival – Kulturhaus Karlstorbahnhof, Heidelberg, Germany
October 10, 2025 – Jassmine – Warsaw, Poland
October 18, 2025 – Hopkins Center for the Arts – Hanover, NH
November 3, 2025 – Jazzfest Budapest – Eiffel Art Studios, Budapest, Hungary
November 4, 2025 – Conservatori del Liceu Auditori – Barcelona Jazz Festival, Barcelona, Spain
November 6, 2025 – Teatro Isabel la Católica – Granada, Spain
November 8, 2025 – Rockit! Festival – De Oosterpoort, Groningen, Netherlands
November 13, 2025 – Bowker Auditorium – Amherst, MA
November 14-16, 2025 – SOUTH Jazz Kitchen – Philadelphia, PA