Daoud – OK (FR review)

ACT – Street date : August 29, 2025
Jazz
Daoud – OK

Daoud est bien plus que simplement “OK” — son nouvel album explore le jazz, le funk et la complexité émotionnelle.

Dès les premières notes de son nouvel album ok, une chose est certaine: Daoud ne se contente pas d’explorer, il affirme. Jazz, funk, hip-hop, sans oublier des touches de rock et d’afrobeat,  tout est là, non pas juxtaposé, mais tissé dans une trame émotionnelle profonde. Le trompettiste, compositeur et producteur autodidacte franco-algérien trouve aujourd’hui un nouveau terrain d’expression sur le prestigieux label allemand ACT. Et avec cela, un espace pour affirmer un son aussi intellectuellement riche qu’émotionnellement brut, ancré à la fois dans la décrépitude urbaine et dans l’héritage des Lumières.

Ce n’est pas un jazz de compromis, ni un projet calibré pour séduire à grande échelle, comme a pu le proposer un Ibrahim Maalouf. L’approche de Daoud est plus sombre, plus subtile, plus introspective, un monde sonore où le brisé et le sublime coexistent à parts égales. OK se distingue nettement des productions jazz plus policées venues d’Amérique du Nord. Il porte la poussière brute des banlieues européennes, intellectuellement appauvries mais spirituellement en quête. C’est un album autant sur la désillusion que sur la resilience, pas seulement dans ses thèmes, mais dans sa structure, son son, son attitude.

Daoud décrit l’album comme “entièrement construit autour de l’idée d’une acceptation réticente des choses qu’on ne peut pas contrôler. Bon, tant pis, j’imagine.” Le ton est ambivalent, à la fois résigné et combatif. En 14 morceaux, il explore l’échec, la perte, la répétition, et l’absurde rituel de faire comme si tout allait bien. ok est un album de contradictions: une satire sincère, une joie douloureuse, une mélodie qui s’effrite dans le bruit. L’émotion est tendue, on entend les choses se briser doucement, on perçoit la résilience masquée par l’habitude, ce “ça va” qui cache tout sauf un réel bien-être.

Ce ton personnel résonne parce qu’il touche un malaise plus large. Depuis une quinzaine d’années, l’Europe traverse une forme de crise existentielle. Le coût de la vie a explosé, les perspectives à long terme se sont effondrées, l’urgence est devenue quotidienne. Pour un artiste comme Daoud, cette réalité n’est pas une toile de fond, mais une matière première. Il en tire ok, un album qui ne se contente pas de refléter son époque, mais qui la digère, la transforme, l’élève. C’est une ode à la dissonance émotionnelle: la joie d’enfant dissimulant des douleurs d’adulte, des textures chaleureuses masquant des vérités froides.

Musicalement, Daoud ne “mélange pas les genres”, il les transforme en textures émotionnelles. Jazz, hip-hop, drum’n’bass, disco, afrobeat: ce ne sont pas des esthétiques à explorer, mais des couleurs dans une fresque surréaliste. Par moments, la mélodie apaise; puis vient un clin d’œil ironique, comme cette reprise fugace de la comptine À la pêche aux moules glissée dans “ip. A.m”. Ce jeu constant, entre le sacré et le dérisoire, l’intime et le théâtral, définit l’univers de Daoud.

Et cela se voit. La pochette de l’album montre une photo d’enfance de Daoud, capturant cette vulnérabilité brute qui traverse toute sa musique. Les pochettes des singles, quant à elles, sont illustrées de dessins naïfs au feutre noir, renforçant l’esthétique de la fragilité, de l’impermanence, de cette tension douce-amère entre légèreté et douleur.

Pour vraiment saisir l’œuvre, il faut connaître l’homme. La vie de Daoud tient du roman picaresque postmoderne: il a erré à travers l’Europe et les États-Unis, dormi dans des arrière-boutiques, livré des pizzas, travaillé dans des pompes funèbres, joué au foot et boxé de manière obsessionnelle. Il a arrêté la musique plusieurs fois, non pas par échec, mais par besoin vital. “Je crois que j’ai arrêté parce que cela comptait trop pour moi,” dit-il. “J’avais besoin de prouver que je pouvais exister sans elle.” Mais la musique l’a toujours rattrapé. Cette fois, il y revient à sa façon. Trompettiste, beatmaker, ingénieur du son, compositeur: il a tout appris seul. “Je suis tellement reconnaissant de vivre à l’ère d’Internet. Si tu veux apprendre, tu peux tout apprendre.”

Cette soif de création ne faiblit pas. Il travaille jusqu’à 18 heures par jour, 7 jours sur 7. Son premier album, GOOD BOY, autoproduit et enregistré en seulement trois jours en 2024, a immédiatement marqué les esprits par sa force émotionnelle et son refus des étiquettes. Depuis, Daoud écrit et produit pour des artistes de la pop et du hip-hop, tout en affinant sa voix propre.

Si GOOD BOY était une présentation brute, OK est une œuvre mûrie. Il ne se contente pas de repousser les limites, il en interroge le sens même. Il y a chez lui une forme de folie méthodique, à la manière du flugelhorniste français Médéric Collignon. Mais là où Collignon pousse l’abstraction musicale, Daoud tire sa radicalité de l’urbain, du bruyant, de l’impur. Il joue avec la tension comme un clown avec son public, une métaphore fondatrice pour lui. “Je suis obsédé par les clowns depuis l’âge de trois ans,” se souvient-il. “J’ai dû en voir un jouer de la trompette à la télé, et je me suis dit que c’était l’instrument que devait jouer un clown.” Cette image, absurde, théâtrale, tragique, résume à elle seule son rapport à la musique.

Daoud, donc, est bien plus que “ok”. Il est une force singulière qui trace son chemin dans le jazz moderne et bien au-delà. Son œuvre est imprévisible mais jamais gratuite; excentrique mais rigoureuse. Il ne cherche pas à plaire, il crée par nécessité, par urgence. Et ce faisant, il nous offre quelque chose de rare: une musique qui exprime ce que signifie vivre aujourd’hui, non à travers des slogans, mais par des vérités subtiles, fragmentées.

Oui, Daoud, c’est OK! Definitivement OK!

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, July 2nd 2025

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To buy this album

Website

Musicians :
daoud:  trumpet, flugelhorn, synthesizers, ondes Martenot
Silvan Strauss: drums, percussions
Louis Navarro: double bass
Leo Colman: synthesizers, piano, Fender Rhodes
Jules Minck: synthesizers, electric bass, electric guitar
Quentin Braine: additional percussions
Kuz: additional keyboards, sound design, additional production

Special guests: corto: alto trombone, Mehdi Nassouli: guembri, Charlie Burg: tenor saxophone, Teis Semey: electric guitar, Kuba Więcek: alto saxophone; Julien Fillion: tenor saxophone; Ludivine Issambourg: flutes; Rosie Frater-Taylor: vocals, electric guitar

Tracklist :
1. Dijon – Daoud
2. Plato s Twins – Daoud
3. La Fièvre (Feat. Mehdi Nassouli) – Daoud
4. L oeil De Jules – Daoud
5. Ame – Daoud
6. 3114 (Feat. Teis Semey) – Daoud
7. Le Bâtard (Feat. Kuba Wiecek) – Daoud
8. Everything But Sex – Daoud
9. Soda (Feat. Julien Fillion) – Daoud
10. Plagiat – Daoud
11. L.p.a.m. (Feat. Ludivine Issambourg) – Daoud
12. Mathilde – Daoud
13. Ck (Feat. Rosie Frater-Taylor) – Daoud
14. Loulou & the Loulous – Daoud