Interview de TYO BAZZ

Interview de TYO BAZZ
ITW préparée et réalisée par Alain AJ-Blues – rédacteur en chef adjoint, Paris-Move
Photos: © Alain AJ-Blues

Conversation intime avec un Chevalier Troubadour en quête du Graal.

Jean-Marc Sauret, dit ‘Tyo Bazz’ est un lointain cousin du ‘Bobdylan’, il vous emporte au carrefour de la culture folk-blues aux belles harmonies et de la riche culture littéraire de la chanson française. Elle s’est nourrie à l’ombre des Brassens, Barbara, Ferré et autres Gainsbourg. Cet enfant illégitime de Robert Johnson et de Georges Brassens use de l’improvisation qu’offre le blues, de la fluidité du folk et de la rigueur poétique qui donne cette force à ses textes. Il les veux toujours sensés et sincères.

‘Tyo Bazz’ est un sociologue troubadour de la vie ordinaire, ‘One Man Band’, dont la raison d’être est de participer à l’avènement d’un monde meilleur, plus humain et plus fraternel. Parce qu’il pense qu’une bonne chanson vaut mieux qu’un long discours, auteur-compositeur, il réalise et commet ses chansons en s’accompagnant de ses harmonicas, de sa guitare picking et blues-roots, ainsi que de percussions aux pieds, de type ‘Stomp-boxes’, qu’il s’est fabriquées.

Alain AJ-Blues : Tyo et Catherine, c’est un immense plaisir de vous recevoir tous les deux. Le temps passe, mais qu’importe le temps lorsqu’on a des amis. Nous nous retrouvons aujourd’hui comme si nous nous étions quittés hier. Un grand merci également, Tyo, de nous accorder cette interview pour Paris-Move.
Tyo Bazz : Le plaisir est entièrement partagé. Catherine et moi vous remercions pour cette invitation. Je te remercie pour cette proposition, cette interview pour Paris-Move, c’est un honneur pour moi.

Alain AJ-Blues : Tyo, pour les lecteurs qui ne te connaissent pas encore, j’ai envie, si tu le veux bien, qu’ils te découvrent et fassent connaissance avec toi au fil de ta discographie, de tes six albums. Car dans tes chansons, dans tes fresques de la vie, entre ombre et lumière, chacun de nous peut se reconnaitre un jour ou l’autre, car elles offrent toujours matière à réflexion. Alors, page après page, feuilletons ensemble ce livre grand ouvert, emprunt de poésie. Partageons tous ces regards que tu portes sans aucun détour sur ce monde qui nous entoure.
Tyo Bazz : Je suis d’accord, Alain, pour parler de mes chansons. Mon premier album date de 2009 et se nomme “Imparfait. Contes Blues et autres histoires vraies”. Je l’ai commencé en 2008 et je l’ai fait très lentement. Je pensais à l’époque que je ne ferai qu’un seul album, celui là, qui témoignerait, si je peux dire, de mes oeuvres. Je voyais un peu large (rires). J’ai enregistré cet album, “Imparfait”, chez un ami, Tony Ballester, qui est un copain d’enfance de Montauban et un fabuleux bassiste. Il jouait avec Nilda Fernandez, les musiciens des Gipsy Kings, et il était également le contrebassiste du Golden Gate Quartet. Donc lors de l’enregistrement de cet album, Tony habitait dans un appartement avec sa compagne, près de Paris, du côté de la Porte de Montreuil. Nous avons enregistré dans le studio de son appartement chaque instrument, l’un après l’autre, et à la fin je faisais le chant. J’y allais tous les après-midi pour enregistrer une chanson. Je n’avais pas l’habitude d’enregistrer de cette façon et je n’ai jamais recommencé à le faire. Mes cinq autres albums sont des enregistrements en mode ‘live’, chez moi, à la maison. Je joue et je chante d’une traite, sans coupures ni montage.

Alain AJ-Blues : Donc depuis, tu enregistres seul, chez toi, avec tes instruments. As- tu un studio pour effectuer ce travail?
Tyo Bazz : J’ai une pièce, chez moi, que j’appelle “mon bureau à musique”, avec toutes mes guitares accrochées au mur, mes harmonicas et mon ordinateur. Toutes les vidéos que l’on peut découvrir sur Youtube sont réalisées dans cette pièce.

Alain AJ-Blues : Quels sont les thèmes abordés dans les chansons de ce premier album?
Tyo Bazz : En fait, je n’avais absolument rien prévu concernant le choix de ces douze chansons. C’est au moment même où je partais pour enregistrer chez Tony Ballester, que je me disais: “Tiens aujourd’hui, je vais faire celle là”. Toutes ces chansons sont celles où j’exorcisais quelque chose. Je sortais d’une période où j’ai vu “partir dans la sciure” plein de copains et de membres de la famille. Il a fallu que je me débarrasse dans cet album, ‘Imparfait’, de tout ce qui m’avait fortement touché et bousculé.

Alain AJ-Blues : Pour résumer, nous pouvons dire, je pense, que cet album est l’imparfait de la vie.
Tyo Bazz : Bien sûr, c’est l’imparfait de la vie. Tout est imparfait, le CD est imparfait, alors acceptons que la chanson soit imparfaite.

Alain AJ-Blues : Mon cher Tyo, nous sommes, toi et moi, des personnes sensibles, alors abordons le thème de cette superbe chanson ‘Alzheimer’, car elle m’a profondément touché et me touche toujours autant. Aujourd’hui encore, à l’instant même, pour en parler avec toi, croisant ton regard, nos yeux s’humidifient, mais laissons parler nos coeurs. Souvent je dis, évoquant cette terrible maladie, l’avoir “vécue”, car j’ai tant accompagné mon père durant plusieurs années jusqu’à son dernier souffle, en mai 2010, emporté par cette maladie d’Alzheimer.
Tyo Bazz : Je sais, Alain. Nous avons passé une journée ensemble peu après le décès de ton père, d’ailleurs, je m’en souviens très bien, tu m’en avais fait part. Ce sujet me touche également. J’ai écrit cette chanson ‘Alzheimer’ pour un cousin lointain qui était l’époux d’une amie d’enfance de Catherine. Tu m’excuseras, Alain, les larmes aux yeux me montent… il s’appelait Claude, il avait beaucoup d’humour et était un peu plus âgé que moi. Un jour nous apprenons de son épouse que plus rien n’allait, il s’engueulait avec elle, il devenait irascible et insupportable, jusqu’au moment où ses proches se sont aperçus que Alzheimer arrivait. Ensuite, la maladie a évolué très vite. Un jour, il vient manger à la maison et me dit: “Je sais, je souffre de l’Alzheimer”, et nous en avons parlé ensemble. Dans les derniers temps, il avait beaucoup changé, il jouait tout de même de l’harmonica, mais son état s’était beaucoup dégradé et un cancer du pancréas l’a emporté. C’est pour cela que je dis dans cette chanson que le crabe était un Saint Christophe qui l’a conduit dans l’au-delà pour lui épargner d’autres souffrances.

Alain AJ-Blues : Après ces forts moments émotionnels, changeons de sujet, Tyo, et conte nous cette chanson intitulée ‘Histoire de rue’.
Tyo Bazz : Quand je suis arrivé à Paris, j’ai vécu dans différents endroits, dont le quartier de Pigalle. En partant, je croisais chaque matin bon nombre de péripatéticiennes. J’avais hébergé un copain qui avait une vénération pour les prostituées, non pas pour ‘monter’ avec elles, pas du tout, mais simplement pour essayer de les comprendre, pour discuter avec elles de leurs vies et de leur métier. Ensuite j’ai habité Porte de Vanves, je passais en rentrant chez moi devant des filles de 18 ans venues des pays de l’Est et cela me paraissait totalement insupportable et m’a révolté, c’est pour cela que j’ai écrit cette chanson ‘Histoire de rue’. D’ailleurs dans ce texte je raconte un moment très précis: j’étais jeune, j’avais une vingtaine d’années, je croise une fille qui me la joue à la maman, me disant “Viens, mon petit!”. Dix ans après, je passe au même endroit et retrouve la même fille. Surpris, je la regarde, et cette fois-ci elle me la joue façon gamine. Tu comprends, j’avais désormais pris de l’âge, j’avais trente ans. Elle a tout compris, sachant comment elle devait se comporter pour aborder les gens.

Alain AJ-Blues : J’ouvre une parenthèse Tyo. Si nous sommes auprès de vous deux ce jour pour partager une sincère amitié, c’est, disons le, grâce à Frankie Pfeiffer, rédacteur en chef et “boss” de Paris-Move. Il avait rédigé la chronique de ton album ‘Imparfait’ et nous avait demandé, à Dominique Boulay et à moi-même, tous deux rédacteurs pour Paris-Move, de faire également une chronique de ton album. Ce que nous avons fait. C’était plus facile pour Dominique, également rédacteur pour Blues Magazine, mais pas évident pour moi, car j’étais novice. Frankie était et est toujours ma référence dans ce milieu de l’écriture. Je vais t’avouer, Tyo, mais cela reste strictement confidentiel entre nous deux, car ici, chez nous, Hoggar veille et aucune oreille indiscrète ne traine, écrire après Frankie à cette époque, c’était pour moi loin d’être une sinécure, je te l’assure,et il a fallu que je me ‘dépatouille’. Après cette triple chronique, en mai 2010, pour nous remercier tu nous avais invités chez toi, en compagnie de Frankie, de Dominique et sa compagne, et c’est ainsi que sont nées affinités, complicité et amitié.
Pour vous, lecteurs de Paris-Move, découvrez ou retrouvez la triple chronique de l’album ‘Imparfait’, car tout comme l’opus, elle n’a pas pris une ride, et c’est ICI. Un album qui fut salué par une note “Coup de Coeur” par la rédaction de Paris-Move.
Tyo Bazz : J’acquiesce, Alain, promis, cela reste strictement confidentiel entre nous deux.

Alain AJ-Blues : Tournons la deuxième page de ta discographie avec cet album ‘Comme un chevalier troubadour’.
Tyo Bazz : Cet album date de 2010 et il est arrivé subitement. Je me suis dit: “Il faut passer à autre chose, j’ai plein de nouvelles chansons, il faut que  les mettre à la postérité.” (rires). Cet album ‘Comme un chevalier troubadour’ parle de moi et de mon rapport à la chanson. Je ne me vois pas comme un amuseur, je ne me vois pas comme quelqu’un qui fait de la guimauve pour faire plaisir au gens.

Alain AJ-Blues : Tu n’es pas du genre à faire de la chanson à l’eau de rose, ni du genre à manier la langue de bois.
Tyo Bazz : Absolument pas, cela ne m’intéresse pas. Je suis sociologue de métier, j’ai travaillé sur l’évolution de la société, sur l’évolution du lien social et j’ai beaucoup écrit sur ce sujet. J’ai enseigné le management dans des organisations, j’ai accompagné des managers de tous niveaux, des grands patrons comme des chefs d’équipe. Je dirai que ma devise est la suivante: Ayez la capacité d’aimer les gens dont vous vous occupez, sinon vous n’y arriverez pas. Dans de cas changez de métier, sinon vous deviendrez soit des tortionnaires, soit des ratés. Il est impossible de manager si on n’aime pas les gens. C’est mon créneau, et je fais de même lorsque j’écris mes chansons. Je pense qu’une bonne chanson touche bien mieux les consciences et les comportements que beaucoup d’autres le font en faisant de beaux discours ou en écrivant des articles. Lorsque Joan Baez a chanté ‘We Shall Overcome’, elle ne savait peut-être pas combien cette chanson allait devenir emblématique contre la guerre du Vietnam, tout comme cette chanson, ‘Knocking’ on Heaven’s Door’, de Bob Dylan.

Alain AJ-Blues : Dans cet album, ‘Comme un chevalier troubadour’, je te laisse le soin de quelques explications de textes sur certaines de tes chansons.
Tyo Bazz : Je cite cette chanson, ‘Les Coup D’Blues’. Avec six copains nous avions créé le club de Blues ‘Crossroads’ à Issy-les- Moulineaux. Je jouais dans un groupe, le Little Big Bang. Deux amis, deux personnes adorables, Dom Bruneau et Pat’ Sib’ jouaient ensemble au sein du groupe ‘Coup D’Blues’. Tous deux, Dom et Pat,’ je les appelle mes parrains, c’est pour cela que j’ai écrit cette chanson.
Cet autre titre, ‘Je n’aurai pas le temps’, est une chanson miracle. Je t’explique: un soir, Catherine et moi nous rentrions à la maison en voiture, c’est elle qui conduisait, et d’un coup me viennent en tête ces mots, je n’aurai pas le temps. Je les écris sur une carte de visite que j’avais dans la boite à gants et je la glisse dans la poche de ma veste. Dans la nuit, vers trois heures du matin, je me réveille, car l fallait absolument que j’écrive cette chanson. Je me lève, tout était branché dans le bureau à musique, et je commence à chanter tout doucement, pour ne pas réveiller Catherine: “Je n’aurai pas le temps, je voudrais parler toutes les langues du monde pour échanger nos coeurs et nos passions d’enfants…”. C’est sorti comme cela, comme par miracle, et dix minutes après toute la chanson était enregistrée, mais je ne sais pas d’où elle vient. Comme le disait Arthur Rimbaud, “Des fois les choses te traversent, tu ne sais pas d’où elle viennent et tu te regardes créer”. Eric Clapton a dit un jour lors d’une interview dans un hôtel à San Francisco: “Nous ne sommes que des passeurs, et d’un seul coup la musique vous arrive, elle vous passe par la tête et les doigts, et ensuite sur le manche de la guitare, et tu ne sais pourquoi…”
Pour moi les meilleurs chansons sont celles qui arrivent d’un coup. Je ne les travaille pas tant que ça, tout en faisant bien attention pour qu’elles soient bien construites et bien versifiées.

Alain AJ-Blues : Citons une autre chanson qui te touche tout particulièrement dans cet opus, laquelle par exemple?
Tyo Bazz : Dans chaque album toutes les chansons me touchent et me tiennent à coeur. Je vais te citer ‘Peuples à genoux’, qui est une chanson sur le thème des révolutions arabes et qui concerne tous ces peuples qui sont à genoux et qui essaient d’exister. Je la chante d’une façon à ne pas cibler un peuple en particulier, mais pour parler de tous ces pauvres gens qui ont la vie difficile et qui doivent se battre tous les jours pour vivre, survivre, où tout simplement exister. Je peux également te citer deux autres chansons, dont ‘Les hommes libres’. Mon grand-père était compagnon du Tour de France, donc j’ai voulu écrire sur toutes ces fratries de compagnons qui se retrouvent entre elles, s’aident et se soutiennent. Je dirais avec humour que j’ai vécu ce genre de choses en tant qu’aveyronnais (rires). Cet autre titre, ‘Passion de femmes’, est une chanson sur l’homosexualité. Une amie d’enfance me disait, comme si elle me l’avouait étant un péché, qu’elle est homosexuelle. Je lui réponds “Et alors, peu importe! Tu l’aimes, elle t’aime, le plus beau c’est l’amour! Fais ta vie!”. Cette chanson est traitée avec beaucoup d’érotisme.

Alain AJ-Blues : Il ne faut jamais s’arrêter à une première écoute de tes chansons, il faut plusieurs fois les écouter pour bien s’en imprégner et ainsi en découvrir toutes les subtilités.
Tyo Bazz : J’ai envie de te dire que cela est valable pour tout. Lorsque l’on écoute une chanson, que l’on regarde un tableau, lorsqu’on lit une lettre ou un bouquin, on reconnait quelque chose, on va comprendre ce que l’on sait déjà, ce que l’on a vécu. Restons sur la chanson: on se reconnait dans ce que l’on dit et sur ce que l’on entend, mais on n’écoute pas ce que dit l’autre. On commence par se situer, et lorsque l’on écoute à nouveau, on se dit: “c’est vrai, il a dit cela”, mais on se pose la question “pourquoi il a dit cela?”… et à partir de ce moment, on rentre en conversation avec la chanson.

Alain AJ-Blues : Merci Tyo, c’est exactement cela et c’est très bien expliqué.
Tyo Bazz : Allez, une petite dernière chanson de cet album tout de même, ‘Et si l’hemme devenait un projet’, car il y a un truc important à expliquer. Il n’y pas écrit l’homme, il n’y pas écrit la femme, il y a écrit “l’hemme”. Je le dis souvent, pour l’égalité des genres, il faut faire une révolution culturelle. C’est par la culture que l’on arrivera à faire le changement! La religion des Cathares est née en Occitanie. La religion de Mani (ou Manes) a traversé l’Europe en l’an 1000, ne s’installant nulle part, sauf dans le Sud Ouest de la France dans un contexte sociologique particulier. Les occitans sont des Alamans Wisigoths Ostrogots avec une couche de culture romaine. Alamans Wisigoths Ostrogots sont des civilisations matriarcales, c’est la femme qui commande, le devoir est à la maison domaniale. Les romains arrivent, le pouvoir est à l’homme et à la guerre. Les deux civilisations ont la même structure. Les hommes vont chercher les richesses et assurent la sécurité. Les femmes s’occupent de la maison, de l’intérieur, des enfants, de l’éducation et de la pérennité du groupe. Dans les deux civilisations, la castre est strictement la même, les fonctions sont séparées de la même façon, mais qui a le pouvoir…? Dans la civilisation matriarcale, c’est la mère. Prenons par exemple le monde des Gitans, qui est une civilisation matriarcale. Le père part avec la voiture ou l’estafette et se débrouille pour ramener à manger et trouver de l’argent, mais c’est la mère qui commande. Lorsque cette dernière dit à l’homme “Tu changes la caravane”, il s’exécute, car même si la caravane lui appartient, c’est elle qui commande. Quand elle dit “On s’en va!”, et bien on s’en va, l’homme obtempère car c’est elle qui dirige. Quand tu rentres dans un village Gitan, qui as-tu devant toi? Ce sont les mecs, car ils assurent la protection et la sécurité. Tu penses que ce sont eux qui commandent, mais ce n’est pas vrai, ce sont les mères qui commandent. Alors je me dis: pourquoi le Catharisme avait prise dans ce Sud Ouest? C’est parce qu’il y avait un conflit de culture entre matriarcat et patriarcat. La civilisation de Mani est chamanique et n’a absolument rien à voir avec le catholicisme et le christianisme, bien que les catholiques le traduisent comme cela, alors que ce n’est pas vrai du tout. C’est une religion avec, d’un côté le monde des esprits, et de l’autre côté le monde physique. Dans la religion de Mani, le monde des esprits est créé par Dieu et le monde type physique est créé par Satan, le Prince des ténèbres. C’est un combat entre la lumière et l’ombre, entre l’esprit et la matière. Donc quand cette religion arrive en Occitanie, les occitans disent: “ce qui compte c’est l’esprit, c’est l’âme, c’est ce qui est spirituel, mais le physique, lui, ne compte pas, car c’est le monde de Satan”.
Donc, dans ce cas, la différence homme/femme, on s’en fout. A partir de ce moment là, les femmes ont eu droit de vote et de discours tout comme les hommes. Il n’y avait aucune distinction entre les hommes et les femmes. Tu vois, Alain, dans le Sud Ouest, beaucoup de mecs habitent chez leurs femmes, ce qui ne veut pas dire que la maison leur appartient, mais ce sont elles qui gèrent le domaine. Quand tu dis à un copain, “tu viens manger demain à la maison?”, il te répond “Avant, il faut que j’en parle à mon gouvernement”. Nous avons toujours ce double pouvoir, celui de l’intérieur et celui de l’extérieur. Donc il faut une révolution culturelle, comme l’ont fait les occitans. Bon, depuis, je le reconnais, cela est parti à la dérive.
Donc il faut remettre de la culture pour l’égalité des genres! Le problème est que dans la langue française nous n’avons pas ce mot commun. On dit la personne humaine, d’accord, mais ce sont deux mots, donc cela ne fait pas un concept. Nous avons l’homme et nous avons la femme. Nous avons cette façon d’utiliser ce mot homme au genre neutre qui définit tout le genre humain. Cela prête à confusion, et maintenant il est catégorisé et mis à l’index. Donc on ne peut plus dire l’homme pour désigner l’homme et la femme. Dans homme et femme, nous avons en commun deux M et un E, donc cela on le garde. Ensuite prenons la première lettre de l’un et la deuxième lettre de l’autre, soit on fait un ‘fomme’, ce qui ne sonne pas très bien, soit on prend la première lettre H de homme et le E, la deuxième de lettre de femme, et cela devient ‘l’hemme’ et cela me rappelle quelque chose lorsque je le prononce. C’est à dire l’âme, une signification profonde de chaque personne, sans différence de genre, ce qui n’a rien à voir avec la croyance et la divinité.  C’est pour cette raison que j’ai écrit cette chanson ‘Et si l’hemme devenait un projet’. Alain, dis moi, j’ai peut-être fait un peu long?

Alain AJ-Blues : Absolument pas, Tyo! Nous sommes si bien ensemble et nous avons tout notre temps. Je te remercie pour toutes ces explications dites avec tant de conviction concernant les raisons de cette chanson. Je vais te dire, j’ai même cette envie de faire une interview avec toi tous les quinze jours (rires collectifs). Repartons pour une bonne tirade de ta part, pourquoi ce pseudo de Tyo Bazz…?
Tyo Bazz : Pourquoi Tyo Bazz? Alors c’est également toute une histoire. Dans mon boulot, j’étais sociologue, consultant, mais il fallait que je sépare d’un côté la musique qui me passionnait et pour laquelle je dépensais beaucoup d’énergie, et d’un autre côté mon métier de sociologue qui me passionnait également. Lorsque que je publiais des articles et des livres, il fallait que je sépare les choses. C’est peut-être un peu idiot, mais je me suis conformé aux obligations commerciales. Mais aujourd’hui, je m’en moque un peu et je préfère dire que je suis un “sociologue troubadour” et cela me convient bien. A une époque j’étais consultant pour le groupe La Poste, je donnais des cours de management…

Alain AJ-Blues :  Je t’interromps, Tyo, le groupe La Poste, l’entreprise liée à la distribution du courrier?
Tyo Bazz : Tout à fait. Je passe les détails de mon parcours professionnel, je dirai juste que j’ai repris mes études sur le tard, en même temps que je travaillais. Catherine me disait, “que fait-on ce week-end?”, je répondais, “toi tu fais ce que tu veux, mais moi je bosse pour étudier”. Elle a tenu et ne m’a pas jeté, nous sommes toujours ensemble (rires). Par contre, les enfants, un jour, me l’ont ‘mis dans la tête’: “Papa, même à la maison tu bosses”. J’ai dit “oui, mais c’est pour assurer notre avenir, plus tard”. Et le plus tard n’a pas été celui que j’espérais, mais bon.
Donc, avec ma responsable de La Poste, également une Catherine, un jour elle me dit: “il faut que nous allions à une réunion avec les managers du groupe, le président, des directeurs régionaux, et autres ‘grosses tuyauteries'”. Nous étions une trentaine autour de la table. Je m’aperçois que lorsque toutes ces personnes parlaient de management, une nouvelle fois, c’était d’une façon ultra gestionnaire et ils ne tenaient pas compte des gens, de ce que chacun pouvait apporter dans l’organisation. Car moi je pense, et je le répète, qu’avant tout il est absolument nécessaire de faire en sorte de demander aux gens ce qu’ils ont envie de faire, suivant leurs compétences, pour ainsi développer le meilleur pour l’entreprise. Je ne me suis pas trompé, car dix ans après c’est le courant qui naissait aux Etats-Unis. Très prudent et très gentil lors de cette réunion, je ne dis rien, j’attends que tout le monde finisse de parler. Ensuite le président s’adresse à moi et me demande ce que j’en pense. Je lui dis: “Monsieur, il me semble que vos options de management vont nous emmener plus certainement dans le dans le mur, contrairement aux résultats que vous recherchez. Je m’explique, Monsieur, vous avez dit que vous alliez faire ceci et cela, je vous assure que ça ne marchera pas pour différentes raisons. Je vous invite plutôt à prendre une autre direction, travaillez avec les gens, soyez à leur écoute, descendez de votre chaire, vous êtes le patron, vous n’avez pas besoin de le dire, vous n’avez pas besoin de le prouver car vous l’êtes. Alors accompagnez les gens, rendez les meilleurs!”. Certes piquants, mais ce sont les propos que j’ai tenus. Lorsque nous sommes rentrés à l’agence pour faire le compte-rendu avec l’équipe de consultants et d’informateurs, Catherine, ma responsable, s’est exclamée devant tout le monde en disant: “L’autre ‘tio bazar’, l’air de rien, ce couillon, il te les a allumés, il te les a dézingués”. C’était une façon de le dire. Catherine est une manouche, son frère jouait du jazz manouche, et elle a toujours gardé cet esprit libre fonctionnant à l’impulsion. J’ai beaucoup apprécié de travailler avec elle. Donc les copains, morts de rire, m’appelaient ‘tio bazar’, pour le “petiot mine de rien”, le “petiot pas grand chose”, c’est ce que cela voulait dire. Un jour, un copain consultant, un excellent batteur, me dit qu’il avait envie de jouer. Je lui ai dit que je viens de monter un club de blues à Issy-les-Moulineaux, que nous n’avons pas de batteur, donc viens jouer avec le groupe que nous formerons.
Il est venu jouer avec nous, et au lieu de m’appeler Jean-Marc, il m’a appelé Tyo Bazz, américanisant mon surnom du boulot. Voilà, c’est venu comme cela.

Alain AJ-Blues :  Il est inscrit en lettres blanches Tyo Bazz, sur ton logo. Peux- tu nous nous donner quelques détails à ce sujet?
Tyo Bazz : Le logo représente une grenouille guitare avec le manche de ma guitare actuelle. Avant j’utilisais une Telecaster, qui n’avait pas connu Fender, (rires). Apparemment une ‘sombre merdre’, mais avec des micros fabuleux. J’ai donc sorti mes limes pour refaire la lutherie pour qu’elle soit mieux jouable. Le son était super, et c’est elle que l’on entend sur le premier album, ‘Imparfait’. Pourquoi une grenouille guitare? Parce que… I’am a Froggy-Blues’man. Je tiens absolument à chanter mes chansons en français, je ne suis pas assez doué pour les chanter en anglais. La langue française me permet de pleinement m’exprimer. Je pourrais faire des chansons en anglais, mais cela ne sortirait pas de mon coeur, je ne veux pas de constructions mécaniques. J’ai cette capacité depuis l’âge de douze ans d’écrire des textes et des poésies. Dans le premier album, ‘Imparfait’, la chanson ‘Aujourd’hui ma muse’ est un poème que j’ai écrit à l’âge de 14 ans. Je l’ai mis plusieurs fois en musique, je l’ai retravaillé bien sûr, et aujourd’hui très blues. (NB: Tyo nous chante en ‘live’ le début d’un couplet de cette chanson). J’ai retrouvé mon cahier de brouillon raturé de partout où figure ce poème. Je t’assure, Alain, c’était du travail à l’époque, et lorsque j’avais fini, je me disais “Jean-Marc, allez, tu peux y aller maintenant, tu es au point!” (éclats de rires collectifs). Voilà pourquoi j’écris en français, donc voilà pour la grenouille. Un jour je tombe sur un album d’un bluesman texan, dont j’ai oublié le nom, ce gars là était venu enregistrer un album dans le Sud Ouest, à Toulouse et à Béziers. J’ouvre son album et au milieu je vois la croix occitane. Je me dis “Nom d’un chien, ce bluesman vient des Etats-Unis et il parle de l’Occitanie. Et si moi qui y suis né, je n’en parle pas, je suis le roi des cons!”(crise de rigolade) . C’est pour cette raison que je fais figurer le drapeau occitan au dessus de la guitare, sur mon logo.

Alain AJ-Blues : Tyo, chez toi, la réponse à une simple question devient toute une histoire à raconter. J’adore ton enthousiasme et ta spontanéité. Abordons maintenant ton troisième album, j’ai envie de dire le troisième round (rires).
Tyo Bazz : Ce troisième album, ‘AuTyoPortrait’, date de 2014. Je te préviens, c’est encore une histoire, mais c’est carrément mon histoire en raccourci. ‘Ballade jalouse’ est une chanson un peu mythique pour moi. Le texte explique comment je rêvais l’amour lorsque j’étais jeune homme. Je rêvais d’être un Don Juan. Mais non, je plaisante (rires)… Tu vois, c’est un peu comme tout le monde, chacun peut s’y retrouver. ‘Après ma mort’, comme tu t’en doutes, est une chanson sur la mort. Quelques années auparavant nous avions enterrés beaucoup de copains et de membres de la famille. Me concernant, je me fous de ma propre mort, je n’ai pas peur de la mort, cela ne m’angoisse pas. La mort, je le dis dans la chanson, c’est une affaire de ceux qui restent. Soit on m’enterre, tout le monde est en pleurs autour d’un cercueil blanc, tout le monde dit hypocritement que je suis grand, soit on me brûle, sur fond de blues, et ils attendront que le feu prenne, soit on me becte, perdu au coin d’un bois, en pâture aux renards et aux corbeaux qui feront de moi leur repas, léchant leurs babines entre deux coups de crocs. C’est trois façons d’être pour moi traité comme mort. C’est la mort ordinaire, c’est la mort dans le cycle.
‘L’arbre qui donnait des pommes’ me concerne également. Quand j’étais gamin, j’ai mal vécu de ne pas réussir tout ce que l’on me demandait de faire, ou ce que je me promettais de faire. J’étais petit, malingre, d’ailleurs de ce fait j’étais très fort en course de fond. Normal, je n’avais rien à porter, je courais devant, j’étais moins lourd que mon sac à dos. J’ai remporté tous les jeux olympiques de mon école. (éclats de rire général). Soyons sérieux, il y des gens qui ont du talent, mais on ne le perçoit pas. Donc cet arbre porte des pommes, mais personne ne sait ce que sont les pommes. On connait les cerises, les figues, le raisin, les poires, mais on ne connait pas les pommes. On ne connait pas, donc cela n’existe pas, c’est un peu comme les talents que l’on ne reconnait pas chez les autres. La première fois que j’ai chanté cette chanson c’était au Pitchtime et j’avais dit à Alain Sabbatier: “c’est pour toi!”. Je savais que dans son histoire ses talents n’étaient pas reconnus et il en a souffert.

Alain AJ-Blues : C’est une belle réflexion philosophique, Tyo. Et quand Alain Sabbatier lira ces lignes, nous lui transmettrons toutes nos amitiés car nous pensons bien à lui.
Tyo Bazz : Il y a aussi cette chanson, ‘Moi, mon corps’. J’ai écrit cette chanson suite à l’entretien que j’avais entendu de Michel Houellebecq et de son rapport au corps humain. Il a raison, il y a quelque chose dans le corps qui nous appartient mais qui n’est pas à nous. Mon corps c’est l’outil par lequel j’apprends les choses. Quand je rentre quelque part, l’impression que je laisse, c’est mon corps qui la laisse. Est-ce mon âme qui l’habite? Je n’en sais rien. Par contre, lorsque j’expérimente quelque chose, c’est grâce à mon corps: je me brûle, j’apprends à faire du vélo, donc j’apprends par mon corps. Mon corps, ce n’est pas moi, mais c’est mon outil. Ce n’est pas moi, mais mon moi, mon âme est à l’intérieur.
‘Lisa Mona’, c’est une chanson dérision. J’aime bien en faire de temps en temps. Je te la chante: “Tombaient les hommes et les amis de ses amants, son culte c’est à Bacchus qu’elle le vouait… J’ai très bien connu la Joconde, elle s’appelait Lisa Mona et je ne peux pas la voir, elle m’agace. Nous nous sommes tous appropriés ce personnage, j’ai envie qu’on la regarde autrement, car en fait c’était une fille légère. Je sais qui elle est, je la connais bien car j’ai vécu avec elle.” (rires). Voila, c’est une chanson dérision.
‘Les nouveaux conquérants’,  c’est une chanson sur les migrants. Je reprends le poème ‘les conquérants’, de José-Maria de Heredia. Je fais une comparaison entre les conquistadors qui partaient découvrir l’Amérique et les migrants qui arrivent de Lybie sur des bateaux, et qui, eux, ne viennent rien conquérir du tout mais cherchent refuge. Ils ne sont que quelques milliers sur les centaines de millions que nous sommes, cela ne bouleversera pas la sociologie de l’Europe. Dans la chanson, je suis dans la barque avec eux.

Alain AJ-Blues : Dans tous tes albums figurent une douzaine de titres. Nous ne pouvons bien sûr pas tous les évoquer ici, alors passons au quatrième opus dont l’intitulé est ‘Autres choses…’
Tyo Bazz : Pour cet album ‘Autres choses…’ j’avais encore plein de chansons à enregistrer, sans thèmes particuliers. Je parle de moi, de ce que j’ai vu, des gens que j’ai rencontrés, de courant culturel, d’amour, c’est pour cette raison que l’intitulé est ‘Autres choses’. ‘Changer les draps’ est une chanson d’amour totalement imaginaire. J’ai eu cette idée en écoutant une chanson américaine, très douce qui parlait de la tendresse. Les mots me sont venus… lorsque l’on change les draps on efface les souvenirs de l’année précédente. Pendant un bon bout de temps, j’ai mené une vie de Patachon, je ne m’attachais pas aux gens que je croisais, cette chanson est un compte rendu de cette époque là.
‘Zac-Man’ conte toute une histoire vécue lorsque nous habitions dans une ZAC à Issy-les-Moulineaux. Au lieu de nous plaindre que les choses n’allaient pas, nous avons créé une association, l’Arcole, avec Catherine et d’autres personnes. Un maire-adjoint de la ville nous a repérés car il était heureux que des gens s’occupent du quartier. Il était gaullien et de nombreux communistes habitaient dans ce quartier. Il nous a dit qu’il fallait monter une association de locataires contre les communistes. Je lui ai répondu non, je ne veux pas me battre contre les gens, je veux me battre avec les gens. Le maire André Santini nous a reçu, il a apprécié que nous prenions les choses en charge, et très vite l’association est devenue populaire. Nous avons fait plein d’animations, des brocantes, des parcours pédestres, etc. Cette chanson ‘Zac-Man’ témoigne de cet esprit. Rachid est beurre, sa petite amie est black, c’est un ricain de coeur, lui fait du Rap, mois je fais du Rock, l’autre fait du Raï.

Alain AJ-Blues : Cette chanson est émouvante, elle est vraiment superbe, elle est à prendre en exemple, c’est un hymne dédié à la tolérance.
J’invite tous les lecteurs de Paris-Move à aller sur Youtube, vous y découvrirez de nombreuses vidéos de Tyo Bazz, dont cette chanson ‘Zac-Man’, qui est ici: “Zac-Man”

Tyo Bazz : La chanson ‘Un couple idiot’ raconte  l’histoire d’un couple que je connais… tous deux se sont détruits dans l’alcool et la défonce. ‘Un dernier son’ est une chanson tendre, une chanson d’amour qui ouvre sur une façon de voir le monde. ‘Une ombre lasse’ est une chanson ‘Gainsbourienne’ qui est sortie un peu comme ça, c’est à dire toute seule. Je l’avais beaucoup travaillée à l’époque, je l’avais oubliée et un jour elle est revenue. ‘Sans amour, sans affection’ et ‘Entre plaisirs et silences’ sont deux chansons sur l’affection. Que resterait-il de bon sans l’amour et l’affection, car c’est notre lien social. ‘Ne penses à rien, tout va bien’ est une chanson qui anticipe les deux prochains albums à venir. C’est une critique du monde politique, de ces élus qui pensent qu’ils vont tout gérer sans tenir compte ni se préoccuper des gens qu’ils gouvernent.

Alain AJ-Blues : Ouvrons ensemble ce cinquième album, ‘Portraits’. Je reprends tes mots: ‘Ce ne sont que quelques regards portés sur des gens qui me touchent, quelques vécus et ressentis à leur contact… ou pas. Comme écrivait Schopenhauer, La réalité n’est qu’un objet pour celui qui le regarde”.
Tyo Bazz : Tu connais bien cet album, ‘Portraits’, Alain, ainsi que celui qui a suivi. Ce sont des portraits, je parle même d’un copain plombier, Daddy Dan, qui n’a rien à voir avec les portraits d’illustres personnages cités dans l’album. D’ailleurs, Alain, tu m’avais posé la question: qui était ce personnage non connu pour toi parmi les autres, qui font partie du patrimoine de l’humanité.

Alain AJ-Blues : Tyo, qui est l’abbé Pierre pour toi? Je m’en doute, c’est toute une histoire de coeur, n’est-ce pas?
Tyo Bazz : ‘Pierrot l’abbé’ est le titre de cette chanson. J’ai connu l’abbé Pierre à l’âge de 15 ans, lorsque je cherchais du travail. Mon père m’avait dit: “Si tu travailles, tu paieras la moitié de la mobylette et moi je paierai l’autre moitié”. Plutôt que trouver un travail rémunéré, j’ai découvert le camp d’Emmaüs. Je le répète, je n’avais que 15 ans. J’ai dit: “Papa, tant pis pour la mobylette, moi je veux m’investir avec ces gens là, car ils en valent le coup”. Durant un mois avec eux j’ai vécu des choses extraordinaires. Nous faisions de la collecte, nous sonnions à toutes les portes, demandant aux gens quelque chose à donner pour les chiffonniers d’Emmaüs. Inutile de nous présenter, tout le monde nous connaissait, car la ville avait fait beaucoup de placardages et de publicités pour l’association, donc c’était simple. Un jour, je rencontre une dame magrébine avec un bébé dans les bras qui me dit: “Je suis désolée, je n’ai rien à donner, mais mon mari est là”. Son mari arrive et me dit: “Nous arrivons tout juste de Tunisie et nous n’avons absolument rien”, et il me fait rentrer chez lui. Surpris, je vois des meubles recouverts par des toiles de tissus. Je lui dit: “Vous avez des meubles”et  il me répond “Non, je n’ai pas de meubles”, et il soulève les toiles. Il n’y avait que des cageots vides, et les tissus n’étaient là que pour cacher la misère… Je suis allé voir le chef de la collecte, en lui expliquant ce que je venais de vivre. Nous sommes allés dans l’entrepôt, nous avons récupéré gazinière, frigo, une table, des chaises et un lit, nous avons chargé le camion, sommes repartis chez eux et nous leur avons tout donné.

Alain AJ-Blues : Encore une fois mon cher Tyo, il n’y a pas que tes yeux qui s’humidifient, crois moi, c’est une magnifique histoire.
Tyo Bazz : Je ne me suis pas arrêté là… J’ai demandé à cet homme ce qu’il faisait, et il m’a dit qu’il est cuisinier. Je suis parti directement à l’école où j’étais, j’ai demandé à voir le directeur et me suis entretenu avec lui. Je lui ai dit, en exagérant un peu tout de même, que je connais un très bon cuisinier, il arrive de Tunisie, il cherche du boulot… et il a été embauché comme cuisinier dans mon l’école.
L’abbé Pierre était un profond humaniste, un homme engagé qui se battait par les gens pour les gens, c’était vraiment fabuleux. La photo qui est sur mon site avec des palettes de bois est prise au camp d’Emmaüs, car souvent, en soutien, je vais y chanter régulièrement et faire des animations pour eux.

Alain AJ-Blues : Autre portrait, autre homme entré dans la légende que tu affectionnes, c’est Gandhi.
Tyo Bazz : Tout comme l’abbé Pierre, Gandhi est un homme engagé, humaniste, c’est un personnage de résistance civile. Il refusait le fait de faire fouetter les ouvriers pour qu’ils avancent plus vite. Gandhi a eu une démarche très intelligente concernant l’indépendance de l’Inde. Son raisonnement était le suivant: qui est le plus fort, l’anglais ou nous? C’est l’anglais, bien sûr, donc nous ne le combattons pas. Il est notre partenaire, et pour que nous puissions obtenir notre indépendance, c’est lui qui doit nous la donner. Je ne vais pas conter l’histoire de Gandhi, tout le monde la connait.

Alain AJ-Blues : Tu dresses également le portrait d’un autre personnage, peut-être un peu moins connu, mais je dirai d’actualité, il s’agit de Pierre Rabhi, ce paysan, écrivain français d’origine algérienne, pionnier de l’agriculture écologique.
Tyo Bazz : Concernant Pierre Rabhi, aujourd’hui je suis un peu plus réservé sur sa personnalité. J’ai appris depuis qu’il avait des liens avec des gens qui ne sont pas de mon bord et dont je ne partage pas les idées… il est très ami avec des catholiques intégristes d’extrême droite. Je ne le savais pas lorsque j’ai écrit cette chanson. Il y a également quelque chose qui me gêne dans sa façon d’être, car je m’aperçois que son discours n’a pas évolué.

Alain AJ-Blues : Sachant ce que tu as appris maintenant sur Pierre Rabhi, écrirais-tu cette chanson?
Tyo Bazz : Ma réponse est non, je me serais abstenu. Je ne veux ni attaquer ni dire de mal de personne, mais je peux me taire. Victor Hugo disait: “Ne refusons pas à quiconque le droit de devenir meilleur. Dans ma vie professionnelle, certaines personnes m’ont fait beaucoup de mal, mais maintenant j’ai envie de leur dire merci, car grâce à vous je suis devenu plus fort.”

Alain AJ-Blues : Autre portrait d’un personnage célèbre dont le titre de la chanson est ‘Madiba’.
Tyo Bazz : J’ai beaucoup de tendresse pour ‘Madiba’, Nelson Mandela, qui était un violent, un militaire, et un combattant. Cela ne menait à rien… Plus tu es violent, plus tu meures par les armes, donc il s’est fait enfermer. Il a compris que ce n’était pas la bonne voie mais qu’il y en avait une autre à suivre, nous connaissons tous son histoire.

Alain AJ-Blues : Dans cet album ‘Portraits’, un titre m’a beaucoup touché, car il est à la fois un monologue et une conversation avec ta fille. Parle nous de cette superbe chanson.
Tyo Bazz : Cette chanson se nomme ‘Blues avec Papa’. Ma fille Carole m’avait donné un texte parlant de son enfance. Nous étions extrêmement proches, c’était notre premier enfant, et avec qui nous avions une attention toute particulière. Lorsqu’elle était gamine, certaines choses pouvaient nous inquiéter dans son comportement. Elle avait une amie imaginaire, Hélène, qui existait uniquement dans ses rêves, mais elle parlait avec elle. Je me souviens, une fois, elle marchait devant moi et subitement elle s’est arrêtée. Je lui ai demandé “Que fais-tu?”, et elle m’a répondu: “Je m’arrête pour laisser passer Hélène”. Nous n’étions pas réellement inquiets, mais un peu déroutés tout de même. Elle était sortie très jeune avec un gars que je n’aimais pas du tout, car je trouvais qu’il abusait d’elle, qu’il se moquait d’elle, qui profitait d’elle et la consommait comme une orange. Cela m’énervait profondément et j’ai dit à ma fille ce que je pensais de son ami. Donc elle avait écrit un texte sur ce sujet, et elle m’avait demandé de le terminer pour en faire une chanson. J’ai beaucoup tardé à le faire car il fallait que je digère cette situation, en me disant “Dois-je parler de cela ou pas, et si je le fais, comment le faire…”. Finalement, bien après, je me suis lâché et j’ai écrit la suite de cette chanson quelle avait commencée à écrire lorsqu’elle avait à peine 20 ans, et que moi j’ai terminé lorsqu’elle avait 30 ans. Pour elle tout cela était tombé dans l’oubli, se disant que Papa ne le fera jamais. Moi je n’avais pas oublié, mais il fallait attendre le moment où je serais capable de le faire et avoir des choses à dire. Si c’est écrire une chanson uniquement pour écrire une chanson, cela n’a aucun sens pour moi, je m’en fous. Si tu n’as rien à dire, tu te tais, car c’est important de savoir se taire.

Alain AJ-Blues : Concernant ce dernier commentaire, je suis entièrement d’accord avec toi, dans certains cas il faut savoir se taire.
Tyo Bazz : Dans une conversation, par exemple, si tu n’es pas d’accord avec quelqu’un, sachant que cela va terminer en ‘eau de boudin’ sur des questions religieuses ou politiques, tu te tais. On ne combat pas, on ne convertit pas les autres. Je te conte une histoire sur ce sujet. Au tout début, lorsque Catherine et moi étions ensemble, Catherine me dit “Nous allons aller manger chez Marine”. Je lui demande qui est Marine, et elle me répond “C’est une amie à moi, tu verras, elle est géniale et tu vas sûrement bien t’entendre avec son mec”. Effectivement, ce gars était mécanicien et fou des vielles bécanes comme moi, nous allions nous entendre comme larrons en foire. Dans la conversation, à un moment donné, il me dit “Tous ces étrangers, il faut qu’ils rentrent chez eux”. Alors là, ce n’était pas du tout ma façon de penser. Nous n’allions pas nous battre de suite car nous n’avions pas encore trinqué pour l’apéro (rires). Alors je lui réponds avec humour “Je pense que tu as raison, un étranger n’a rien à faire ici, demain je rentre à Montauban”. “Pourquoi Montauban?”, me dit-il. Je réponds: “Moi je ne suis pas d’ici, je suis de Montauban”. Il rétorque: “Mais tu es français”. Je lui réponds “Non, je ne suis pas français, je suis occitan. L’Occitanie est un pays entre la France et l’Espagne”. “C’est tout petit”, me dit-il. Je réponds “Non, ce n’est pas petit. Il y a Bordeaux, Limoges, Toulouse et Montpellier”. A ce moment-là, il comprend que je déconne, il me sourit et nous ne sommes pas allés plus loin. Quelques temps après, lorsque lui échappe dans la conversation ‘ces putains d’arabes’, de suite il se reprend en me disant “Pardon, Jean-Marc”. Avec le respect mutuel, de l’un et de l’autre, nous n’avons pas besoin de nous convertir pour pouvoir parler, partager et progresser ensemble. C’est ce qui me correspond, c’est ce que j’écris dans mes chansons.

Alain AJ-Blues : La chronique de cet album ‘Portraits’ est en ligne sur Paris-Move, et elle est à lire ou relire ICI

Alain AJ-Blues : Ton dernier album ‘Regards…ou vues avec le coeur’, le sixième donc, est récent, il date de cette année 2019. Comme tu le dis, ‘Ce ne sont pas les choses qui nous touchent, mais le regard qu’on leur porte. Ce ne sont pas les choses que l’on voit, mais le sens qu’on leur trouve’. Certains de tes textes sont très forts, engagés même. Tu es le témoin de tout ce que tu regardes, de la vie qui passe.
Tyo Bazz : Humblement, oui, c’est ce que je recherche. Je ne donne aucune leçon, mon regard n’est pas forcément celui de la vérité, loin de là. Je suis conscient que je n’en sais rien, mais est-ce que l’on peut partager nos regards? Qu’en pensez-vous? C’est comme cela que je le vois. Cet album est très politique, mais je dirai au bon sens du terme. Il ne parle pas de partis politiques, je m’en fous, il y a des gens biens partout. Je confirme, c’est un album totalement engagé. Cette chanson, ‘Gilet jaune’ est l’histoire d’un gendarme qui a un bout de gilet jaune dans le coeur. Je dis qu’il porte le gilet jaune à la ceinture et sa femme est en face avec son gilet jaune au carrefour. Lui n’est pas que gendarme, il est avant tout un être humain. J’ai envie de dire à chacun, que vous soyez gilet jaune ou policier, qu’avons nous en commun, que pouvons nous faire tous ensemble, c’est cela qui est important.
L’affrontement ne mène à rien. C’est sûr, certaines personnes souhaitent l’affrontement pour discréditer l’autre camp. Ainsi les gilets jaunes sont discrédités, la police est discréditée, les violences policières sont inacceptables, les violences des black blocs sont inacceptables. Alors où est le discours? Si le sujet n’est pas traité, il deviendra une bombe à retardement. Il faut que l’on s’écoute, tous, en tenant compte des souffrances de chacun. Ne laissons pas pourrir les choses par l’affrontement car cela donnera lieu à encore plus de radicalisation et de frustration. Alors commençons de suite à traiter ce problème!

Alain AJ-Blues : Tout l’album traite de thèmes très forts, très touchants. J’adore cette chanson ‘Je bois, me dit-il’ qui dans un autre genre est également et malheureusement toujours d’actualité.
Tyo Bazz : Cette chanson ‘Je bois, me dit-il’ est une histoire vraie, sur le thème de l’alcoolisme. Auparavant j’avais déjà vécu une autre histoire dramatique avec une fille qui était belle comme un coeur et gentille comme tout, mais ‘héroïnement’. J’avais pensé que je pouvais l’aider, mais je me suis ‘bouffé les deux mains’, je n’ai rien pu faire, les bras me sont tombés, j’ai ressenti ce sentiment d’impuissance. Il est en est de même avec ce copain qui avait totalement dérapé, dont je parle dans la chanson, et qui lui était alcoolique. Nous étions allés à un évènement ensemble et sur le chemin du retour, il ne tenait plus debout. Avec un autre ami nous l’avons ramené. Sans le condamner nous lui avons demandé d’arrêter de boire… mais bon…

Alain AJ-Blues : ‘L’artiste’ est également une superbe chanson. je m’en doute, tu vas me dire que c’est également une histoire vraie.
Tyo Bazz : Effectivement Alain, c’est du vécu. J’ai joué dans un restaurant et personne ne m’écoutait, même pas les copains présents. J’ai uniquement chanté pour un couple assis en face de moi qui me faisait des sourires et m’applaudissait. Dans cette chanson j’ai voulu traduire cette situation en la renversant. Que vient chercher le public lorsqu’il vient en concert, la chanson qui l’a fait rêver ou bien une ambiance? Sauf si c’est une grosse pointure, le public n’écoute pas le mec qui chante, le public vient écouter ce qu’il connait et ce qui l’a fait rêver à une époque. Les gens se souviennent de cette chanson sur laquelle ils ont dansé leur premier slow. Alors, je me fais cette réflexion, si l’on faisait de ces évènements artistiques des moments de rencontre, si le musicien n’était qu’un chaman pour créer l’union entre les gens qui sont présents pour que chacun retrouve son propre soi-même et sa propre rêverie. C’est pour cette raison que dans cette chanson, l’artiste joue sans toucher les cordes car en fait il ne joue pas (rires). Dans cette autre chanson, ‘Tout ceci n’est que du blues’, j’ai repris cette phrase d’un vieux copain bluesman qui est décédé quand j’étais gamin à Montauban. Dans le blues on chante son amertume, sa tristesse et des choses dérisoires, cela ne regarde personne, tout ceci n’est que du blues.

Alain AJ-Blues : La chronique de l’album ‘Regards’ est en ligne sur Paris-Move, ICI

Alain AJ-Blues : Je voulais avant tout, avec toi, ouvrir le cahier de textes de tes chansons, car ces dernières, sincèrement elles me parlent et me touchent. Sur certaines parfois, des textes à demi-mots laissent entrevoir le fond d’une pensée, ce quelque chose qui est en toi comme un petit secret préservé qu’il faut deviner. Tes chansons sont le reflet de ta personnalité. Merci Tyo, tu nous a ouvert ton coeur pour que nous puissions tourner ces quelques pages ensemble au fil de tes réflexions de tes histoires et de tes anecdotes nuancées d’humour et de fortes émotions.
Tyo Bazz : Merci, Alain. Une chanson, pour moi, c’est comme une allumette devant une mèche. Il existe dans le monde des personnes qui ont envie de se révéler. Je me souviens… lorsque j’étais gamin j’écrivais des chansons et je chantais à l’école. Trois de mes copains se sont également mis à écrire des chansons et à les chanter. Leurs chansons étaient belles. La chanson, c’est cela pour moi, une allumette avec des mèches aux alentours prêtes pour s’allumer. Tu fabriques une chanson, tu la chantes, cela peut réveiller chez d’autres l’hypothèse d’en faire autant et même de faire mieux. L’important est de toucher le coeur des autres. Parfois il m’est arrivé d’écrire des chansons et de comprendre quelques mois après la portée de que j’avais écrit.

Alain AJ-Blues : Pour conclure cette interview, peut-être as tu quelque chose à rajouter, si c’est le cas, je te laisse le soin des mots de la fin.
Tyo Bazz : J’aime beaucoup venir partager et jouer chez les gens pour animer une soirée privée, pour différents motifs, et également pour discuter. Sur mon site tout est expliqué comment faire, il suffit de me contacter et je me ferai un plaisir de venir jouer à domicile chez les gens qui le souhaitent. En concert, je joue dans des petits endroits très intimes, des bars, des petites salles associatives qui sont propices au partage et à la discussion. Je me rappelle, un jour, une personne me contacte pour que je vienne jouer dans une petite salle. Cette dernière était bondée avec une cinquantaine de personnes, c’est ce que j’aime, le partage. Souvent je fais ce lien avec les rappeurs aujourd’hui à Chicago qui enregistrent avec des vieux bluesmen et ces derniers les considèrent comme des petits frères.

Alain AJ-Blues : Nous vous remercions tous les deux pour tous ces moments que nous avons passés ensemble, que nous passons et partagerons encore.

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Je vous invite, lecteurs assidus de Paris-Move, à vous rendre sur le blog de l’artiste, ‘Le Blues de Tyo Bazz’: ICI
 ainsi que sur son site officiel, ICI
Vous pourrez y écouter les extraits de ses chansons, commander un ou plusieurs de ses albums et également le contacter pour qu’il vienne jouer chez vous, par exemple. Vous vous en ferez un ami car je vous assure, mon ‘p’tit père Tyo’, comme je l’appelle affectueusement, est non seulement un artiste talentueux, mais également un personnage adorable.

Alain AJ-Blues
rédacteur en chef adjoint, Paris-Move