| Americana, Blues, Boogie |
Bien qu’encore relativement peu connue en Europe, la pianiste, guitariste, chanteuse et band leader Lily Sazz est fameuse dans son Canada natal, ne serait-ce que pour avoir été pendant une décennie la directrice musicale de la Women’s Blues Revue, après y avoir fondé les Trailblazers, Groove Corporation et Cootes Paradise (ou du moins en avoir été membre). Après l’épreuve déjà sensible du COVID et des confinements inhérents, Lily eut à affronter en 2023 la perte de sa mère, assortie pour elle-même de deux interventions chirurgicales à cœur ouvert, à l’issue desquelles on lui diagnostiqua en prime un cancer. À sa sortie de convalescence, elle entreprit la conception de cet album (son tout premier en solo), dont les thèmes reflètent forcément son état d’esprit à l’issue de ces épreuves. Mais n’allez pas en imaginer pour autant le registre du bureau des pleurs. Comme maints rescapés de justesse, Miss Sazz remet ses priorités en perspective, et recense les valeurs essentielles auxquelles elle entend désormais se tenir: la musique, l’amour et la solidarité. Et à sa relative surprise, ces mots d’ordre lui valurent le concours d’un aréopage significatif de complices issus de la scène blues canadienne, au premier rang desquels on reconnaît Colin Linden, Steve Marriner (chroniqué ICI) et Suzie Vinnick (chroniquée ICI), mais aussi l’expatrié de longue date Harry Manx, ainsi que Darcy Hepner, Mike Branton et le trio Boreal. Elle signe sept des onze titres de ce disque (se réservant le choix de trois covers chères à son cœur, pour une seule co-signature avec Sharon Washington). Sans doute l’une des plus pétrifiantes chansons de deuil jamais enregistrées, le déchirant “Goodnight, Sweetheart” d’ouverture vous tire d’emblée des larmes acides, tandis que la slide brûlante de Linden s’y emploie à cautériser les plaies à vif. On s’y croirait entre Ben Sidran et la Marianne Faithful de “Broken English”, et il faut bien l’urgence enjouée du “In A Hurry” qui suit (incluant le truculent trombone de Charlotte McAfee-Brunner) pour s’en remettre. Avec la slide gouleyante et les vocals partagés qu’y appose le grand Harry Manx, “This Train Is Rollin'” renvoie pour sa part au “Ridin’ Home” de J.J. Cale (sur son “Really” de 1973). Les chœurs en call-response du trio vocal féminin Boreal impriment au ragtime-twist “Knack For That” une délicieuse touche vintage façon Andrews Sisters, avant qu’à mi-parcours entre Doc Pomus et Bette Middler, la ballade romantico-ironique “Future Me” n’adresse la déclaration d’amour indéfectible que voue Lily à son homme. Première reprise du lot, “Isn’t That So” de Jesse Winchester propose deux choruses remarquables des six cordes de Suzy Vinnick (un électrique et un acoustique!), avant une version en solo total du “Don’t Let It Show” de l’Alan Parsons Project, au fil de laquelle Lily démontre sa dextérité de concertiste au clavier. Dernière cover au programme, le “Gaslight” de Sure Foley présente à nouveau la guitare de Vinnick, mais aussi l’harmo incendiaire de Steve Marriner, avant que “Better Stop” (Sazz/ Washington) ne sonne l’alerte (contre les conséquences du dérèglement climatique, la montée du fascisme et autres périls actuels), avec le renfort de Collina Phillips et Jill Zadeh (backing vocals), Mike Branton (guitare), Wayne DeAdder (basse) et Scott Apted (drums). Ce disque roboratif se conclut pleins gaz et tongue-in-cheek avec le malicieux boogie-rock “I Can’t Jam” (consultez donc votre dictionnaire d’argot américain pour en saisir le double-entendre), qui use des mêmes protagonistes que son prédécesseur. Même si elle ne s’avère peut-être pas la meilleure vocaliste au monde sur le strict plan technique (demandez donc au passage à Céline Dion et Mariah Carey pourquoi, avec l’organe dont elles ont hérité, elles chantent autant d’inepties), Lily Sazz n’en demeure pas moins l’une des plus touchantes sur la scène actuelle (quant à son jeu sur les ivoires, accrochez-vous à votre strapontin). Ne vous fiez pas au caractère ténébreux de sa pochette, cet album de résilience et de célébration s’avère des plus lumineux. Et si vous cherchez encore des équivalents féminins au Tom Waits de “Blue Valentine” (après Rickie Lee Jones et Sandy Dillon), vous voici sans doute sur une piste sérieuse…
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, December 12th 2025
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