Soul blues, Southern rock |
Pas toujours simple, de porter le nom d’une légende (demandez donc à Julian Lennon, James McCartney, Christopher Stills et Thomas Dutronc). Dans le cas qui nous occupe, le jeune Devon était trop petit pour paraître sur la pochette du mythique “Brothers And Sisters” de la formation dont il perpétue la flamme (ce n’est donc pas lui, le charmant bambin blond qui y figure en front cover, mais Vaylor Trucks, fils du batteur Butch Trucks, et donc frangin de Derek), et puisque ses parents se séparèrent alors qu’il était encore tout jeune, il ne tissa de réel lien avec son Gregg de père qu’à l’adolescence. Comme chez d’autres rejetons en pareille circonstance, les sentiments mêlés d’un héritage trop lourd à porter, assorti d’une fierté légitime (mais intimidante), l’empêchèrent jusqu’à la trentaine de se résoudre à embrasser franchement la voie paternelle. Sa carrière débuta modestement eu sein d’Ocean Six en 2003, suivie de Honey Tribe de 2006 à 2010, puis des fameux Royal Southern Brotherhood (avec son compadre Mike Zito), de 2012 à 2014. En 2019, il s’associa avec le propre fils de Dickey Betts (prénommé Duane!) pour deux albums (et davantage de tournées encore), sous l’appellation significative de Allman Betts Band, scellant ainsi la réconciliation symbolique (et post-mortem) des deux frontmen ennemis de la formation fondatrice du southern blues-jam-rock américain. Adepte du collectif, Devon n’en consentit pas moins à une poignée d’efforts solo (le dernier, “Miami Moon”, date de l’an dernier), mais c’est bien sous la forme d’un album choral qu’il nous revient aujourd’hui (et lequel!). On l’y trouve entouré de rien moins que le grand Larry McCray (dont la production discographique s’est raréfiée au cours des deux dernières décennies, après huit publications de 1990 à 2007), ainsi que du non moins fameux Jimmy Hall (chanteur et harmoniciste de Wet Willie, qui collabora aussi de 1982 à 1984 avec les membres historiques de l’Allman Brothers Band, Dickie Betts, Butch Trucks et Chuck Leavell, ainsi qu’avec Jeff Beck en 85), sans oublier la chanteuse néo-orléanaise Sierra June, ni Robert Randolph (sur un titre). Autres invités de marque, le jeune prodige Christone “Kingfish” Ingram et les Memphis Horns gratifient le “Runners In The Night” d’ouverture de leur présence puissante. Co-signée McCray-Allman, cette rhythm n’ blues tune introduit le timbre chaleureux et voilé de Devon, ainsi que les chœurs soulful de Sierra June, tandis que les licks de Kingfish s’y inscrivent dans la veine du regretté Albert King, et que les cuivres caquètent comme chez Stax. Chanté par Hall, l’hymne “Blues Is A Feeling” se propulse sur un riff téléporté depuis la période Derek & The Dominoes / Delaney & Bonnie de Clapton, et l’harmonica de Jimmy s’y octroie quelques choruses bien sentis. La couleur sudiste se perpétue avec le “Peace To The World” de Trade Martin, auquel la pedal-steel de Robert Randolph confère une touche Duane Allman qui colle le frisson, pendant que cuivres et chœurs en accentuent le gospel fédérateur. Signé Allman, le languide “Real Love” que chante Sierra June bénéficie des cordes que lui concocte Mark Hochberg, dans l’esprit de la période Atlantic de la grande Aretha, et c’est effectivement le sommet vocal de cette galette. Devon reprend le micro pour son propre upbeat soul rock “After You” (bâti sur un riff que n’aurait pas renié Keith Richards en personne), avant l’irrésistible funk instrumental “Gettin’ Greasy With It” signé McCray, où s’illustrent à nouveau les Memphis Horns dans l’esprit des antiques Mar-Keys (tandis que le chorus de sax de David Gomez évoque celui de Junior Walker). C’est Jimmy Hall qui chante ensuite le “Wang Dang Doodle” emprunté à Howlin’ Wolf et Willie Dixon. Mené sur un holler beat entraînant, Devon et Sierra en assurent les chœurs, tandis que le drumming de John Lum s’y complète d’un tambourin buté et de handclaps fervents. McCray signe et chante encore “Hands & Knees”, dont il assure aussi la lead guitar avec le talent et le feeling qu’on lui connaît, tandis que les Memphis Horns et l’orgue de John Ginty y apposent leur Stax touch. Escalade risquée s’il en est, Allman se frotte ensuite au répertoire sacré, en reprenant le “Little Wing” de Hendrix, selon l’arrangement que son ami Clapton lui consacra après son décès sur son propre “Layla And Other Assorted Love Songs”. Rien d’étonnant, si l’on considère que Devon a toujours confessé qu’il s’agissait là de l’un de ses disques favoris, et s’il s’y fait manifestement plaisir, cette recréation fait écho à celle que restitua récemment le Tedeschi-Trucks Band (en reprenant l’intégralité de cet album). Notre ami se tire en tout cas plus qu’honorablement de l’exercice, démontrant au passage ses impressionnantes capacités guitaristiques, que confirme le “Midnight Lake Erie” qui ferme le ban (adaptation instrumentale de son propre “Midnight Lake Michigan”, paru en 2014 sur son album solo “Ragged & Dirty”). Enregistré de février à mai dernier dans son fief de Saint Louis, Missouri, un album qu’il n’aurait pas été erroné d’intituler “Soul-Blues Summit”, et une franche réussite de bout en bout. Qu’il est bon de retrouver la sève que distillent d’excellents musiciens, s’exprimant en présence physique et spirituelle collective!
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, July 18th 2025
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