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Même dans nos rêves les plus fous on n’osait l’imaginer tant le mythe de Rory Gallagher semblait intouchable, mais c’est fait: TASTE s’est reformé. Sous l’impulsion d’un autre membre du légendaire line-up formé en 1968, le batteur John Wilson, TASTE nous revient donc avec un nouvel album, 40 ans après les deux premiers opus sortis 1969 chez Polydor: l’éponyme ‘Taste’ et ‘On The Boards’, un album aux influences très jazzy sur lequel Rory jouait d’ailleurs pas mal de saxo.
Signe du destin, sans doute, et annonciateur que le trio TASTE allait marquer l’histoire de la musique, l’année précédente, en novembre 68, Rory, John, et le bassiste Richard McCracken avaient ouvert à Londres, lors de la tournée d’adieu d’un autre trio mythique, celui d’Eric Clapton, CREAM. Un trio passait le flambeau à un autre trio.
Côtés souvenirs qui reviennent en mémoire rien qu’à la lecture du nom du groupe sur la pochette de ce CD, TASTE, c’est sans doute l’énorme prestation du trio à l’île de Wight, en 1970, qui arrive en première place. Un concert événement dont le succès fut tel que le groupe exécuta 5 rappels et dont les inconditionnels (comme moi) conservent comme une relique l’édition vinyle.
C’est en 2006 que John Wilson va vouloir relancer TASTE, en compagnie de Richard McCracken et d’un guitariste irlandais quasi inconnu sur le plan international, Sam Davidson. Le trio se teste sur quelques festivals, jouant les compos qui ont forgé la célébrité du trio originel, dans l’attente de la réaction du public, car remplacer Rory est une chose mais faire jouer les morceaux de TASTE identifiés à Rory en est une autre. L’atout du trio actuel est d’interpréter ces morceaux en conservant l’esprit originel du groupe de Rory Gallagher mais en y apportant sa personnalité propre, et notamment celle de Sam Davidson.
Non seulement le public est au rendez-vous mais la pression des fans est telle que le trio entre en studio, avec Albert Mills à la basse, en remplacement de Richard. C’est cet opus que l’on tient entre les doigts et qui explose à la tronche dès le premier titre.
Dix compos, dont une version instrumentale de ‘Wall To Wall’, vous filent la raclée de l’année, voire de la décennie. Ca commence en force avec ‘Going Home’ (aussi intense que celui d’Alvin Lee et ses Ten Years After) et ca vous fait vibrer la colonne vertébrale. Impossible de ne pas ressentir le grand frisson qui vous submerge. La batterie est toujours là, toujours aussi monumentale, avec ses roulements faramineux et ses cymbales gifflées jusqu’à plus soif ; la basse est énorme, puissante et perforante tandis que côté gratte le Sam ranime la flamme de la six cordes que l’on croyait éteinte.
Et pour avoir eu le plaisir, que dis-je, le bonheur d’avoir vu le trio en concert au Plan, je peux vous dire que le Sam est un sacré guitariste qui fera chialer plus d’un fan de Rory tant sur certains titres il sait être lui-même tout en jouant comme l’autre. Ecoutez le sur les mythiques ‘What’s Going On’ ou ‘Morning Sun’ puis sur ses compos co-signées avec John Wilson comme ‘Daytona Dreaming’ ou ‘Devil’s Woman’ et vous comprendrez qu’une étoile veille sur ce Sam là, et sur TASTE. Une étoile qui se nomme sans aucun doute Rory Gallagher.
Et comme si cette étoile avait voulu que ce TASTE soit fidèle à l’esprit du trio de la fin des 60’s, le duo Sam Davidson/JohnWilson vous signe sur cet album un titre que le terme de ‘monumental’ ne suffirait pas à qualifier tant le morceau est beau, tout simplement, et rempli d’une émotion à faire vibrer tous les monuments de culte, quels qu’ils soient, ‘Wall To Wall’. Un titre qui vous parle d’un amour impossible entre deux personnes séparées par un mur (réel ou pas, Sam et John ne le précisent pas), et qui illustre aussi bien l’incompréhension entre deux êtres que ce qui divisa l’Irlande et la ville de Berlin. Une chanson dont le trio reprend une version instrumentale en fin d’album avec des solos de Sam à vous faire grimper aux rideaux. Une chanson qui aurait pu, voire même aurait ‘du’ être cette année LA chanson de ce fameux anniversaire de la chute du mur de Berlin. Imaginez un instant TASTE interprétant ‘Wall To Wall’ à la Porte de Brandebourg… Quel putain de frisson cela aurait été!
Et je parie que même de là où il est, le Rory nous aurait fait signe.
Un album indispensable, et pas qu’aux fans de TASTE et de Rory. Un des très bons albums de l’année, et sans doute de la décennie.
Frankie Bluesy Pfeiffer
Non, vous ne délirez pas, et non, l’abus de boissons riches en malt ne m’a pas fait perdre la raison. Il est bel et bien revenu, en chair et en os, et en décibels le trio de Taste!
J’imagine que lorsque l’on a goûté à toutes ces sensations intenses que sont la bonne musique, la scène, les tournées, le public, le succès, et avoir eu comme compagnon Rory Gallagher, l’envie de repartir sur les routes doit vous saisir souvent. Et de la réflexion à l’action, un bon paquet d’années plus tard, le résultat est à la mesure de ce que l’on n’osait plus espérer, avec une méchante série de concerts dont on vous reparlera sur Paris-Move, car y’a de quoi, et un album qui bien que ne sonnant pas comme les vinyles de 1969, ‘Taste’ et ‘On The Boards’, n’en présente pas moins des similitudes avec ces derniers. Ecoutez ‘Home Blues’ ou ‘Lucy May’, par exemple, et vous replongerez illico dans les cartons dans lesquels vous rangez religieusement vos 33 tours car le lien est là, comme un fin cordon ombilical qui ne fut jamais coupé. Certes, Eric Kitteringhan et Norman Damery ne sont pas revenus de Cork, mais le mythique John Wilson est aux fûts, lui. De son côté, Richard Mc Cracken a refait une tentative avant de finalement, laisser la place à Albert Mills à la basse.
Je préfère ignorer les sceptiques de tout acabit que j’entends déjà rechigner sur le fait que l’illustre guitariste n’étant plus des nôtres, ce n’est plus le Taste qu’ils ont connu lorsque les premiers poils leur poussaient au menton – même si j’étais pourtant de ceux-là, moi aussi.
Incontestablement il en a, du mérite, le Sam Davidson, car succéder à un tel mythe de la six cordes que fut Rory n’est pas à la portée de n’importe qui, et le faire aussi bien souligne encore plus le talent du lascar. Faut vous dire également que celui qui triture la strato maintenant, joue aussi du saxophone et de l’harmonica. Non pas pour entretenir l’illusion, non, mais simplement parce qu’il est musicien jusqu’au bout des ongles, lui aussi.
Et quand trois musicos décident de repartir en trio pour proposer un vrai blues-rock, un vrai de vrai, hé bien ça l’fait! On en vient même à trouver le disque trop court. Un petit goût de ‘j’en aurais voulu encore plus’ qui caractérise un opus inattendu et inespéré, et qui disparaîtra, j’en suis sûr, lors de leur prochaine production. Une chose est sûre, en tout cas, à l’écoute de ce ‘Wall To Wall’, nous n’attendrons pas trente neuf années pour cela, car le trio est bien parti pour nous en mettre plein les oreilles pendant toutes ces années à venir. Taste is back again, et j’en connais un qui doit s’en réjouir, de là où il est.
Dominique Boulay
Blues Magazine
TASTE