TASTE – Live At The Isle Of Wight

Eagle / Universal
Blues

A cryin’ shame! Oui, un foutu gâchis, voilà ce à quoi se résume en définitive l’histoire de TASTE. En effet, combien, parmi les cohortes endeuillées qui célèbrent encore de nos jours la mémoire de Rory Gallagher, se souviennent-ils que leur héros se fit d’abord connaître au sein de ce fier trio? Fondé à Cork, sa ville natale, en 1966, ce fut sous son deuxième line-up (après changement de section rythmique) que TASTE gravit les échelons de la renommée. Son second batteur, John Wilson, avait fait ses classes auprès d’un autre héros irlandais, le bougon Van Morrison, au sein d’une des multiples formations de Them. Sa technique, alternant fulgurances rock et subtilités jazzy, en faisait alors le seul irish drummer qui pût en remontrer à Mitch Mitchell. Quant à Richard McCracken (que ses comparses surnommaient affectueusement Charlie), son jeu brillait autant en walking blues que d’audaces dignes d’un John Entwistle. Sa vie durant, Rory porta en secret le deuil de cette formation, dont il ne daigna jamais reprendre le moindre titre par la suite (et ce, quand bien même il en était le principal auteur)… Après deux albums studio sidérants (le premier par l’alternance de sa brutalité et de ses passages roots, le second par son éclectisme), et un passage remarqué au festival de Montreux, TASTE fit sensation lors de celui de Wight, en 1970. Pour preuve, les centaines de milliers de hippies présents les rappelèrent à trois reprises. Précisons qu’à la même affiche se produisaient aussi les Who, Family, Tony Joe White, les Doors et Hendrix, entre autre menu fretin. Las, malgré ce triomphe manifeste, ses trois protagonistes résolurent de se séparer, la scène à peine quittée. Coup de tête, burn-out, problèmes de management… Wilson et McCracken fondèrent Stud, avec un ex-Blossom Toes, puis le violoniste de Family – en pure perte, cela va sans dire. Quant à Rory, après deux premiers albums solo où subsistait encore un peu de la magie de son band originel, ce fut, disons, une autre histoire… En 2009, John Wilson tenta bien de remonter une mouture bâtarde du groupe avec deux anonymes, s’attirant les foudres des fans originels et celles du légataire de Rory, son frère Donal. Un vilain cancer de la gorge l’en dissuada plus radicalement encore, et il revendit son drum-kit sur injonction médicale. Quant à Charlie McCracken, il vit à Londres, où il est employé par la compagnie qui gère le stade de Wembley, et refuse désormais toute mention de son glorieux passé. A cryin’ shame, je vous disais… Heureusement, ce DVD remarquable nous permet à présent de hurler nous aussi au rappel, ad vitam æternam.

Patrick Dallongeville
Paris-Move / Blues Magazine / Illico / BluesBoarder

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