SHIRLEY COLLINS – Archangel Hill

Domino
Folk
SHIRLEY COLLINS - Archangel Hill

Trois ans à peine après son prédécesseur (“Heart At Ease”, chroniqué ICI), celle que Billy Bragg dépeint comme “un trésor culturel national” nous revient avec son dixième album en… 65 ans de carrière! C’est que la vie ne fut pas toujours rose pour cette pionnière du British Folk Revival, enamourée toute jeune du légendaire ethnomusicologue américain Alan Lomax (qu’elle accompagna quelques semaines aux States, lors de ses prospections dans le Vieux Sud ségrégationniste). De retour dans sa propre patrie, elle s’y maria avec un certain Austin John Marshall, avant d’enregistrer avec le sorcier de la guitare Davey Graham l’album précurseur “Folk Roots, New Routes”. En secondes noces, elle épousa ensuite Ashley Hutchings (autre guitariste en vue, notamment au sein de Steeleye Span), avec lequel elle fonda l’Albion Dance Band, puis l’Etchingham Steam Band, formations d’un renom plus modeste. À nouveau divorcée à la fin des années 70, Shirley abandonna ses activités musicales pour se consacrer à l’éducation de ses enfants. Occupant dès lors toute une série d’emplois mal rémunérés (employée de bibliothèque, parmi d’autres), et atteinte de dysphonie (un mal affectant les cordes vocales), on n’espérait plus l’entendre jusqu’à son retour inespéré, avec “Lodestar”, publié par Domino en 2016). Après 38 ans de silence (et alors déjà âgée de 81 ans), elle y démontra qu’elle avait bien recouvré l’essentiel de ses capacités.  Unanimement célébrée, elle enregistra donc quatre ans plus tard “Heart At Ease” (sur le même label). Intitulé d’après un monticule des environs de Lewes (East-Sussex, où son beau-père élevait des équidés), ce troisième album depuis sa résilience se compose aux deux tiers d’adaptations d’airs traditionnels. Enregistré à Brighton, non loin de chez elle, il s’appuie sur un noyau de fidèles accompagnateurs, regroupés sous le sobriquet de Lodestar Band (Ian Kearey, guitare, basse et claviers, Dave Arthur, harmonica, melodeon, Pip Barnes, guitare acoustique, Pete Cooper, violon, viole, mandoline et Glen Redman, percussions). Datant pour la plupart de temps reculés, maintes de ces cantilènes furent recueillies et transposées par Lady Collins au cours de ses années de recherches folkloriques, mais ses comparses actuels ne manquent pas d’y apposer leur touche personnelle (ainsi des irrésistibles irish jigs instrumentaux “June Apple” et “Swaggering Boney”, ou encore de l’original “High And Away”, dont Shirley composa la mélodie sur des lyrics que lui écrivit Pip Barnes). De poignantes complaintes telles que “Oakham Poachers”, “Bonny Labouring Boy” et “Hares On The Mountain” illustrent de manière patente comment la poésie orale anglo-saxonne parvint à infuser la culture vernaculaire jusqu’à nos jours. Capté live en 1980 à l’Opéra de Sydney avec pour seul support le clavecin de Winsome Evans, l’inédit “Hand And Heart” restitue furtivement la tessiture de Shirley Collins à la moitié de son âge actuel (témoignant avec un brin de cruauté des inéluctables outrages du temps sur sa tessiture vocale). Miss Collins conclut ce remarquable recueil par une ode à son comté natal, ce Sussex où elle aura finalement vécu l’essentiel de son existence. Précieuse curatrice d’un art ayant traversé les âges (“The Captain With The Whiskers” – le capitaine à moustache – connut ainsi un certain succès parmi les belligérants de la Guerre Civile américaine, tandis que “The Golden Glove” remonte à trois siècles au bas mot), cette contemporaine (et aînée) de Bert Jansch et John Renbourn en est à juste titre devenue une référence. Et en somme, pour tout féru de british folk, presque un monument vivant.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, June 2nd 2023

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