SHIRLEY COLLINS – Heart At Ease

Domino
Folk
SHIRLEY COLLINS - Heart At Ease

Celle que Billy Bragg dépeint comme “un trésor culturel national” faillit pourtant ne plus jamais se produire en public, et encore moins dans un studio d’enregistrement. Car tandis qu’elle vient de fêter ses 85 printemps, la vie de Shirley Collins présente toutes les caractéristiques du roman réaliste à l’anglaise. Native de Hastings (port fortifié du Sussex, où les troupes de Guillaume le Conquérant infligèrent en 1066 une cinglante défaite aux Anglo-Saxons du roi Harold II), elle n’avait pas vingt ans quand, se destinant à une carrière dans l’enseignement (mais passionnée par le folk depuis sa plus tendre jeunesse), elle rencontra le légendaire ethnomusicologue américain Alan Lomax, de passage à Londres pour échapper au Maccarthysme alors en vigueur dans son propre pays. Emménageant bientôt avec lui, elle l’assista dans ses projets en terre d’Albion, enregistrant même à ses côtés en 1956 une version du fameux “Dirty Old Town” que devaient s’approprier les Pogues un quart de siècle plus tard. De juillet à décembre 59, leur couple reprit les pérégrinations qui constituaient l’essentiel du travail des Lomax père et fils, enregistrant et documentant les musiques vernaculaires du Sud des États-Unis. Atlantic devait en publier une anthologie sous le titre “Sounds Of The South”, tandis que l’ère du CD en tira aussi un intéressant “Southern Prison Blues & Songs”. Leur liaison n’y ayant pas résisté, Shirley Collins rentra ensuite en Grande-Bretagne, et ne tarda pas à épouser un autre artiste du nom d’Austin John Marshall, pour y reprendre sa vocation d’interprète. Accompagnée de son seul banjo, elle avait déjà publié deux albums (“Sweet England” sur Argo et “False True Lovers” sur Folkways) ainsi qu’un E.P. quand, sous l’impulsion de son mari, elle enregistra avec Davy Graham (légende du picking britton) le fameux “Folk Roots, New Routes”. Proposant une fusion jazz-folk-blues détonante, ce désormais classic-album divisa alors les puristes, mais n’en ouvrit pas moins dès 1964 la voie au folk boom anglais alors en germe. Fairport Convention, Pentangle et l’Incredible String Band en conçurent l’acte fondateur de ce mouvement célébrant la culture populaire régionale anglaise, et dont des artistes tels que Shirley Collins et Ewan McColl furent les précurseurs. Mariée ensuite à Ashley Hutchings (bassiste de Fairport Convention, puis de Steeleye Span), elle n’enregistra que six albums sous son nom (mais presque autant avec sa sœur Dolly, pianiste et organiste classique), sans omettre une demi-douzaine de participations à des projets collectifs. Frappée à la fin des seventies d’un mal étrange (la dysphonie), elle s’en trouva dès lors incapable de chanter, et consacra les trois décennies suivantes à des emplois alimentaires, ainsi qu’à l’éducation de ses enfants. Suscité par une nouvelle génération de folkeux brittons, le regain d’intérêt envers ses premiers enregistrements l’incita toutefois à sortir progressivement de sa retraite, et après avoir lutté des années durant contre la maladie, elle livra contre toute attente son premier album après 38 ans de silence, “Lodestar” (Domino, 2016). Accueilli avec enthousiasme par la critique, cet improbable retour d’une artiste alors déjà âgée de 81 ans ne confirmait pas seulement qu’elle avait bien recouvré l’essentiel de ses capacités, mais aussi (et surtout), qu’elle n’avait pas dévié de sa trajectoire initiale. Alors qu’elle n’avait daigné enregistrer son disque de rémission que dans le cadre douillet de son cottage, Shirley Collins a cette fois repris le chemin du studio pour son neuvième album en 61 ans de carrière. Accompagnée du même noyau de musiciens d’exception, elle puise à nouveau dans l’impressionnant corpus de traditionals qu’elle a collectés sa vie durant, l’agrémentant au passage de quelques perles personnelles (“Sweet Green & Blues”, datant de sa collaboration avec Davy Graham sur des lyrics de son ex-mari Austin John Marshall, ou encore “Locked Ice” de son défunt neveu Buz Collins). Des lullabies telles que “Merry Golden Tree” et “Christmas Song”, ou des reels comme “Rolling In The Dew” (sans rapport avec Adele), “Wondrous Love” et “Barbara Allen” témoignent de ce fonds commun qui irrigue depuis toujours en sous-main les musiques anglo-saxonnes. Par commodité, on appelle ça le folk. À la fois direct, épuré, sophistiqué et touchant, l’art de Shirley Collins demeure intemporel.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, July 23rd 2020

Edition limitée en vinyle couleur à commander ICI
Description de cette édition spéciale:
– Specially created ‘Hearts-Ease’ 3 coloured vinyl
– Gold foil blocked sleeve
– Limited and numbered – 1.000 copies
– 4-page booklet
– 7” featuring a recording of Sweet Greens & Blues from 1964 with Davey Graham, previously never released with corn dolly design by Cathy Ward on the b-side.