Soul |

Le 4 mai dernier, la regrettée Sharon Jones serait entrée dans sa 70ème année, si une saleté de cancer du pancréas ne l’avait emportée le 18 novembre 2016. Née à Augusta (Georgie) soixante ans plus tôt, son parcours illustre toute la détermination et la résilience qu’il fallut à ce petit bout de femme pour se hisser au sommet d’un mouvement qu’elle a ensuite largement contribué à re-populariser. Ayant eu le privilège de la découvrir lors d’un festival européen en juillet 2002 (interview ICI), je peux témoigner de la ferveur avec laquelle elle interprétait ce répertoire sur scène, ainsi que du soutien sans faille que lui portaient alors ses fidèles Dap-Kings. À l’origine du label-phare de la soul resurgence du début de ce millénaire, ce combo devait non seulement relancer l’intérêt mondial envers le genre, mais susciter aussi une foultitude de vocations, que ce soit sur le plan artistique (Nicole Willis, Michelle David, JP Bimeni, James Hunter, The Excitements, Eli ‘Paperboy’ Reed, Eddie 9V…) ou sur celui des labels (Big Crown, Colemine et Easy Eye, entre autres). Révélés en 2002 avec “Dap-Dippin'”, Sharon Jones & The Dap-Kings se virent définitivement intronisés trois ans plus tard avec ce “Naturally” que leur compagnie réédite à présent en version double vinyle de luxe, à l’occasion du vingtième anniversaire de sa parution. Un paramètre majeur était alors advenu pour leur promotion en Champions League. En effet, l’ensemble de la formation (Sharon inclue) s’était attaché à construire son propre studio au sein de l’immeuble qu’ils louaient à Brooklyn, afin d’en faire cette House Of Soul qui établit durablement leur son (ainsi que celui de leur écurie). Blindé de consoles, micros, amplis et instruments vintage au possible, ce lieu ne tarda pas à imprimer sa signature manifestement identifiable (comme les studios Stax, Hi, Motown et Muscle Shoals auparavant), et la désormais légendaire Amy Winehouse y enregistra avec l’orchestre maison une part significative de son propre “Back To Black”. À deux décennies de distance, ce qui frappe de prime abord à la réécoute de ce judicieusement intitulé “Naturally”, c’est l’aisance avec laquelle la vocaliste et ses sbires se promènent d’un style à l’autre, sans que la cohérence de l’ensemble ne s’en trouve affectée. Le “How Do I Let A Good Man Down?” d’ouverture adopte ainsi une ligne afro-beat, à laquelle la rythmique et les cuivres intriquent une trame high-life, tandis que “Natural Born Lover” et “How Long Do I Have To Wait For You?” évoquent le calypso néo-orléanais du “Mr Big Stuff” de Jean Knight (avec les chœurs du tandem vocal Saun & Starr), “Stranded In Your Love” (en duo avec Lee Fields) la soul sudiste d’un James Carr, “My Man is A Real Man” le funk éperdu des premiers Sly & The Family Stone (cf. “Don’t Burn Baby” sur leur “Dance To The Music”), et l’imparable “You’re Gonna Get It” les slows rétro infusés de gospel de Sam Cooke et des Impressions de Curtis Mayfield. La transposition du “This Land Is Your Land” de Woody Guthrie et “Your Thing Is A Drag” rappellent pour leur part les débuts de James Brown, et “Fish In The Dish” la langueur sensuelle d’un Otis Redding backé par les Bar Kays, tandis que le “All Over Again” final tutoie la grande Aretha. Augmentée de sa précieuse version instrumentale (dont le second LP propose les backing tracks isolés), cette édition augmentée et remastérisée atteste si besoin était de l’impressionnante maîtrise des Dap-Kings d’alors, dont la plupart des membres ont entamé depuis des projets séparés (Budos Band, Menahan Street Band, Antibalas, El Michiels Affair…), mais néanmoins toujours empreints de ce glorieux passé.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, June 3rd 2025
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