RONNIE EARL & THE BROADCASTERS – Mercy Me

Stony Plain / Socadisc
Blues, Soul Jazz
RONNIE EARL

Après dix premières années exercées en tant que lead-guitariste de Sugar Ray Norcia & The Bluetones puis des légendaires Roomful Of Blues, suivies d’une carrière solo émaillée de 28 albums en plus de quatre décennies (et dont voici le 12ème à paraître en vingt ans sur le label canadien Stony Plain), Ronald Horvath (alias Ronnie Earl) vient de fêter son 69ème anniversaire. D’une sensibilité extrême, le toucher de Ronnie et sa puissance émotionnelle lui ont valu non seulement une ribambelle de récompenses (dont quatre Blues Music Awards en tant que guitariste de l’année), mais l’admiration de ses pairs, ainsi qu’un respect unanime au sein des communautés jazz et blues internationales. D’une indéfectible humilité, le bonhomme n’en finit jamais de remercier à qui mieux-mieux (plus de 70 dédicaces cette fois encore), mais aucun de ceux qui le connaissent ne peut mettre sa sincérité en doute. Toujours entouré d’une nième mouture de ses fidèles Broadcasters (au sein desquels le claviériste Dave Limina fait désormais figure de vétéran, au bout de vingt ans de service), il entame le programme avec une reprise du “Blow Wind Blow” de Muddy Waters, que chante Diane Blue (vocaliste également en poste depuis un bail, aux côtés des non moins stables Paul Kochanski, bassiste et Forrest Padgett, batteur). C’est la guitare de Peter Ward (frère de “Mudcat'” Ward, bassiste des Bluetones, et dont nous avions chroniqué en 2019 le “Train To Key Biscayne” – chronique à retrouver ICI) qui y donne brillamment la réplique au patron (il figure également sur quatre autres plages), tandis que l’ami Anthony Geraci y tient le piano, et que Limina assène sur la coda un furieux solo de Hammond B3. Autant fan de jazz que de blues, Ronnie délivre ensuite une splendide version (forcément instrumentale) du “Alabama” de John Coltrane, avec l’apport des saxophones ténor et baryton de Mario Perrett et Mark Earley. Virage à 180° pour le rural et acoustique “Blues For Ruthie Foster”, où seules s’expriment les guitares d’Earl et Ward, selon le mode Mississippi Delta folk-blues si cher à l’intéressée. Symboliquement, Ronnie nous gratifie ensuite d’une nouvelle version de la plage titulaire de son premier album solo (“Soul Searching” en 88), dans une veine latino bardée de cuivres et d’orgue Hammond, évoquant mieux que jamais le jeune Carlos Santana. Entre Otis Rush et le Stevie Ray Vaughan de “Tin Pan Alley” et “Riviera Paradise”, l’instrumental “Blues For Duke Robillard” rend hommage à son vieux complice, avec lequel il avait enregistré un album en 2005 sur leur même label commun. Persistant à varier les plaisirs, Ronnie nous gratifie ensuite d’une version soulful à souhait du “Only You Know And I Know” de Dave Mason (qu’adaptèrent dans un esprit similaire Delaney & Bonnie voici un demi-siècle, avec Clapton, Steve Cropper et Duane Allman pour guests). Limina s’y délecte manifestement à pasticher les parties d’orgue de Bobby Whitlock et Stevie Winwood, tandis que chacun des cuivres y prend également son solo juteux, avant que les six cordes du boss n’y portent la subtile estocade. Retour à la filière West-Side d’Otis Rush et Magic Sam, pour une version instrumentale du poignant “A Prayer For Tomorrow” d’Anthony Geraci avec son auteur au piano tempéré, auquel répondent l’orgue sensible et scintillant d’un Limina décidément en verve, et les six cordes plus lumineuses que jamais de ce phénomène de feeling que demeure Ronnie: un sommet en soi. Comme l’indique son titre, le Texas double-shuffle “Dave’s Groove” s’appuie sur le jeu sinueux de l’organiste, mais les souffleurs s’y partagent équitablement la part du lion avec ce dernier et le patron. Première pièce de résistance, le fameux “Please Send Me Someone To Love” de Percy Mayfield déploie sur près de onze minutes toute la science mélodique et orchestrale d’un leader dont la modestie ne se complète pas moins d’une profonde culture des musiques afro-américaines (qu’il étudia à la Boston University). Diane Blue y fait preuve d’un indéniable talent d’interprète, apposant une touche gospel proche de celle d’une Mavis Staples, tandis que l’orgue de Limina y fait office de Master Of Ceremony, et que cuivres et guitare y font suinter chaque note d’une palpable émotion: un nouvel Everest! “Coal Train Blues” s’avère un Chicago blues conventionnel, prétexte à une jam entre musiciens comme en initiaient sur place et en leur temps Barry Goldberg et Mike Bloomfield, mais il en va autrement du “The Sun Shines Brightly” sur lequel il débouche. Cette autre longue pièce instrumentale offre à Ronnie l’occasion d’exprimer tout son amour du deep blues, tel qu’il migra du Sud rural des États-Unis vers les villes industrielles du Nord. À nouveau rejoint par les 88 touches d’un Geraci en lévitation, il y démontre la dévotion qu’il ressent envers les Buddy Guy, Jimmy Dawkins, Luther “Guitar Jr.” Johnson, Jimmie Rodgers, Paul Oscher et consorts qui l’ont précédé, et Diane Blue y mérite plus que jamais son patronyme (ainsi que les galons s’y référant), tandis que Limina y rejoint au panthéon de l’orgue Hammond des figures telles que Jimmy Smith et Booker T. Jones: une épiphanie pour tout fan de blues digne de ce titre! Le classique gospel soul enflammé “(Your Love Keeps Lifting Me) Higher And Higher” conclut en beauté positive ce nouveau et copieux classique, que nous vous recommandons chaleureusement.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, March 20th 2022

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Un album à commander sur le Bandcamp de Ronnie Earl, ICI