Lisa Rich – Listen Here (1983 – Digital Reedition) – FR review

Tritone Records, 1983 / Discovery Records, 1985 – Available
Jazz
Lisa Rich – Listen Here (1983 – Digital Reedition)

La vie a ses moments de poésie inattendue. Pour moi, l’un d’eux s’est déroulé en 1983, au cœur d’une carrière qui me plaçait alors dans les coulisses de l’une des plus grandes radios européennes. Le monde de la radiodiffusion, en ces années-là, n’était qu’un tourbillon étourdissant: des piles de vinyles débarquant chaque jour dans des cartons, des dossiers de presse s’amoncelant en désordre sur les bureaux, des échéances serrées, et la musique qui se succédait à un rythme effréné dans les couloirs. Et pourtant, la mémoire a cette étrange faculté de préserver certains instants, de les fixer comme dans l’ambre. Je revois la scène presque comme une photographie: la lumière pâle du matin s’inclinant par la grande fenêtre de mon bureau, se répandant sur le chaos des disques et des papiers. C’est alors qu’elle a illuminé une pochette de disque dont la sobriété tranchait avec le vacarme visuel de l’époque. Tandis que la plupart des albums du début des années 80 rivalisaient de couleurs criardes, celui-ci chuchotait. D’un blanc épuré, il semblait une invitation à la pause et à la contemplation.

Je me souviens avoir fermé la porte de mon bureau, cherchant à m’extraire un instant de l’agitation. J’avais à ma disposition ce que tout audiophile de l’époque aurait envié: une chaîne hi-fi Revox, aux lignes nettes et précises, et de massives enceintes Celestion capables de faire résonner un souffle comme une cloche de cathédrale. Je tenais la pochette entre mes mains, la faisant tourner lentement, en suivant ses contours, avec l’intuition qu’elle recelait quelque chose de particulier. Puis le rituel commença: le disque glissé hors de sa jaquette, la lumière du jour accrochant les sillons, le capot de la platine soulevé, le vinyle délicatement posé sur le plateau. Une pression sur la touche «Play», et l’univers s’ouvrit.

La première plage, Nothing Like You, s’élança, et ce fut une révélation. Ce qui me saisit d’abord, ce fut la voix: cristalline, joyeuse, vibrante d’une énergie à la fois intime et expansive. Puis l’orchestration, lumineuse, ample, d’une beauté à couper le souffle. L’effet fut immédiat, total. J’eus aussitôt le réflexe de saisir un carnet, griffonnant à la hâte quelques phrases, des esquisses de présentation que je destinais à mes auditeurs. Je ne le savais pas encore, mais cet album allait devenir un compagnon fidèle. Pendant toute une année, il accompagnerait mes émissions, s’inscrivant à la fois dans la mémoire des ondes et dans celle de milliers d’auditeurs.

C’était une époque d’optimisme, une ère où les sourires semblaient plus faciles, où la musique portait encore avec elle une part de surprise et d’émerveillement. Cet album en était l’incarnation, porté par un mixage d’une clarté exceptionnelle, bien au-dessus de la moyenne des productions de l’époque. Parmi ses trésors, un titre en particulier, The Wine of May, devint ma pierre d’angle. Je le diffusais souvent, séduit par sa chaleur et sa magie discrète. Mais qui aurait pu imaginer, en ces temps purement analogiques, que des décennies plus tard, une invention étrange nommée Internet abolirait les distances et me mettrait en contact direct avec l’artiste elle-même? Lisa Rich m’écrivit pour me proposer de présenter la réédition numérique de cet album. Ce fut comme un cercle qui se referme, une symétrie de la vie. Comment aurais-je pu refuser? Admirer une artiste pendant tant d’années, et voir son œuvre avoir marqué si profondément ma vie professionnelle et personnelle, il fallait rendre hommage.

Car cet album n’est pas un simple vestige. C’est une œuvre vive, audacieuse, dont l’art continue d’éblouir. On y croise les compositions de Bob Dorough, David Frishberg, Clare Fischer, Chick Corea, Richie Cole, et bien sûr Lennon & McCartney — un véritable ciel constellé de grands noms. Mais au-delà des compositeurs, il y a l’interprétation: les prestations inoubliables de David Kane, Cameron Brown, Michael Smith, Marc Copland et Mike Crotty, portées par la voix lumineuse de Lisa Rich.

Les albums acoustiques possèdent, je crois, une magie particulière. Ils défient le temps. À l’écoute de la réédition numérique, je suis frappé de constater combien ce disque sonne encore moderne, comme s’il avait été enregistré hier. Seules quelques touches de clavier électronique trahissent les années 1980. Pour le reste, tout demeure d’une fraîcheur saisissante, son charme intact. Et peut-être est-ce là le plus grand compliment qu’on puisse adresser à un enregistrement: transcender son époque.

Nous avons tous ces albums qui deviennent, pour des raisons intimes ou mystérieuses, les pierres angulaires de notre vie. Celui-ci est resté près de moi, niché dans ma mémoire, prêt à resurgir. Chaque écoute me ramène en arrière: vers ce jeune journaliste que j’étais, cet auteur plein de rêves, avide de voix fortes et authentiques. Déjà alors, il existait des pressions: les maisons de disques nous incitaient à privilégier certains artistes à l’antenne, souvent contre rétribution. Mais j’ai toujours résisté. Je voulais mettre en lumière ceux qui étaient vrais, ceux qui plaçaient leur art au-dessus du commerce, ceux qui créaient par nécessité intérieure plutôt que par calcul.

Lisa Rich fait partie de ces rares artistes. Elle ne se contentait pas d’interpréter: elle remodelait les chansons, redessinait leurs contours, leur insufflait sa vision propre. C’est là la marque des grands: non pas répéter, mais réinventer. C’est pourquoi je la considère comme l’une des vocalistes majeures de sa génération. Et elle n’a pas fini. Elle m’a confié récemment qu’un nouvel album était en préparation. L’idée m’emplit d’une joie vive. Savoir que sa voix, qui m’accompagne depuis tant d’années, s’apprête à se déployer encore, à occuper un nouvel espace, est un privilège.

Ainsi, l’histoire continue. Ce qui avait commencé en 1983 par une simple pochette blanche illuminée par la lumière du matin n’a pas trouvé son épilogue. La musique, comme la mémoire, refuse la fin. Et la voix de Lisa Rich, tenace et souveraine, nous rappelle que le véritable art ne vieillit pas, il attend simplement que nous l’écoutions à nouveau.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, August 21st 2025

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Vinyl available HERE

Musicians:
Lisa Rich – vocals
David Kane – piano, electric piano, synthesizer, guiro, tambourine
Cameron Brown – acoustic bass
Michael Smith – drums
Marc Copland – piano (2, 3), tenor sax solo (3, 4), soprano sax solo (9)
Mike Crotty – trumpet, fluglehorn, alto sax, tenor sax, flute, alto flute, bass clarinet

Trackinglist:
Nothing Like You
Listen Here
The Wine of May
Morning
Shaker Song
Bulgarian Folk Song
Times Lie
Spring Can Really Hang You Up the Most
The Drinking Song
Can’t Buy Me Love
DC Farewell

Produced by Lisa Rich and Sandra Krause Trupp
Musical Director: David Kane
Arrangements by David Kane, except #1 and #11 by Mike Crotty, #2 and #3 by Marc Copland
Creative Consultants: David Kane, Mike Crotty, Sharon Smith, Marc Copland and Phil Trupp
Recorded by Bob Dawson at Bias Recording Studio, Springfield, Virginia
Cover art: Al Laoang
Photo: John Mitchell
Mastering: Mike Monseur