LENNY LAFARGUE – Rouler rouler…

Label LBONTEMPSROULER / InOuïe Distribution
Blues
LENNY LAFARGUE - Rouler rouler...

10ème album pour Lenny Lafargue, le king of the bayou de l’estuaire de la Gironde, le bad boy de la fièvre des marais, le dur à cuire d’un blues poisseux et sans concession, à la voix suave à faire fondre la banquise arctique et à faire danser le boogaloo et le honky tonky, swinguer le swamp et twister le blues, aux ours polaires, tequila sunrise à la main, au grand dam des écolos à tous crins.
10ème opus pour Lenny Lafargue, mine ne rien, sans en avoir l’air, sans tambour ni trompette, sans tintamarre médiatique, sans la lumière des spotlights et le tapis rouge d’un talk-show ennuyeux et brosse à reluire à tous les étages façon Drucker, sans bomber le torse ni rouler des mécaniques, la liberté chevillée au corps, la Fender Télécaster 52 en bandoulière, ses inséparables Ray Ban sur le nez, non pas pour jouer la star inaccessible et méprisante d’Hollywood Boulevard, mais comme pour se protéger d’un monde devenu fou et qui vacille, aux antipodes de sa philosophie de vie au quotidien, lui qui parle aux brochets sur les bords de la Garonne, plus cigale que fourmi, loin du tumulte des grandes métropoles, avec son blues de nomade comme unique compagnon d’infortune des petits matins chagrins et des soirées de spleen, à se noyer dans l’ivresse des profondeurs d’un verre de Pauillac Lafite Rothschild 2008.
Personnellement, je ne remercierais jamais assez mon ami l’inoxydable Benoît Blue Boy, légende parmi les légendes, pionnier d’une certaine idée du blues français, qui il y a plus de 25 ans, m’a fait découvrir l’œuvre de Lenny Lafargue, avec le sublime album L’Estuaire, dont Benoît avait assuré de main de maître la réalisation et depuis, je ne l’ai plus lâché, tel le sparadrap collé aux basques du Capitaine Haddock, avec la fidélité sans borne d’un grognard envers Napoléon 1er ou d’un inspecteur des finances publiques envers un contribuable indélicat. A chaque sortie d’album de Lenny, j’étais comme le loup de Tex Avery, les yeux écarquillés et les esgourdes en interaction. Ce 10ème album sobrement et avec éloquence intitulé Rouler rouler… ne déroge pas à la prolifique œuvre discographique de Lenny. Toujours ce grand écart entre le swamp de Bâton-Rouge (Louisiane) de l’incontournable Slim Harpo et les juke-joints et autres barrel house de Clarksdale (Mississippi), ville natale de Son House et John Lee Hooker, à proximité de la rivière Sunflower. Sans oublier le blues du Rio Grande (Texas), cher aux Fabulous Thunderbirds et à Lightnin’ Hopkins et toutes ces richesses bigarrées et ces moult inspirations épicées du Golfe du Mexique, envers lesquelles, Lenny Lafargue exécute d’innombrables arabesques, avec une aisance déconcertante et un talent jamais remis en cause, même par le dernier des béotiens. Quelle crédibilité de la part du bluesman bordelais, dans cet exercice qui aurait pu s’avérer périlleux voire casse-gueule, si le globe-trotter du swamp-blues dans la langue de Molière et de Victor Hugo, s’était contenté depuis des décennies, à nous servir le minimum syndical, une soupe tiède et insipide et à distiller un fac-similé, sans mettre ses tripes sur la table, son cœur à l’ouvrage et son âme au service de la musique, au service du blues et du rock’n’roll. Bref, sans mettre les mains dans le cambouis ni la tête dans le guidon. Benoît Blue Boy avait prouvé que l’on pouvait faire du blues en français, faire swinguer et sonner les mots du Larousse, malgré la désapprobation d’indécrottables puristes, dont l’esprit étroit peut encore et toujours engendrer des crises d’urticaire aigues ou comme pour Eddie Cochran, approcher dangereusement la nervous breakdown. Lenny Lafargue est un auteur à la sensibilité émotionnelle et poétique à fleur de peau, l’un des derniers des grands romantiques, tel Alfred de Musset qui aurait croisé la route de Lightnin’ Slim, ou dans la droite lignée des chansons réalistes de Fréhel, Damia ou Edith Piaf. Des textes autobiographiques qui relatent les sarcasmes de la vie et les petites galères au quotidien, dans lesquels chacun peut se reconnaître. De surcroît, Lenny est un guitariste hors pair, un véritable musicien-compositeur de blues, avec un savoir-faire incroyable, entre groove et feeling de premier de cordée, comme il en existe peu dans nos lointaines contrées. Le blues de Lenny, ce n’est pas de la poudre de perlimpinpin! Avec Rouler rouler… qui fait suite à Unplugged Secret, (chroniqué ICI sur Paris-Move) Lenny Lafargue distille inlassablement et avec toujours la même passion, un blues lancinant, obsédant et suffoquant, le blues des marais, le blues down home et roots à jouer les pieds nus et la chemise ouverte, au gré du vent, au son du chant des cigales, du bourdonnement apocalyptique des moustiques assoiffés d’hémoglobines, et des sonates régulières de ce grand fleuve sacré qu’est la Garonne, dans un cocktail sonore qui donne le tempo et assure à Lenny, une rythmique d’enfer. Avec un soupçon d’imagination, on pourrait presque apercevoir les bateaux à roues à aubes en amont du fleuve et les alligators aux crocs acérés et au sourire Ultra Brite de gendre idéal, frétiller à l’écoute de Rouler rouler… avant de se faire un gargantuesque festin, loin des régimes Comme J’Aime. Le blues de Lenny se situe aux antipodes d’un job alimentaire et mercantile, à ce niveau de vénération, de respect et de passion envers la petite note bleue, il s’agit sans conteste d’un authentique art de vivre au quotidien pour lequel il voue une dévotion quasi christique. Loin des strass et des paillettes du m’as-tu-vu showbiz, Lenny préférera toujours la quiétude d’un pique-nique saucisson et Saint-Estèphe devant la cabane du pêcheur, aux frasques et à un duplex du triangle d’or et du quartier des Grands Hommes.
Le nouvel album de l’enfant prodige du blues de Bordeaux a une robe avec de belles nuances, du nez aux arômes enivrantes, un bouquet aromatique charmeur, une attaque à l’efficacité inouïe, une matière bluesicale indélébile au swamp ample et tannique, un blues racé et équilibré, à la fois boisé et charnu… N’hésitez pas à entrer dans son univers musical et dans sa philosophie singulière, à l’ère de l’ultralibéralisme et de l’égoïsme tous azimuts. C’est le bon mojo assuré, les clés du paradis en poche! De La Teste-de-Buch au bassin d’Arcachon, en passant par la Dune du Pilat et le château Margaux de Talence, Lenny Lafargue n’a pas fini d’apporter du bonheur et de laisser l’bon temps rouler… INDISPENSABLE !

Serge SCIBOZ
Paris-Move

PARIS-MOVE, February 9th 2024

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