Kenny Barron – Sunset To Dawn (FR review)

Time Traveler – Street date : October 17, 2025
Jazz
Kenny Barron - Sunset To Dawn

Redécouvrir “Sunset to Dawn” de Kenny Barron: la naissance d’un visionnaire du jazz.

En 1973, alors que résonnaient encore les échos du Pop Art et de la Flower Power, la musique américaine vivait une profonde métamorphose. C’était une époque où les couleurs semblaient plus éclatantes, les idées plus libres, et où la pulsation creative, de New York à Philadelphie, vibrait dans chaque sillon de disque. Au cœur de cette effervescence artistique, un jeune pianiste nommé Kenny Barron trouvait sa voix. Son premier album en tant que leader, Sunset to Dawn, paru chez Muse Records, ne révélait pas seulement le talent d’un musicien prodigieux, mais aussi l’esprit d’une époque audacieuse, prête à abolir les frontières entre les genres.

Le son de Philadelphie et l’éveil d’un visionnaire

Philadelphie, au début des années 1970, était un creuset où se mêlaient soul, funk et jazz. Des groupes comme M.F.S.B. façonnaient le son caractéristique de la ville, luxuriant, rythmé, irrésistiblement groovy. Barron, qui allait devenir l’un des pianistes majeurs du jazz moderne, s’imprégnait de ces influences tout en traçant sa propre voie, plus introspective, plus abstraite. Les textures funk du morceau d’ouverture de Sunset to Dawn cèdent rapidement la place à quelque chose de plus dense, de plus cérébral, tandis que les lignes de piano de Barron se déploient avec une chaleur, une intelligence et une audace tranquilles.

À ce moment-là, il était un jeune homme en quête, expérimentant, refusant toute contrainte. Son jeu au clavier était déjà magnétique, précis, lyrique, d’une richesse subtile et d’une émotion contenue. L’album était à la fois une déclaration et une exploration: Barron y affirmait sa volonté de diriger, tout en s’autorisant à douter, à chercher.

De Dizzy à la découverte de soi

Le parcours de Barron jusqu’à ce point a des allures de parabole jazzistique. À dix-neuf ans, il quitte Philadelphie pour New York, se plongeant dans le bouillonnement musical de la ville. Il joue avec Roy Haynes, Lee Morgan et James Moody, qui le remarque un soir au mythique Five Spot Café. Sur la recommandation de Moody, Dizzy Gillespie engage le jeune pianiste en 1962, sans même l’avoir entendu jouer une seule note. Au sein du groupe de Gillespie, Barron découvre alors la richesse rythmique des musiques latines et caribéennes, palette sonore qui nourrira plus tard son propre langage musical.

Au fil des années suivantes, Barron collabore avec une impressionnante constellation de figures du jazz: Freddie Hubbard, Stanley Turrentine, Milt Jackson, Buddy Rich, et bien sûr Yusef Lateef, dont l’approche introspective de l’improvisation marquera profondément l’art de Barron.

Une époque de liberté et de création

Les années 1970, à New York comme à Paris, furent celles de la liberté absolue. Les artistes pouvaient se faire remarquer rapidement, pour peu qu’ils aient du talent et une vision. La créativité tenait lieu de rébellion, et l’expression individuelle était une valeur partagée. Dans ce climat d’émancipation, Sunset to Dawn apparaît comme une évidence: un disque-pont entre la pulsation du funk et la rigueur intellectuelle du jazz.

À l’écoute aujourd’hui, on y perçoit autant la fougue de la jeunesse que l’intemporalité d’un langage musical déjà accompli. Barron y joue comme s’il racontait une histoire entre l’ombre et la lumière, entre le silence et le son. Son phrasé, à la fois réfléchi et spontané, révèle un artiste déjà relié à quelque chose de plus vaste que lui, ce courant ininterrompu qui relie la tradition du jazz à sa perpétuelle réinvention.

La construction d’une légende

Les décennies suivantes confirmeront ce que Sunset to Dawn avait laissé entrevoir. Sous le label Verve Records, Barron obtiendra neuf nominations aux Grammy Awards, à commencer par l’extraordinaire People Time, un duo d’une rare intimité avec Stan Getz, suivi de Sambao, empreint de rythmes brésiliens, et de Freefall (2002). Spirit Song, Night and the City (avec Charlie Haden) et Wanton Spirit (avec Roy Haynes et Haden) recevront eux aussi plusieurs nominations, pour l’album comme pour la performance instrumentale. Son disque Canta Brasil (Universal France), enregistré avec le Trio de Paz, fut classé par le magazine JazzIz parmi les dix meilleurs albums de 2003.

À travers toutes ces œuvres, Barron reste un érudit du piano, élégant, curieux, modeste. Son jeu ne perd jamais cet équilibre entre intellect et émotion qui transparaissait déjà dans Sunset to Dawn.

Pourquoi “Sunset to Dawn” demeure essentiel

Plus d’un demi-siècle plus tard, ce disque n’a pas pris une ride. Son énergie et sa liberté résonnent presque comme un acte de résistance dans une époque saturée par les algorithmes et la standardisation. Le jeune Barron y rappelle que l’improvisation n’est pas le chaos, mais la connaissance rendue fluide. Chaque note de Sunset to Dawn porte la confiance tranquille d’un esprit libéré par la compréhension.

L’écouter aujourd’hui, c’est se souvenir d’une vérité simple: l’art s’épanouit lorsque la curiosité et le savoir sont célébrés. Le premier album de Kenny Barron demeure un manifeste de liberté créatrice, et plus que jamais, une œuvre nécessaire, à une époque où la profondeur a trop souvent cédé la place à la distraction.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, October 6th 2025

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To buy this album

Website

Musicians:
Kenny Barron: Piano, Electric Piano
Bob Cranshaw: Electric Bass
Freddie Waits: Drums
Richard Landrum: Congas, Percussion
Warren Smith: Vibraphone, Percussion

Track Listing:
Sunset
A Flower
Swamp Demon
Al-Kifha
Delores Street S.F.
Dawn