Pop, Reggae, Soul |
Désormais heureux retraité (après une quarantaine d’années consacrées à former les personnels de jardins d’enfants au sein de la Newton Public Schools), Kemp Harris a toujours cultivé les arts de la musique, de la comédie et du storytelling. Natif de Caroline du Nord, il transita très jeune d’un foyer à l’autre (principalement dans le Massachusetts), et composa ses premières chansons dès l’âge de 14 ans. C’est dans les clubs et coffee-houses de cet État (notamment à Cambridge, siège de la célèbre université de Harvard) qu’il mit au point un répertoire de proximité, tout en développant des talents de frontman qui le virent ouvrir le show pour des pointures telles que Taj Mahal, Gil Scott-Heron et Koko Taylor. Ceci n’est que son troisième enregistrement en vingt ans (le premier, “Edenton” – avec les Holmes Brothers, s’il vous plait – date de 2006, et le second, “Live At The Bird SF”, de 2021), et il résulte pour l’essentiel de sa rencontre avec le légendaire bassiste et songwriter Freebo (alias Daniel Friedberg, qui accompagna notamment Bonnie Raitt, John Mayall, Aaron Neville, Dr. John, Willy DeVille, Ringo Starr, Crosby, Stills & Nash, Maria Muldaur et Kate & Anna McGarrigle, entre autres). Celui-ci lui proposa de produire son prochain album dans les fameux studios F.A.M.E. de Muscle Shoals, en Alabama, dont on retrouve ici quelques piliers à ses côtés. Ainsi du claviériste Clayton Ivey (Etta James, Thelma Houston, Staple Singers, Steven Tyler…), du guitariste Will McFarlane (Bobby Blue Bland, Little Milton, Johnnie Taylor, Ronnie Baker Brooks, Johnny Rawls…) et du batteur Justin Holder (Delbert McClinton, Kris Kristofferson, Jason Isbell, John Paul White, Jimmy Hall, Donny Fritz, Jeff Rogers…). Également pianiste, Kemp introduit lui-même le churchy et protesting “Ruthie’s”, nous donnant l’impression instantanée de découvrir l’équivalent afro-américain du grand Randy Newman, sur des lyrics que n’aurait assurément pas reniés Gil Scott-Heron. Le reggae “Don’t You Hear Them America” rappelle pour sa part ce que les grands Garland Jeffreys et Gregory Isaacs accomplirent en ce domaine il y a un demi-siècle. Ivey s’en donne à cœur-joie au Hammond, évoquant ce que le regretté Winston Rodney fourbissait en son temps derrière Bob Marley. Portée par le piano de Kemp et les cuivres de Brad Guin et Allen Branstetter, la three-steps ballade “Tulsa” rivalise avec le meilleur d’un Elton John à son apogée mélodique et d’interprétation: un hymne à tirer des larmes, sans appel… “Time for some laid-back sentimental gospel funk”, semble nous signifier ensuite Kemp, avec la relecture de son propre “Edenton” d’il y aura bientôt vingt ans (featuring Marie Lewey & Cindy Walker on backing vocals), et c’est un nouvel instant classic qui monte s’imprimer illico dans votre cervelet, avec armes et bagages. “Standing Your Ground” relève carrément des Staples Singers de “Respect Yourself”, et “Down” (avec son solo d’orgue à la Swing on Bach et son chorus de guitare ourlé façon Larry Carlton) de Ben Sidran (de même que le languide “In For The Kill”, dont le regretté Billy Paul aurait manifestement su aussi quoi faire). Le satirique vaudeville rag “This Is America Right” sonne comme un outtake d’un Broadway musical, tandis que le medley “America/ Border Song” mêle l’hymne national à la chanson de rupture dont Bernie Taupin signa en 1970 les paroles pour Elton John, et que la three-steps ballad finale qu’il duettise avec Alice Howe (“Goodnight America”) confirme l’admiration que nourrit Kemp envers ce dernier. Il y a du Stevie Wonder (sans le pathos ni la mièvrerie), du Ray Charles (pour le swing, les choristes et le swagger) et du Sly Stone (mais sans la coke et la mégalo paranoïaque) chez Kemp Harris, le tout au service d’un parolier d’une sagacité top-notch. Comment a-t-on pu passer à côté d’un artiste de cette trempe jusqu’à présent? Ce disque concrétise le rêve d’une carrière, et il ne tient plus qu’à vous de le partager.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, June 15th 2025
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