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Afin de célébrer simultanément son 80ème anniversaire et les cinquante ans de son légendaire “Köln Concert” (écoulé à plus de quatre millions d’exemplaires à ce jour), Manfred Eichner, patron d’ECM, publie un quatrième témoignage de l’ultime tournée de Keith Jarrett en solo (après “Munich 2016”, “Budapest Concert” et “Bordeaux Concert”). Son titre fait en l’espèce écho à celui de son premier “Vienna Concert” (enregistré en 1992, en l’Opéra de la capitale autrichienne), mais c’est dans la Goldener Zaal du Musikverein (repaire de l’Orchestre Philarmonique de Vienne) qu’il eut cette fois l’insigne honneur de se produire. Que l’on ne se méprenne cependant pas: s’il n’avait manifestement rien perdu de son impressionnante créativité, le Jarrett de 2016 n’avait plus guère à voir avec celui de 1975. Souffrant d’un syndrome de fatigue chronique depuis le début des années 90, il s’était dès lors trouvé contraint de renouveler son style. Terminées, les longues envolées lyriques en forme de marathon, l’heure était désormais à l’économie contrainte de ses propres ressources physiques. Serait-ce à dire que cette ultime période eût à pâlir, au regard de celle de ses débuts flamboyants? Les dix séquences de ce recueil y opposent un démenti catégorique. Sobrement intitulée “Part I”, la plage d’ouverture s’avère un tour de force dans l’esprit ébouriffé d’un Cecil Taylor: en un tourbillon de notes heurtées, Keith paraissait alors tester les capacités percussives et harmoniques du Bösendorfer qui lui était alloué. Manifestement rassuré, c’est dans un esprit nettement plus conciliant qu’il abordait ensuite “Part II” (comme lors des récentes exhumations de concerts de Can dans les seventies, les improvisations ne portent ici nul autre titre que leur numérotation). Plage aussi méditative que celle qui lui succède, cette dernière instaure pour sa part un climat plus sombre, exécuté en mineur. Les élégiaques “Part IV” et “Part V” relèvent de ces ballades poignantes où s’exprime une verve mélodique au croisement de Bach, Brahms et Bill Evans. C’est entre Satie et Debussy qu’évolue ensuite “Part VI”, selon le mode inquiet et incertain d’un amant errant de par les rues nocturnes, à la recherche de sa bien-aimée. “Part VII” transpose le lyrisme romantique du “Concerto d’Aranjuez” de Joaquin Rodrigo, et “Part VIII” revisite les racines blues et ragtime d’un musicien décidément à même d’embrasser tous les genres. Ce qu’il persiste à démontrer au fil d’un “Part IX” où ces références se télescopent au contact du gospel et de la soul façon Atlantic. Comme il en est coutumier, Jarrett conclut ce set par une reprise du “Somewhere Over The Rainbow” du “Magicien d’Oz”, sensiblement différente toutefois des autres versions qu’il enregistra auparavant. Plus posée et solennelle, elle y acquiert une gravité inédite, dont la puissance émotionnelle est sans doute accentuée par notre conscience de son inéluctable issue. D’une irréprochable qualité acoustique (comment pourrait-il en être autrement?), voici donc une nouvelle occasion de célébrer l’un des génies les plus singuliers du demi-siècle écoulé, alors qu’il scintillait de ses derniers feux.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, June 12th 2025
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