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Sory Kandia Kouyaté (né en 1933 et disparu en 1977) incarna LA voix de la Guinée indépendante. Descendant direct de Balla Fasséké Kouyaté, l’illustre “djeli” (terme désignant le détenteur et transmetteur de la tradition orale d’un peuple), griot personnel de Soundiata Kaïta (fondateur de l’Empire Mandingue), il fut initié très jeune par son père à la musique et à la généalogie guinéennes. Bien qu’ayant perdu celui-ci quand il n’avait que douze ans, Kaabi Kouyaté s’est à son tour orienté vers une carrière artistique.“Avant son dernier concert, mon père m’a responsabilisé: il m’a remis un document qui parlait de sa généalogie, et m’a demandé de le garder pour le lui rendre à son retour. Je n’ai plus revu mon papa, mais partout où je suis allé, j’avais ce document avec moi”, rappelle-t-il. Ceci ne constitue toutefois pas son premier hommage envers son géniteur. Avec son beau-frère Papa Kouyaté (percussionniste de renom), il s’était en effet déjà prêté à cet exercice au début des années 90, sur une partie de son album “Faso”, selon des arrangements de Manu Lima, le claviériste Sénégalo-Capverdien considéré comme l’un des géniteurs de l’afro-zouk (genre auquel Kaabi s’est également adonné en 2000). Sa rencontre en France avec son compatriote metteur en scène, Souleymane Koly, l’a détourné un temps de cette voie, le poussant même à rejoindre l’ensemble Koteba de celui-ci à Abidjan, dans le but d’acquérir davantage de connaissances sur l’art africain. Il fit ensuite partie du cercle rapproché de Cheick Tidiane Seck, accompagnant l’Américaine Dee Dee Bridgewater lors de la tournée consécutive à son propre projet Malien… En 2014, le réalisateur Laurent Chevallier le prit littéralement à témoin pour retracer le parcours de son paternel, au fil du documentaire “La Trace De Kandia” qu’il lui consacra. Après des décennies à osciller entre théâtre et afro-jazz, Kaabi boucle à présent ainsi son propre périple, en revenant aux sources de sa vocation avec cet album-hommage à son géniteur. Trait d’union entre le fils et le père, Aminata Camara, choriste de ce dernier, preste sa voix sur deux titres, tandis que le pianiste Jean-Philippe Rykiel et le koriste Ballaké Sissoko (chroniqué ICI pour sa collaboration avec Derek Gripper, l’an dernier) et le ngoniste Badié Tounkara (tous trois virtuoses émérites) assurent le fil d’Ariane des huit sélections qu’a choisi Kaabi parmi le vaste répertoire de son père. La trompette de Fabrice Martinez enlumine l’émouvant “Dari”, tandis que la diapora Kouyaté s’illustre par la présence de l’alerte guitariste Moriké Kouyaté, du balafon de Lonsine Kouyaté et des chœurs de Kandé Kouyaté. Mais c’est bien le timbre puissant et modulé de Kaabi qui magnifie et transcende cet album, au fil duquel sa voix évoque de la manière la plus troublante celle de Sory Kandia (ce fameux mezzo-soprano, réputé capable de couvrir en son temps jusqu’à des instruments amplifiés). Avec le seul soutien des ivoires déliés de Rykiel (hormis un bref chorus de balafon), le bouleversant “N’Dam Yafa” ne préserve quasiment de son héritage africain que ce chant, qui suffit néanmoins amplement à son ancrage vernaculaire. Et si quelques plages (telle “Tinkisso Dan”) s’étoffent d’un djembe et d’une guitare, voire d’une contrebasse et d’un violon (“Masanou”), ce sont celles qui présentent Kaabi en comité restreint, avec le simple accompagnement d’un ngoni et d’une kora, qui exhalent le charme le plus authentiquement proche de la geste paternelle (cf. le magnifique “Mawouna”, en simple duo avec la kora de Sissoko). Sans conteste l’une des perles ouest-africaines de cet équinoxe, un album d’une intensité lumineuse.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, July 9th 2025
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