JOHNNY DELAWARE – Para Llevar

Normaltown / New West
Americana
JOHNNY DELAWARE - Para Llevar

Comment peut-on choisir pareil pseudo? C’est un peu comme si chez nous quelqu’un optait pour celui de Gérard Charente-Maritime en guise de nom de scène (on a certes déjà Café Gourmand). C’est que John Kuiper est un cas (pas inca, non, bien que ses accointances avec le continent sud-américain auraient pu l’y incliner). Natif du Dakota du Sud (et donc nullement du Delaware), ce guitariste et auteur-compositeur adopta très tôt la vie nomade de ces ramblin’ men qui peuplent le quotidien (comme l’imaginaire) des vastes plaines du Sud et de l’Ouest des USA. Pour le moment basé au Mexique, il a longtemps bourlingué entre le Texas et la Caroline du Sud, où il enregistra (à Charleston) son premier album solo (“Secret Wave”) dès 2013, avant de récidiver en 2022 avec “Energy Of Light”. “J’ai traversé une période particulièrement sombre quand j’étais au Texas”, raconte-t-il. “C’est la première fois que je réalisais à quel point une chanson pouvait être importante et puissante, comment elle pouvait te guérir et changer ta vie. C’est à ce moment que j’ai compris que je devais enregistrer mes propres chansons afin de pouvoir faire la même chose pour les autres“. Il faisait partie de l’alternative country outfit Susto quand un ami archéologue l’invita à le rejoindre au Mexique, le temps de ses recherches sur place. Ce séjour temporaire finit par devenir permanent, puisque notre vagabond y fit l’acquisition d’un terrain pour s’y fixer avec sa compagne autochtone. Sa philosophie tient en ce simple dogme: “Tu peux très bien vivre heureux dans une petite bicoque ou te sentir comme une merde dans une superbe villa. Les conditions matérielles ne changent pas qui tu es au plus profond. Au bout du compte, tu ne peux pas échapper à toi-même, peu importe où tu vas”. Comme en écho à ces principes, l’enregistrement de ces dix nouveaux titres s’est réalisé en sept lieux différents, répartis entre Charleston, Athens en Georgie et Mexico, et variant du studio ad hoc à la chambre d’hôtel de passage. Le genre de commodités dont étaient coutumiers d’autres errants tels que Neil Young et J.J. Cale dans ces early-seventies où l’on ne s’embarrassait pas toujours de confort ni de haute technologie. Avec ses arrangements de cordes vaporeux sur picking acoustique, le “Jungle Full Of Ghosts” d’ouverture rappelle les riches heures de James Taylor (celui de “Sweet Baby James” et “Mud Slide Slim”), tandis que “Running” et “Caution Darlin'” en font autant avec le Dylan Leblanc de “Coyote” et “Renegade” (tous deux chroniqués ICI et ICI). Avec sa dreamy americana finement ciselée (comme CSNY, America et les Eagles surent en ouvrager en leur temps), ce Johnny-ci se révèle de l’envergure de cadors tels que le regretté Jimmy LaFave, ne serait-ce qu’au fil de ballades à tomber comme ces “Sad Song”, “Darkness” et “Stubborn Faith”, où le vibrato d’une steel-guitar répond à des chœurs en echo-delay. Fin guitariste, Kuiper-Delaware nous gratifie d’un cameo instrumental à la “Okie” (“Incognita”), avant d’asséner son master stroke, “You Alone (Are The Revolution)”, le genre de outlaw country hit à même de renvoyer les sinistres fantoches qui reprennent le pouvoir un peu partout à leurs funestes desseins. L’enjoué “Never Let Go” n’aurait pas déparé le “New Morning” de Bob Dylan, avant que “Mexico City Blues” ne ferme majestueusement le ban, en ravivant rien moins que la splendeur de son “Blood On The Tracks”. En espagnol, “Para Llevar” peut se traduire par “partir“, mais aussi par “à emporter”. Cet album s’avère en tout cas le vade mecum idéal pour l’invitation au voyage, qu’il soit intérieur ou autre.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co

PARIS-MOVE, January 16th 2025

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