Americana |
Attention: cet album représente en quelque sorte pour l’Americana un équivalent du sommet de Davos! Trois super-puissances du songwriting s’y confrontent en effet, mais au lieu d’une compétition stérile, elles s’y livrent à de réjouissantes coopérations. Par ordre alphabétique, prenons d’abord Martin Harley. Ce guitariste, compositeur, bourlingueur et chanteur britannique a enregistré huit albums sous son nom en deux décennies (dont un remarquable live voici cinq ans déjà avec Daniel Kimbro). Kimbro, tiens, parlons-en: ce bassiste et contrebassiste de Nashville a collaboré au fil des ans avec rien moins que John Hiatt, James Taylor, Alison Krauss, Cara Dillon, R.B. Morris (dont nous avons récemment loué le magistral “Going Back To The Sky” – chronique à lire ou relire ICI) et le Jerry Douglas Band. Quant à Sam Lewis, cet autre Nashvillian, son “Solo” d’il y a deux ans nous avait mis sur le flanc (évoquant avec panache les ombres de John Prine et Townes Van Zandt). Un album dont vous pouvez retrouver la chronique sur notre site, ICI.
Ce playing & performing collaborative summit nous vaut douze nouvelles perles composées à six mains, et brillamment exécutées à trois voix et trente doigts. La touche appalachian bluegrass façon Mississippi John Hurt du “Grey Man” introductif donne le ton, et si la nostalgie du J.J. Cale de “Okie”, “Really” et “Naturally” vous tenaille encore, vous dégusterez cette vignette où slide, picking et chœurs à l’unisson trahissent l’indéniable imprégnation de son style. “Neighbors” poursuit dans cette veine acoustique, entre Everly Brothers et Willie Nelson. On remonte davantage encore aux sources de la country music, avec ces “Creeping Charlie”, “Good Guy”, “What To Do” et “Man Get Ahold Of Yourself” aux accents ragtime, renvoyant à Jimmie Rodgers et Hank Williams quand ces derniers posaient les fondations de la hillbilly music où Carl Perkins et consorts n’eurent plus qu’à puiser ensuite. L’ironique “Cowboys In HawaII” emprunte le ton désuet d’une ritournelle rétro (avec le renfort des cordes et steel guitar arrangées par Daniel Kimbro et Christian Sedelmyer), tandis que “Rosary” rappelle l’Americana acoustique d’un Jerry Garcia circa “American Beauty” et “Workingman’s Dead”, voire celle des Byrds dernière époque. Sur un Louisiana beat chaloupé caractéristique du regretté Tony Joe White “Who’s Hungry” exhale les senteurs du swamp, et nos trois comparses s’y donnent à cœur joie sur leurs cordes respectives. “I Gotta Chair” emprunte pour sa part ces accents celtiques si chers à Martin Harley, tout en gardant une boot sur les versants des Rocheuses, avant que le poignant “Tokyo” et le three-steps “Whiskey Decisions” n’assènent en douce deux des master strokes de ce recueil. Bien que traduisant manifestement la verve à laquelle nous a accoutumés Sam Lewis (qui y assure le lead vocal), il s’agit pourtant bien d’authentiques créations collectives, auxquelles chacun de ses complices appose sa touche décisive. A real good time record, au fil duquel s’allient culture avérée et discrète virtuosité.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, January 4th 2022
::::::::::::::::::
À noter: si Omicron leur prête vie, Martin Harley, Daniel Kimbro et Sam Lewis envisagent une tournée d’une quinzaine de dates au Royaume-Uni en mars prochain, qui devrait les mener par Liverpool, Manchester, Cardiff, Shoreham, Bristol, Stamford, Edimbourg, Cambridge, Portsmouth et Shrewsbury. Croisons les doigts…