Emma Smith – Bitter Orange (FR review)

La reserve records – Street date: July 18, 2025
Jazz
Emma Smith – Bitter Orange

Si vous aimez les divas jazz au style rétro, le dernier album d’Emma Smith pourrait bien être l’évasion nostalgique que vous attendiez.

Dans un univers où le jazz ne cesse de se fragmenter en sous-genres et en expérimentations modernes, il subsiste une enclave fidèle aux traditions, un refuge pour ceux qui chérissent encore le charme, l’élégance et le raffinement vocal des stars de cabaret d’autrefois. Si tel est votre goût musical, alors le nouvel album d’Emma Smith vous tend les bras comme une invitation chaleureuse, enveloppée de velours, vers une époque révolue. Mais ne cherchez pas ici l’innovation. Cet album ne réinvente rien, il célèbre le passé, avec une technique vocale irréprochable et une fidélité assumée à l’âge d’or du jazz.

Dès les premières mesures, le ton est donné: Smith ne cherche ni à surprendre ni à provoquer. Elle cherche à impressionner, et elle y parvient, mais dans les limites rassurantes de la tradition. Sa voix est riche, précise, émotionnellement maîtrisée, incarnant cette élégance rare dans le jazz vocal contemporain. Son phrasé, sa justesse et sa capacité à insuffler de la conviction même aux standards les plus ressassés témoignent d’un savoir-faire certain.

Prenons sa version de My Funny Valentine, presque inévitable sur ce type d’album, un passage obligé pour toute chanteuse de jazz aspirant à rejoindre les rangs des grandes. Si son interprétation est vocalement brillante, elle tombe peut-être dans l’excès, cherchant trop manifestement à se démarquer, au point de sacrifier la subtilité. Pour certains, ce surplus d’ornementation sera un régal; pour d’autres, dont votre serviteur, l’effet semble plus démonstratif qu’émouvant.

Il n’empêche: l’engouement autour d’Emma Smith est amplement mérité. Récemment élue “Chanteuse de jazz de l’année” par le Parlement britannique, elle poursuit une ascension bien méritée. Avec un parcours impressionnant, du Royal Albert Hall aux clubs de jazz les plus prestigieux du monde, et des collaborations avec des figures telles que Michael Bublé, le Quincy Jones Orchestra, Jeff Goldblum, Bobby McFerrin et Gregory Porter, Smith s’est taillée une place de choix sur la scène internationale. Sa carrière n’a rien d’un coup de chance, elle est le fruit d’années de travail acharné, de concerts rigoureux, et d’un talent vocal indiscutable.

Née dans une famille de musiciens, une mère saxophoniste, un père trompettiste et compositeur, Emma Smith semblait prédestinée à la musique. Pourtant, c’est à son grand-père qu’elle attribue sa plus grande influence: un tromboniste de l’East End londonien, passé des fanfares militaires aux scènes partagées avec Frank Sinatra, Oscar Peterson, Barbra Streisand ou Sammy Davis Jr. «Il n’a jamais manqué une seule journée d’entraînement» confie-t-elle. «Il m’a appris que ta valeur d’artiste se mesure à ta dernière performance.» Cette exigence se ressent dans chaque morceau de l’album, une rigueur, un respect de l’héritage, une conscience aiguë du devoir de transmission.

Et pourtant, malgré tant de maîtrise, on ne peut s’empêcher de regretter le manque de prise de risque. Cet album, une collection de reprises soigneusement choisies, est impeccablement réalisé, sans aucun doute. Mais il donne l’impression qu’elle passe à côté d’un tournant. Car avec une telle voix, une telle finesse d’interprétation, Emma Smith pourrait non seulement revisiter le passé, mais aussi redéfinir le présent. Un album de compositions originales, ou des relectures audacieuses de standards, l’installeraient là où elle mérite d’être: dans la cour des grandes créatrices.

Tel qu’il est, cet album reste trop sage, sans doute trop, pour ceux en quête de nouveauté. Mais pour les puristes du jazz, pour les amateurs d’arrangements soyeux et de voix maîtrisées, il y a ici de quoi se régaler. C’est, au fond, un hommage: à la famille, à la tradition, et à la puissance intemporelle d’une voix au service de son art.

Dans la galaxie sans cesse en expansion du jazz, il reste une place pour cette élégance nostalgique. Pour certains, l’album d’Emma Smith sera comme un précieux souvenir restauré avec amour. Pour d’autres, un écho lointain, trop poli pour émouvoir. Mais quoi qu’il en soit, il nous rappelle que parfois, regarder en arrière peut encore offrir un voyage digne d’intérêt, même si la destination ne change pas.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, July 11th 2025

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To buy this album

Website

Musicians :
Emma Smith, vocals
Jamie Safir, piano
Conor Chaplin, bass
Luke Tomlinson, drums

Tracklist :
Hey World, Here I Am! (Intro)
I’m The Greatest Star
Frim Fram Sauce
Make It Another Old Fashioned, Please
Tonight
Bewitched, Bothered And Bewildered
London Pride
What Took You So Long?
I’m in the Middle of A Muddle
Funny Face
My Funny Valentine
Polka Dots and Moonbeams