DIEGO LUBRANO – El Vuelo

Absilone
Flamenco, Jazz
DIEGO LUBRANO - El Vuelo

À ceux parmi nos lecteurs pour qui la rencontre du jazz et du flamenco semblerait encore relever de l’improbable, on conseillera la profitable lecture de l’édifiant article qu’y consacra en avril dernier l’érudit Patrick Dalmace dans la revue la Gazette Bleue. Son analyse ontologique et historique des rapprochements progressifs de ces deux courants en révèle la profondeur, tout en en illustrant à la fois les limites, mais aussi la paradoxale évidence, par delà le caractère parfois artificiel des expériences déjà menées en la matière. Ce préambule pour situer l’esprit dans lequel s’exprime le guitariste Diego Lubrano au fil de cet album, son tout premier en solo. Formé à l’école flamenca moderne qu’incarnèrent des musiciens comme Paco de Lucia, et que perpétuent Vicente Amigo et Gerardo Nuñez, Diego s’est progressivement ouvert au jazz, à l’étude de divers maîtres de l’instrument à six cordes tels que Joe Pass, Sylvain Luc ou encore Pat Metheny. Soit le chemin inverse de celui qu’emprunta récemment un autre guitariste français, Mathias Berchadsky (dit El Mati), dont le dernier album fut chroniqué et noté “Indispensable” dans ces colonnes en novembre dernier – une chronique que vous pouvez retrouver ICI. Qu’importe, puisque le Tunnel sous la Manche ne s’est pas creusé non plus dans un seul sens! S’inspirant ici tour à tour de la bossa d’un Jobim telle que l’interprêtait Baden Powell (“Pour Cha Cha”, “Emergencia”, “La Sabiduria Del Mar”) et du ternaire jazzy façon Wes Montgomery (“Sunset Above The Clouds”, “Seriously”, “I Remember Joy”), Diego Lubrano s’appuie ici sur la souple et swinguante rythmique que constituent le bassiste Bernard Menu et le percussionniste Adrien Spica (alternant batterie jouée aux balais et cajón, dans la néo-tradición flamenca). Les pièces de résistance “The Moment” et “Siguiriya Blues” synthétisent la rencontre esthétique de deux mondes, entre l’héritage de Paco de Lucia et Pedro Iturralde et ceux de Barney Kessel et Kenny Burrell. Compositions ciselées (“Dis Moi”, “Pour Lulu” ou la plage titulaire, où l’on croirait entendre Al Di Meola jammer avec Django Reinhardt) et improvisations enlevées se répondent ici en un éblouissant cocktail de feeling et de virtuosité, à l’écoute duquel la volubile complicité du trio saute aux tympans. Aussi libre dans sa tête qu’agile de ses doigts, ce Diego là aligne douze vignettes résonnant chacune comme des quintes flush. Si vous doutiez encore de sa démarche, souvenez vous bien que Miles Davis lui même fumait des Gitanes.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, February 7th 2021