EL MATI – Mani Fiesta

¡Butano! / Inouïe Distribution
Flamenco
EL MATI - Mani Fiesta

Du flamenco sur Paris-Move? Et alors, ça pose problème? Robbie Krieger jouait du flamenco (“Spanish Caravan”) et Keith Richards aussi, à ses heures perdues (preuve en est dans le “Shine A Light” de Scorcese, tandis que Jagger se la pète mondaine avec les Clinton), ainsi que Hugues Aufray (euh, oublions Hugues Aufray)… Si l’on cite Manitas de Plata et Paco de Lucia (laissons aussi les Gypsy Kings hors de ce débat, voulez-vous?), on aura circonscrit une bonne part du malentendu entourant la perception de ce genre par le grand public. De Miles Davis à Chick Corea et Al Di Meola (sympa comme prénom, Aldi, non?), le monde du jazz s’est souvent passionné pour le flamenco, tout comme celui du classique (Albeniz, Ravel, Joaquín Rodrigo, to name a few…). C’est qu’au confluent des courants arabo-andalous et de ceux transportés par les tziganes venus des Balkans, cette musique aux accents déchirants et aux rythmes tour à tour sensuels et enflammés a tout pour séduire le gadjé lambda. De là à en percer les mystères, c’est souvent une autre histoire… D’essence profondément gitane (au sens où ancrage et déracinement s’y trouvent intimement mêlés), le flamenco ne se résume en effet pas à ses codes (rejet du plectre – dit “onglet” – toutes les cordes jouées donc aux doigts, palmas – rythmes frappés à la simple paume des mains – et zapateados: la même chose avec les pieds), le flamenco se caractérise avant tout par le “duende” qu’y instille son interprète (l’équivalent de ce que l’on nomme “feeling” pour le blues). Initié tout jeune par des maîtres tels que John Scofield, Larry Coryell et Mike Stern, le guitariste Mathias Berchadsky (dit El Mati) s’est d’abord immergé dans le jazz, le tango argentin, le swing manouche, le musette et le classique, avant qu’un séjour à Séville ne lui retourne la tête et détermine sa voie. Qu’il figure en instrumental intégral (comme sur la majorité de cette galette), ou invite des vocalistes aussi divers et inspirés qu’Alicia Carrasco Melgar, Cristian de Moret ou Kanchana Ranesh, El Mati associe avec brio virtuosité et classicisme (“Acetileno”, “Polyptico Sevillano” ou le triptyque “El Mago-La Picaresca-Elegia”), tout autant qu’audace et transgression (la bien intitulée “Escapada” s’y mariant avec les percussions hindoustanis de Sri Subash Chandran et Raja Shivaram), pour aboutir à une œuvre à la fois accessible, exigeante et irrévérencieuse. Bon Dieu, mais n’était-ce pas l’une des définitions du rock, au siècle dernier? El Mati rejoindrait donc en ces termes Eddie Cochran, Little Richard, Jerry Lee Lewis, John Lennon, Jonathan Richman et Frank Zappa? Bienvenue au club, camarade: un album en tout point splendide!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, November 14th 2020