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Ayant vu le jour au sein d’une famille de musiciens (grand-père chef de chœur, oncle producteur de musiques pour enfants, parents instrumentistes et pédagogues), la jeune pianiste Clélya Abraham a d’abord collectionné les diplômes au conservatoire, puis au Centre des Musiques fondé par le regretté Didier Lockwood. Y ayant développé une appétence confirmée pour la composition, elle débuta en accompagnant sur scène et en studio la vocaliste soul Maë Defays, tout en collaborant avec Teddy Sorres, Ora Project ou encore le Crafting Quintet. Après avoir publié en 2020 un album collectif familial, “Abraham Reunion” (avec sa sœur Cynthia et son frère Zacharie) – dont elle signa l’essentiel du répertoire – elle a livré début 2022 son premier effort en leader, La Source, encensé par la critique (et chroniqué ICI). Pour son second essai, on reconnaît à ses côtés son fidèle contrebassiste, Samuel F’Hima, ainsi que deux nouvelles recrues: le guitariste Kévin Lazakis et la batteuse franco-brésilienne Ananda Brandào. Résolument mystique, le titre de ce nouvel album se réfère au désert situé à la frontière du Pérou et du Chili, réputé le meilleur observatoire nocturne de notre voûte céleste. Les allusions cosmiques, spirituelles et géographiques abondent (depuis l'”Orion” d’ouverture jusqu’à “Nébuleuse”, ainsi que de “Dear Soul” et “Mystique” à “Sérénité” et “Espérance”, et de “Sao Paulo” à “Mabouya”), et l’on ne peut s’empêcher d’y déceler une filiation avec l’univers cosmogonique lointain de John Coltrane (notamment sur la plage instrumentale d’ouverture, où les ivoires de Clelya épousent l’impressionnante polyrythmie qu’y exercent Ananda et Samuel). Ce dernier se fend d’un délicat solo sur le chanté “I Keep Moving”, tandis que les touches de sa patronne y déroulent un canevas lyrique traduisant autant son héritage classique que le guadeloupéen. L’impressionnante Ananda Brandào déploie son savoir-faire brasileiro sur le tourbillonnant “Celebration”, que Clelya vocalise en scat sur sa propre mélodie au piano, tandis que les six cordes de Kévin y dessinent de non moins enivrantes arabesques. Un exploit digne des pérégrinations des antiques Weather Report et Return To Forever, que prolonge en mode forcément plus apaisé le bien intitulé “Sérénité”, avant que “Sao Paulo” ne reprenne le mors aux dents sur un samba beat instrumental où se distinguent à nouveau la section rythmique et la guitare de Lazakis. L’atmosphérique “Mystique” instille des climats évanescents sur des nappes synthétiques, à partir desquels la formation développe un échafaudage ascensionnel à la manière du Mahavishnu de McLaughlin. C’est sur un samba beat langoureux que nos amis exécutent ensuite ce “Mabouya” évoquant un lézard tropical. Le vaporeux “Dear Soul” propose un intermède serein, avant que l’irrésistible et virevoltant “Takout” (de nouveau scatté) ne rende hommage à ce rythme inventé dans les années 70, qui accoucha de la gwoka guadeloupéenne. Nouvelle occasion de mesurer l’aisance et le groove d’une chanteuse-pianiste parvenue à maturité, ainsi que la virtuosité confondante de ses comparses (Lazakis y rejoignant la furie créative d’un Mike Stern à son zénith). Le guitar master béninois Lionel Loueke passe croiser le manche sur le vertigineux instrumental “Peyi”, où le clavier de Clelya et une section rythmique décidément hors pair ne déméritent pas non plus. Inspiré des musiques de l’Ïle Maurice, “Nébuleuse” instaure un climat rêveusement mutin, avant qu'”Espérance” ne conclue en poésie cette martingale. Plus ambitieux que son prédécesseur, cet album inscrit résolument Clélya Abraham parmi les artistes jazz contemporaines à suivre. Et de près.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, February 13th 2025
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En concert:
7 mars 2025 : festival Jazz Alp’
29 mars : Le Jam, Montpellier
2 avril : New Morning, paris (release party + guests)
4 avril : La Passerelle, St. Brieuc
17 avril ; Théâtre Alexandre III, Cannes
17 & 18 mai : Festival Kadans Caraïbes, Marseille
30 mai : Salle Félix Martin, Saint-Raphaël