CISCO HERZHAFT – Roots & B4

Blues N Trad / InOuïe Distribution
Blues
CISCO HERZHAFT - Roots & B4

Bien que résidant depuis deux décennies dans une ville accolée à la frontière belgo-française, Cisco Herzhaft ne s’y considère toujours pas établi. Et comment pourrait-il en être autrement pour cet éternel rambler? Alors qu’il aborde l’âge limite pour continuer à lire le journal de Tintin, il naquit le quatrième enfant d’une famille d’immigrés Hongrois, poussés à l’exode durant les deux derniers conflits mondiaux. Son frère Gérard est l’auteur du “Que sais-je?” sur le blues (ainsi que de la “Grande Encyclopédie du Blues”, qui fait aujourd’hui référence jusqu’aux États-Unis), et Cisco se passionna quant à lui très jeune pour le folk américain. Amateur éclairé, il découvrit ainsi Cisco Houston (auquel il emprunta son prénom d’artiste), Woody Guthrie et Pete Seeger, puis dans un registre bluegrass les Stanley Brothers, Hank Williams et Doc Watson (dont les disques ont largement inspiré son style), ainsi que dans le registre du blues Lightnin’ Hopkins, John Lee Hooker et Big Bill Broonzy…“La plupart des bluesmen historiques que j’eus l’occasion de rencontrer avaient un job à côté. Ainsi, Carey Bell était dans le civil déménageur…” nous confie-t-il, “de même d’ailleurs que les musiciens qui désertèrent John Lee Hooker lors de la tournée française où je fis sa connaissance”. Suivant leur exemple, et tout en se consacrant assidûment à la pratique musicale, Cisco exerça par ailleurs divers métiers (depuis celui d’électricien jusqu’à celui de psychologue clinicien), mais désormais retraité des cadres, il mène à présent la vie de troubadour itinérant qui lui sied le mieux. “Quand Willie Dixon produisait une session en studio, si les musiciens délivraient une prise trop propre d’un morceau, il leur demandait toujours de la refaire, quitte à y glisser au besoin quelques erreurs. Sans ces menus accidents, il considérait en effet que la musique manquait de la spontanéité que nécessite le blues”, me confiait-il encore naguère. Et dès le “Just One More Day” d’ouverture, on mesure à quel point il en a retenu la leçon: sur un chaloupé de percussion lascive (signé François Taillefer), ce blues de facture classique et acoustique n’en épouse pas moins toute la langueur de ses cousins Maliens et Mandingues (de même que “A Good Imitation Of The Blues”, signé Patrick Brayer). Le country picking “Handworking Blues N°2” rend hommage au père de Gérard et Cisco (avec le renfort du contrebassiste Stéphane Bihan et de la superbe harmoniciste belge Geneviève Dartevelle), dans le registre arpenté jadis par Taj Mahal dans “The Natch’l Blues”. Première cover de cette set list, Cisco, Stéphane et le beatboxer MicFlow exécutent ensuite le “Step It Up & Go” de Blind Boy Fuller, dans une veine où se rejoignent de façon saisissante tradition et modernité, Cisco y alternant slide et picking, tandis que Geneviève y déploie maints plans juteux inspirés de Hammie Nixon et Brownie McGhee. Représentatif du fingerpicking du grand Mississippi John Hurt, “Freedom’s Child” bénéficie lui aussi du ruine-babines impavide de Miss GD. Co-signé MicFlow et Cisco, “Stranger” présente ce dernier au banjo, tandis que Geneviève y double son harmo d’une guimbarde guillerette. Le patron exécute en solo intégral le traditionnel appalachien “Poor Wayfairing Stranger” (popularisé par la BO du “O’Brother” des frères Coen), et l’on peut y apprécier le fruit de ses six décennies de pratique, aux confins du folk et d’autres courants que l’on rassemble de nos jours sous le vocable un peu fourre-tout d’americana. Traversé du flow du rapper Ismaël Metis et zébré des harp licks de Geneviève, “Rap The Boogie” adapte un riff à la Howlin’ Wolf sur une boîte à rythme aussi primitive que métronomique. Avec les bongos de Taillefer, l’harmonica de cette dernière se taille la part du lion sur une vivifiante adaptation unplugged du “All Your Love” d’Otis Rush, avant que le rétrospectif “The Last Quarter Of My Life” n’emprunte la geste alerte en slide de Muddy Waters et de Fred McDowell, pour une nouvelle démonstration d’harmo pas piquée des vers. Autre mambo en mid-tempo, “Everybody’s Masked in Town” pourrait bien traiter du récent traumatisme causé par la COVID 19, et nos amis concluent sur le pourtant non mentionné country-blues “Blues Jive Matter” (dans la veine de Lightnin’ Hopkins), avant que sur le syncopé “The Drifting Boogie”, Geneviève ne ferme le ban en feu d’artifice. D’ordinaire, les phantom tracks se situent en fin d’album, mais Cisco semble décidément ne jamais en faire qu’à sa tête! Autant artisan que saltimbanque, et conteur autant que musicien, il ne démérite cette fois encore pas de la ligne dans laquelle il s’est inscrit. Ni poor, ni lonesome, ni cowboy, il démontre au contraire que le collectif ne dénature en rien l’individu, et sa musique est porteuse d’espérance.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co

PARIS-MOVE, April 16th 2025

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