CHRISTONE “KINGFISH” INGRAM – Live In London

Alligator / Socadisc
Blues, Funk, Soul
CHRISTONE "KINGFISH" INGRAM - Live In London

Le double live… Objet quasi-mythique pour tout amateur de rock des années 70 (“At Fillmore East” des frangins Allman, “Recorded Live” de Ten Years After, “Live In Europe” de Creedence Clearwater Revival, “Made In Japan” de Deep Purple, “In Concert” de Derek & The Dominos”, “Before The Flood” de Dylan avec The Band, “Live Rust” de Neil Young, “Live” de Steppenwolf, “It’s Too Late To Stop Now” de Van Morrison, “Absolutely Live” des Doors, la liste est aussi longue qu’un jour sans pain), ce format demeure toutefois exceptionnel dans le registre du blues (si l’on excepte l’excellent “Live And On The Move” de James Cotton). Aussi, quand un tout jeune artiste (à peine âgé de 24 ans) déboule avec un double CD (également disponible au format vinyle) pour troisième jalon de sa discographie naissante, on ne peut manquer de s’interroger: tiendra-t-il la distance? Avec sa silhouette de sumo épanoui, Christone Ingram, (dit Kingfish) a en effet publié son premier enregistrement (chroniqué ICI) avant même son vingtième anniversaire, et de surcroît sur l’un des plus prestigieux labels internationaux en activité. Salué par une nomination aux Grammys en tant que l’un des meilleurs premiers albums de 2019, celui-ci fut suivi deux ans plus tard de “662” (chroniqué ICI), qui en valida un autre. C’est “par surprise” (du moins tel que le décrit Bruce Iglauer) qu’il livre à présent cet enregistrement quasi-intégral du concert qu’il donna le 6 juin dernier au célèbre club londonien The Garage. Sans réelle surprise par contre, 13 des 17 titres qui le constituent empruntent à ses deux prédécesseurs en studio, tout en présentant deux compositions inédites (ainsi qu’une improvisation aux claviers et une cover). En maître déjà consommé de l’alternance tension-détente, il déploie toute la puissance de son jeu (ainsi que celle de son band) dès le “She Calls Me Kingfish” d’ouverture (dont le pont confirme toutefois qu’il peut aussi adopter la finesse et la sensibilité d’un B.B. King). C’est à un autre King (Albert) qu’il semble se référer, à l’écoute du premier solo qu’il déploie sur l’extended “Fresh Out”, dont il partage le lead avec son claviériste Deshawn Alexander (au Hammond B3). L’ombre de Riley Ben King n’en réapparait pas moins sur le pont apaisé, avant un crescendo fédérateur. La seventies soul de “Another Life Goes By” et “You’re Already Gone” traite d’une notion dont Christone est hélas devenu coutumier, le deuil. La rythmique de Chrtistopher Black et Paul Rogers y démontre sa science du funk retenu, tandis que le clavinet et l’orgue d’Alexander y apposent leur touche finale, et que Ingram démontre que ses talents de chanteur n’ont guère à envier à ceux d’instrumentiste (empruntant ici autant à Wes Montgomery qu’à Grant Green). L’une des plages les plus étendues de ce gig n’est autre que la reprise du “Empty Promises” de Michel “Iron Man” Burks, tandis que “Been Here Before” et “Something In The Dirt” procurent un rafraîchissant intermède country blues acoustique, dans la ligne d’un Keb’ Mo ou d’un Eric Bibb. L’inédit “Mississippi Night” s’inscrit dans la veine héroïque d’un Buddy Guy en verve, mais la version de “Rock & Roll” (dédié à sa défunte maman, et initialement paru en version folk sur “662”) prend ici les accents d’une soul ballad au piano et à l’orgue churchy. Sans poursuivre ad libitum la dissection par le menu de cette copieuse livraison, il suffit de mentionner que tout amateur de blues électrique afro-américain y retrouvera la quintessence de ce que produisirent en leur temps des maîtres tels que Deborah Coleman, Joe Louis Walker, Albert Collins et Luther Allison. Savoir faire alterner la brise et la foudre tout en n’oubliant pas de s’adresser autant aux hanches qu’au cœur (cf. les funky “Hard Times”, “Listen”, “Not Gonna Lie” et “Midnight Heat”, ainsi que le shuffle “Outside Of This Town” et l’effréné rocker “662”), voilà ce que l’on continue d’attendre du blues en ce début de siècle déboussolé. Kingfish est assurément l’un de ceux qui y parviennent le mieux de nos jours.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, September 24th 2023

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https://www.youtube.com/watch?v=_d3vsdmgjLw

https://www.youtube.com/watch?v=QdC99sQRd1s

https://www.youtube.com/watch?v=kDuIELUSzxU