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Au cœur du jazz européen, Anders Hagberg compose un paysage sonore intemporel, entre lucidité poétique et souffle d’espoir.
Au croisement du jazz européen, là où les courants de la musique classique se mêlent aux traditions du monde entier, Anders Hagberg livre un album d’une rare délicatesse et d’une profonde densité. Ce nouvel opus échappe aux classifications habituelles ; il propose plutôt un voyage sonore né non pas d’un désir d’auto-affirmassions artistique, mais d’une volonté discrète et urgente de nous faire écouter, réfléchir, et surtout voyager, émotionnellement, spirituellement, géographiquement.
«Pour moi, cette musique est une réponse aux défis auxquels nous sommes confrontés», explique Hagberg avec une clarté méditative. «Elle est empreinte de tristesse, mais aussi d’espoir. Un espoir que je trouve dans l’écoute et la création collectives, dans les jeux des enfants, dans les petits gestes de résistance et de résilience. La musique nous permet de percevoir la beauté qui subsiste, même en ces temps incertains.»
Mais parler de tristesse serait sans doute réducteur. Il y a dans cette musique quelque chose de plus incisif, une lucidité poétique, presque stoïque, dans sa charge émotionnelle. Ce n’est pas une musique mélancolique mais clairvoyante. Et cette lucidité, exigeante sans être dure, semble d’autant plus authentique qu’elle vient d’un artiste qui a collaboré avec certaines des figures les plus respectées de la scène mondiale, de Shakti à Avishai Cohen, de Marilyn Mazur à Jon Hassell. Chez Hagberg, la voix musicale, fluide, ample, enracinée, s’impose avec une telle évidence qu’elle ne cherche ni à s’imposer ni à se faire oublier. Elle est, tout simplement, portée par un sens aigu du récit et une intelligence mélodique qui emportent l’auditeur comme un courant.
Fondé sur des sessions d’improvisation menées en 2023 et 2024, l’album mêle compositions originales et réinterprétations de mélodies folkloriques. Trois des morceaux les plus marquants, «Ruins», «Evening Hymn» et «With Hope», s’inspirent de chorals de Gammelsvenskby, un village ukrainien fondé par des colons suédois. «Arctic Call», quant à lui, puise dans un chant de tambour inuit, tandis que «Woods in Blue» reprend les contours d’une polska traditionnelle de Härjedalen, en Suède. L’album s’achève sur une relecture tout en finesse de O Magnum Mysterium, chef-d’œuvre choral de Francis Poulenc, délicatement réarrangé pour la voix singulière de l’ensemble.
C’est un album qui demande, et récompense, une écoute attentive. Sa construction est pensée comme une progression, guidant l’auditeur à travers un paysage émotionnel qui se déploie lentement, avec intention. Anders Hagberg ne compose pas seulement des morceaux: il sculpte des mondes intérieurs à partir du son. Sa voix de compositeur et d’instrumentiste reflète une synthèse rare d’influences et d’intelligence émotionnelle. Ce n’est pas une musique d’ambiance. Elle est active, articulée, doucement insistante. Elle parle. Elle montre. Elle ne cherche jamais à séduire, et c’est précisément pour cela qu’elle touche.
Maître de la flûte et du saxophone, Hagberg tire de chacun de ses instruments une émotion qu’il fait circuler de l’un à l’autre avec une fluidité organique, comme si une voix se fondait dans l’autre. C’est dans cette transition sans couture, ce dialogue du souffle et du timbre, que l’on trouve l’âme singulière de son univers sonore. Son approche privilégie les nuances à la grandeur, les subtilités au spectaculaire, une esthétique qui invite non pas seulement à entendre, mais à écouter, dans le sens le plus profond du terme.
Avec une carrière marquée par la composition pour le cinéma, la danse, et une discographie prolifique saluée par plusieurs nominations et prix aux Grammy Awards, Anders Hagberg a également été directeur artistique et interprète lors de grands événements culturels en Scandinavie, du festival Urkult/Fire Night à la célébration du millénaire de Stockholm, en passant par le Nordic Watercolor Museum, aux côtés d’artistes tels que Bill Viola et Louise Bourgeois.
Pour Hagberg, la musique est autant une démarche intellectuelle que musicale. Cette dualité confère à ses œuvres une dramaturgie subtile, une tension narrative qui amplifie le plaisir de l’écoute. L’esthétique acoustique, riche mais épurée, apporte à l’album une élégance rare, une grâce intemporelle. Il ne suit ni les modes ni les formats établis. Il habite un espace propre, transcendé par la maîtrise des formes et un refus discret des cadres trop rigides.
Et c’est sans doute cette volonté de ne pas appartenir à un genre défini qui assurera à cette œuvre sa longévité. Elle est bien sûr une œuvre pour aujourd’hui, mais aussi pour demain. Sa portée est vaste, son écriture affirmée. Et si l’année 2025 semble donner des ailes à de nombreux compositeurs, qui pourrait bien s’en plaindre?
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, July 20th 2025
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To buy this album (October 3, 2025)
Musicians :
Anders Hagberg | Flutes (Concert/ Alto/ Bass/ Contrabass), Soprano Saxophone, Matusi, Singing Bowl
Johannes Lundberg | Double Bass, Vocals, Oberheim, FX
Joona Toivanen | Piano, Prepared Piano, Synthesizer, Key Bird, FX
Helge Andreas Norbakken | Percussion, Drums
Tracklist :
Elasticity of Trees
Elegy
Ruins
Welcome – For Allie
Circle No. 2
With Hope
Arctic Call
Evening Hymn – Gammelsvenskby
Sisters – For Lo & Ebba
Woods in Blue
O magnum mysterium