AL BASILE – Through With Cool

Sweetspot Records
Blues
AL BASILE - Through With Cool

J’ignore si, parmi ses multiples passions, Alfred Basile est également féru de numérologie, mais ce sera bien le 19 août prochain que paraîtra son 19ème LP solo à ce jour. Auteur de plus de 200 chansons, ce poète célébré dans de nombreuses publications (et ayant enseigné la littérature, la physique et la musique un quart de siècle durant dans un collège privé de Rhode Island) cultive depuis une quarantaine d’années une solide amitié avec Duke Robillard, ainsi qu’avec la diaspora de l’orchestre phare de ce minuscule État, Roomful Of Blues (dont il fut le premier trompettiste dans les seventies). À l’instar de son prédécesseur (“B’s Testimony”, paru l’an dernier et chroniqué ICI), ce nouvel album fut enregistré dans les studios Lakewest que tient Jack Gauthier à West Greenwich (cette fois de janvier à mai de cette année), et la bande à Basile y comprend strictement le même line-up: ses complices de toujours Mark Texeira à la batterie, Doug James au sax ténor et Bruce Bears aux claviers, augmentés de la trompette de Jeff Chanonhouse, de la basse de Brad Hallen, et de la guitare du wonder Kid Andersen. Le tout est à nouveau produit (et intégralement composé) par Al en personne, Andersen s’en partageant le mixage et la post-production avec Glenn Halverson. Observateur de notre époque comme de la complexité des relations humaines, Al Basile se garde pour autant de s’en prétendre le moraliste. Comme en attestent les lyrics (opportunément retranscrits dans le copieux livret), sa malice et sa sagacité en font plutôt le satiriste empathique et bienveillant que l’on rêverait de pouvoir compter parmi ses amis. La plage d’ouverture, “Keep On Living”, lui fut inspirée par l’échange lapidaire entre le grand Howlin’ Wolf et l’un des membres de Roomful Of Blues, quand ces derniers ouvraient pour celui-ci en 1975. Alors qu’il venait de le saluer d’un cavalier “Hey, old man”, Chester Burnett lui répliqua, cinglant, “T’as juste à continuer à vivre, et toi aussi, tu le seras un jour, vieux”. C’est sans doute ce sens imparable de la répartie qu’admire Al au plus haut point, de même que la verve qui caractérise depuis toujours les grands bluesmen. J’espère que Mr Basile me pardonnera ce postulat, mais il semble que c’est plus que jamais la qualité des lyrics (ainsi que celle de l’instrumentation) qui prime sur ce nouvel album, puisque nombre des musiques qui le composent consistent en des hommages à de grandes figures du blues. Ainsi de ces “Keep On Living” et “Not Any Place At All”, dont le rumba beat emprunte plus qu’un peu à celui du “Who’s Been Talking” que Willie Dixon avait concocté pour le Wolf (les soli d’Anderson y pastichant d’ailleurs avec gourmandise ceux de Hubert Sumlin), de même que “I’m Waiting” (dont la trame doit beaucoup au “Help Me” de Rice Miller), ou encore de ce “Two Legged Mule”, démarqué à la fois du “Cut You Loose” de Mel London et du “Feel So Bad” de Chuck Willis. Au fil de superbes slow-blues tels que “Say My Name” et le lugubre “We Lay On Your Grave” (dans la veine d’Otis Rush période Cobra), Al démontre combien les récents soucis de santé qui avaient affecté son timbre vocal sont à présent surmontés. Plus modulé que jamais, il n’avait pas si bien chanté depuis des lustres, et ce regain affecte jusqu’à la fluidité du souflle dont il dote son fameux cornet, puisque chacun de ses soli s’en avère rejuvené (cf. celui qu’il prend sur le lazy-funk néo-orléanais “Take Your Time”, relayé par celui, remarquable, de Bears au Hammond). Comme de coutume, la guitare d’Andersen se montre en toutes circonstances aussi inspirée que méticuleusement pondérée (ainsi sur les impeccables “Take Your Time” et “Couldn’t Live With It”, où il démontre sans ambage tout ce que B.B. et Freddie King lui ont légué). On passera pudiquement sur quelques longueurs (le convenu R&B “We Belong Together”, ou le pourtant savoureux “Couldn’t Live With It”, dont l’élan pâtit hélas d’un certain manque de concision), pour ne souligner que le meilleur. Ainsi de ce “Uh Huh” qui, sur un pattern évoquant “The Hunter” d’Albert King, offre au Kid l’occasion de s’illustrer à loisir, ou du jubilatoire “Turnabout Is Fair Play”, dans la veine du regretté Jimmy Witherspoon. Si l’on n’apprend certes pas à un vieux singe à faire des grimaces, ce disque trans-générationnel se referme en duo guitare-chant minimaliste sur sa plage titulaire, dans le style dépouillé que pratiquaient en solo Big Bill Broonzy et son émule Muddy Waters. Ne reste plus qu’à deviner quel jour du mois ce brave Al publiera sa prochaine livraison…

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, July 28th 2022

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