Jean-Paul Avellaneda, guitariste-chanteur de MERCY


La cinquantaine parfaitement assumée, alors qu’on lui en donnerait facilement dix de moins, Jean-Paul Avellaneda est un personnage étonnant et attachant. Un faux air de Bertignac et une allure élancée soulignée par des boots d’une classe folle dessinent la silhouette d’un félin sauvage, d’une bête de scène. Et lorsque la guitare est branchée et que les premières notes fusent, avec ce son si puissant et si personnel à la fois, on se dit que l’on a face à soi un grand, un très grand bonhomme du Blues.

Comme de nombreux gamins de son âge, le jeune Jean-Paul suit des cours de solfège, mais avec assiduité, car il sent déjà en lui ce virus de la musique qui le titille. Première guitare à 16 ans, un peu par hasard, car dans le groupe que lui et des copains viennent de former, on lui confie la guitare tandis que les autres s’attribuent la batterie et la basse. Ils jouent les standards de l’époque, et les Rolling Stones, surtout. Le groupe donne des concerts dans les MJC, le circuit qui permet, dans ces années 70, à des groupes quasi inconnus de se produire.

Jean Paul Mercy

En 1977, la route de Jean-Paul croise celle de Luther Allison. Le hasard de la vie va lui donner un grand coup de pouce : la personne qui fait venir Luther Allison en France n’est autre que Richard Carlier, qui écrit pour Soulbag. Le coup de chance pour Jean-Pierre est que Richard habite à un quart d’heure de chez lui et que c’est un ami d’enfance de sa femme.

JPA : Tu sais, à cette époque les artistes Blues se débrouillaient, tout comme aujourd’hui d’ailleurs, comme ils le pouvaient pour ne pas trop dépenser ; alors, il nous est arrivé à quelques reprises d’héberger Luther chez les parents de ma femme, tout comme chez les miens, et c’est comme cela que nous nous sommes rapprochés, et que nous sommes devenus de vrais amis. Ce qui était fabuleux, c’est que l’on se voyait dans un environnement familial. Il n’y avait pas de stress. Il m’a montré des plans à lui ; nous avons beaucoup parlé, aussi, de tout,…jusqu’au jour où il s’est énervé contre son groupe. Et là, je lui ai proposé un truc insensé : moi, j’allais monter un groupe pour lui. Il m’a regardé et m’a simplement dit « OK, vas-y… ! On auditionne dans un mois. »

Jean-Paul se rend compte qu’il n’a pas bien pesé ses mots mais il veut à tout prix respecter son engagement, et cherche des musiciens. Question d’honneur, et aussi pour relever ce challenge un peu fou. Un mois plus tard, Luther est là, pour l’audition.

JPA :
Ca ne lui a pas plu, à Luther, parce que les musiciens étaient….comment dire….très jazz-rock, comme beaucoup de musiciens en France à l’époque. Des plans, des gammes, ces garçons en avaient plein la tête, mais pas…d’âme. C’était un échec, un véritable échec, mais en un mois j’avais énormément appris sur moi et sur les autres, et je me suis juré de tirer les leçons de cet échec. La chance m’a encore aidé, car 15 jours après cette audition, James Solberg, le guitariste de Luther, le laissait tomber et Luther m’a demandé de le rejoindre immédiatement. Pourquoi moi…? Je pense qu’il avait apprécié que je tienne mon engagement lancé à la va-vite, que j’avais tout fait pour monter ce groupe, et que j’avais travaillé comme un dingue, que je ne me contentais pas de paroles. Et puis il y avait déjà une certaine complicité entre nous,… comme cette passion pour les godasses ! (rires) Moi je suis un dingue de godasses, et Luther était pareil. A cette période, on passait nos journées à échanger nos godasses. Tiens, une anecdote parmi d’autres : c’était la première date que j’ai faite avec Luther, en 79, à Barcelone. Avant de rentrer dans le club, je repère une paire de bottes, magnifiques. On fait le gig, Luther me paye, je ressors et j’achète la paire de bottes. J’avais zéro franc en rentrant dans le club, et j’en avais zéro en repartant, mais j’avais une magnifique paire de bottes,… que j’ai prêtées à Luther,… et que j’ai encore !

Mercy sur la scene du Bay CarDe toute cette période j’ai beaucoup de très bons souvenirs, comme ce soir là, pendant une tournée, dans un hôtel, où Luther m’a dit « Viens, je vais t’expliquer ce qu’est le Blues ! ». Il a pris sa guitare acoustique, et a commencé à jouer Sweet Home Chicago. C’était l’époque des Blues Brothers, qui avaient repris ce titre, avec un rythme très swing, très joyeux. Luther m’a dit que ce n’était pas la bonne manière d’interpréter ce titre, et qu’avant de jouer ce titre « tu dois ressentir l’histoire de ce mec qui marche dans la rue et qui voudrait rentrer dans Chicago,…mais ce n’est qu’un rêve pour ce mec, et c’est pourquoi tu dois le jouer comme ça… » (Jean Paul chantonne…). « Tu dois le jouer très fatigué,… comme ça,… parce que le mec, il voudrait bien, mais il ne peut pas. Et le Blues, c’est ça, c’est traduire toute cette fatigue qui est en lui. ». Et ce morceau là, joué par Luther, seul à la guitare acoustique, ce fut une très belle leçon.

Quand Luther repart pour les USA, il laisse à Jean-Paul sa Strat, une superbe série L, pour un an. Jean-Paul travaille l’harmonie, intensément, mais est persuadé que c’est de l’autre côté de l’Atlantique qu’il trouvera les réponses à ses questions.

JPA : J’attendais et je cherchais d’autres réponses,….quelque chose d’autre,…c’était encore flou dans ma tête. Tu vois, en France nous sommes très cartésien. En harmonie, c’est pareil : on se retrouve avec des structures quasiment géométriques et, pour moi, tout cela était trop rigide pour pouvoir explorer la musique qui me tenait au cœur. Il me fallait trouver autre chose. Les musiciens de Blues américains, eux, transgressent les règles des formules harmoniques pour utiliser ce que j’appelle des couleurs. Comment t’expliquer,… c’est un peu comme un peintre impressionniste qui, en deux seules touches de pinceaux, esquisse un toit, une maison. Deux mouvements et tu devines l’objet. Le Blues, pour moi, c’est un peu comme cela. Dans le Blues tu suggères, alors que dans d’autres styles tu vas tout dire.

Aux USA, Jean-Paul étudie comme un acharné, avec entre autres Robben Ford ; il travaille l’harmonie avec Carl Shroeder, arrangeur de l’orchestre de Count Basie, et pianiste de renom. En 1983 il rentre en France, et retrouve Francis Campello, qui vient de monter un groupe de rock : Quai des Brumes. Ils signent chez CBS, et sortent deux 45 tours. Trois ans plus tard, le groupe est dissout et Jean Paul choisit de travailler en indépendant. Guitariste pour les uns, arrangeur pour d’autres, il travaille en Suisse, avec plusieurs artistes, et profite de cette expérience pour apprendre toutes les ficelles des ingénieurs du son, car Jean-Paul a deux projets en tête, dont le premier est un challenge de taille : monter son propre studio d’enregistrement ; pour pouvoir garder son indépendance !

Travailleur acharné, Jean-Paul se fait fourmi, et économise pour réaliser ce premier rêve. Objectif atteint, tout comme le second : monter son propre groupe. Ce sera MERCY.

Frankie Bluesy Pfeiffer
Novembre 2005
BLUES MAGAZINE©
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Crédit photos : Eric BAJARD, Lucky Sylvie LESEMNE, et Frankie Bluesy PFEIFFER

Mercy