ITW de Otis ‘Trans Blues’ Taylor
Interview préparée et réalisée par Dominique Boulay
Novembre 2011
Photos : Frankie ‘Bluesy’ Pfeiffer
PM : Bonjour Otis. Tout d’abord puis-je te demander comment tu vas, après tes ennuis de santé de l’année passée?
Otis Taylor : Cela va mieux…, du moins, je le suppose. Mais je préfère ne pas m’étaler sur ces mauvaises expériences. La vie est courte, et j’ai eu de la chance. C’est une bonne chose que vous ayez, en France, un véritable système de prévoyance santé.
Parlons de ton nouvel album, ‘Contraband’, le douzième, qui sort en févier 2012. Je sais que tu avais enregistré sept morceaux acoustiques avant ton intervention chirurgicale et sept autres après. Peut-on parler d’une sorte de renaissance mentale après les souffrances et difficultés que tu as éprouvées?
Tu sais, ça n’allait vraiment pas bien lorsque j’ai enregistré les sept premiers morceaux. Je les ai enregistrés trois jours avant mon opération, au cas où cela aurait pu être pire après… Je voulais les enregistrer pour être sûr d’avoir quelque chose avant de passer sur le billard, tellement je craignais ce qui pouvait se passer. Mais mon toubib, le docteur Wach, est vraiment un grand chirurgien. Et les autres chansons étaient déjà écrites, car j’avais toujours en moi cette envie de les jouer plus tard, quoi qu’il m’arrive. Mon but est vraiment de faire le plus de chansons possibles avant que le temps ne me rattrape.
Cela t’a fait voir la vie d’artiste d’une autre manière ?
Pour moi, chaque artiste est en quelque sorte un messager. Chaque jour où tu te réveilles te donne l’occasion de vivre un nouveau chapitre de ta vie. Et cela appelle certaines réflexions qui sont la matière première de mes chansons. Et je souhaite, bien sûr, faire partager ces sentiments et ces émotions au plus grand nombre…
Ressens-tu une certaine fierté lorsque l’on parle de toi comme d’un bluesman iconoclaste?
Ce dont je suis fier, c’est d’être un américain qui peut faire connaître sa culture de par le monde. Je ne fais que dire la vérité dans mes chansons…et je laisse le soin aux autres d’interpréter ce que je dis.
Les injustices sociales, la misère, la vie des plus démunis restent toujours tes principales préoccupations. Est-ce compatible avec ta participation à la Legendary Rhythm & Blues Cruise, et ce, même si tu n’es pas un politicien, mais un songwriter qui parle d’expériences humaines et de l’histoire des Etats-Unis. Ce public en croisière n’est-il pas privilégié, ‘à côté’ de la vraie vie?
Les gens qui participent à ces croisières musicales ne font pas tous partie de la minorité des privilégiés, comme tu sembles le croire. Je le vois, il y a vraiment de la mixité sociale sur ces bateaux, avec des gens aisés, c’est vrai, il ne faut pas le nier, mais il y a aussi beaucoup de gens qui ont économisé pendant longtemps pour pouvoir se l’offrir, cette fameuse croisière musicale. Et parmi eux, il y a des gens qui sont de vrais fans de blues et qui sont donc prêts à tout pour satisfaire leur passion! Et cela demeure, pour moi, une opportunité de pouvoir jouer et chanter ce que j’ai à dire.
Est ce que le titre de ton dernier album est une manière de célébrer un pan de l’histoire de ton pays que la majorité des gens a oublié, les esclaves de Fort Monroe (*)…
Oui, absolument…! C’est quelque chose qui devrait intéresser et concerner chacun d’entre nous à plus d’un titre. Historique, au minimum, mais pas seulement, quand on sait que l’esclavagisme existe toujours!
(*) Le Fort Monroe, en Virginie, a été libéré par l’armée nordiste, unioniste, avec à sa tête le général Butler. Celui-ci s’est rendu célèbre en refusant de rendre à un propriétaire trois esclaves noirs qui lui appartenaient. Cet événement s’est déroulé en mai 1861.
Ton album ‘When Negroes walked the Earth’ a fait l’effet d’un scud dans le petit monde du blues parce qu’il contenait beaucoup de très belles innovations musicales et sonores. Et il en va de même avec ce nouvel album.
Merci pour ton commentaire élogieux, Dominique. En fait, j’essaie toujours d’être créatif. La guitare électrique est importante dans ce nouvel album, mais autant que d’autres apports, comme la pedal steel guitar, le banjo électrique ou le violon électrique amplifié avec effets. Dans le sixième morceau, je joue avec un banjo électrique modèle ‘Otis Taylor Blue Star’. Le même que celui utilisé sur la bande originale du film ‘Public Enemies’ dans le morceau ‘Ten Millions Slaves’ ou sur mon album ‘Recapturing the Banjo’.
Comment fais-tu pour jouer pendant une semaine sur un bateau au large des Caraïbes, puis peu après trois jours en France avant de retourner à Boulder pour réaliser son premier Trance Blues Festival?
Y’a pas de secret, sais-tu. Je suis quelqu’un qui travaille dur. Tu dois faire ce que tu as à faire, et ainsi vont les choses! Un vieux dicton dit qu’on a l’éternité pour dormir. Je me contente de le mettre en pratique, voilà tout.
Comment l’idée de faire ce Trance Blues Festival t’es venue?
J’avais commencé par un Workshop en 2010, et l’origine de tout cela est venue d’un désir commun à plusieurs musiciens venant de tous les coins du monde, de se retrouver, comme dans une communauté, pour faire de la musique. Et je suis vraiment heureux de compter quelques participants français parmi nous!
Et pourquoi ce nom pour ce festival?
Comme tu le sais, ma musique est qualifiée de Trance Blues. Et puis n’importe qui peut jouer ce style de musique, parce que la plupart de mes chansons sont jouées dans les mêmes tonalités.
A qui s’adresse ce nouveau festival?
Ce festival s’adresse tout d’abord aux musiciens, mais aussi aux écrivains, aux éducateurs. Et les joueurs de n’importe quel instrument sont les bienvenus, quel que soit leur âge. Ce festival, c’est une manière de réunir les gens autour d’un projet commun. Parce que je crois toujours en la capacité humaine à accomplir des choses positives collectivement…!
Je sais que tu as entendu parler du projet ‘Playing For Change’, dont la philosophie n’est pas très éloignée de la tienne…
Oui, et la personne qui est à l’initiative de cela, Mark Johnson, est la personne qui a enregistré le morceau de Keb’ Mo sur mon album dont le thème est le banjo. Et puis Mohammed Alidu, le joueur de Djembe qui était sur le disque ‘Pentatonic Wars and Love Songs’, fait aussi partie des artistes qui participent au projet Playing For Change.
Ta fille Cassie a joué avec Samantha Fish et Cassie Taylor dans la Blues Caravan 2011. Que penses-tu de cette nouvelle génération de blueswomen?
On ne peut naturellement que se féliciter du fait que des jeunes musiciens se sentent concernés par le blues. C’est vraiment une très bonne chose! Et elle aussi, c’est une bosseuse!