ITW de Joe Bonamassa pour la sortie du CD Black Rock

                                   ITW de Joe Bonamassa


Préparée et réalisée par Nathalie Nat’ Harrap et Frankie Bluesy Pfeiffer
Février 2010, à Paris

Un an après ‘The Ballad Of John Henry’ et quelques féroces critiques de puristes qui ne voyaient pas en Joe Bonamassa le bluesman qu’il disait être, voilà ‘Black Rock’ et la plus belle des réponses possible sur cet opus, un duo Bonamassa-B.B. King.
Après un mémorable concert au Royal Albert Hall avec la présence d’un guest prestigieux, Eric Clapton, et un passage à l’Olympia, Joe Bonamassa a bien voulu se poser quelques instants pour refaire un point avec nous, un an tout juste après notre dernière ITW.

NH : Joe, nous nous étions rencontrés l’année dernière pour la sortie de ton album ‘The Ballad of John Henry’ et, depuis cette date, pas mal de choses se sont passées. Il y a eu le concert au Royal Albert Hall, à Londres, à guichets fermés, et la semaine dernière, j’écoutais l’émission de radio de Paul Jones, sur BBC2, qui annonçait que tu allais faire une prestation ‘live’ dans un des studios de la BBC.
JB : Oui, c’est vrai, car j’ai beaucoup de respect pour Paul Jones. C’est un ancien musicien et il sait donc de quoi il parle, ce qui n’est pas souvent le cas, malheureusement, avec des gens que je rencontre. Et puis il m’a soutenu depuis le début. Il a toujours cru en moi et chaque fois que je peux le remercier à ma façon, en jouant, je le fais, et avec grand plaisir.

FP : Tu viens de sortir un nouvel album, ‘Black Rock’. Tu n’arrêtes donc jamais d’enregistrer?
JB : (rire) Non, mais j’arrêterai le jour où je n’aurai plus rien à dire. Mais je ne pense pas que cela m’arrivera car en fait, je suis persuadé qu’on doit toujours travailler et continuer à travailler pour s’améliorer, pour être le meilleur possible.

FP : Ta philosophie du travail est celle de John Henry: continuer à travailler et travailler dur. D’ailleurs, est-ce que tu penses que tu as réussi à faire passer ce message de l’éthique du travail au travers de cet album, ‘The Ballad of John Henry’?
JB : Oui, je crois, mais ce que je veux également dire, c’est qu’il faut toujours faire ce que l’on a envie de faire, même si cela veut dire prendre des risques, parce que vivre sa vie ne se fait pas sans risque. Et si ça ne marche pas, au moins tu peux te dire avec une certaine satisfaction: ‘j’ai essayé’. Pour moi, dans la vie, il faut toujours ‘essayer’, ne jamais se contenter de ce qu’on te propose et surtout, vivre sa vie comme on le souhaite. Ce n’est pas toujours facile, c’est vrai, mais ce n’est pas en restant chez soi à en faire le moins possible que l’on va réussir à faire ce que l’on a envie de faire, comme réussir ses projets, ses rêves. C’est mieux d’essayer et d’échouer que de ne pas essayer. Au moins, tu n’as pas de regrets car tu as tenté de faire ce que tu voulais faire.

NH : L’année passée, déjà, tu nous avais beaucoup parlé de cette valeur du travail à laquelle tu es très attaché…
JB : Oui, je m’en souviens et j’insiste toujours sur ça car sans travail je ne serais jamais arrivé à ce que je fais aujourd’hui. C’est grâce au travail que j’ai pu réaliser encore plus de choses depuis la dernière fois qu’on s’est vus.

FP : Justement, Joe, au cours des douze derniers mois, beaucoup de choses se sont passées pour toi. Quels sont pour toi les événements les plus marquants de cette année écoulée?
JB : Bien sûr que jouer avec Eric Clapton au Royal Albert Hall a été quelque chose d’important pour moi. De très important. La participation de B.B. King sur mon dernier album, cela aussi a été très important pour moi, car avoir B.B. King sur son album, cela représente beaucoup. Mais pour moi, vois-tu, ce qui a été le plus important de toute cette année passée, c’est que j’ai pu réussir à toucher les gens par ma musique,…et surtout les gamins. Quelle que soit leur nationalité. Qu’ils soient japonais, français, anglais, américains, j’ai adoré voir leurs réactions quand ils m’ont regardé jouer, écoutant ce que je jouais pour eux. Et ça, vois-tu, le regard que portent les gamins sur toi, c’est quelque chose de phénoménal. Pour moi, en tout cas.

NH : Peux-tu nous dire quelques mots sur ce fameux concert au Royal Albert Hall? C’est un peu le point culminant de ta carrière, jusqu’à présent, non?
JB : Franchement, c’est difficile de donner une opinion sur un concert, car ils sont tous différents. C’est vrai que celui-ci, au Royal Albert, était le plus grand concert que j’ai jamais fait: il y avait l’histoire du lieu, sa renommée mondiale, le public, plein de choses qui rendaient ce concert impressionnant. Et puis aussi impressionnant à tous les points de vue: il y avait l’organisation, le risque financier, mon entourage, qui est passé d’un seul coup à 42 personnes. Quarante deux personnes, tu te rends compte? La pression était énorme,…et le stress, tu ne peux pas imaginer le stress qu’on a eu avant ce concert.

FP: Et la présence d’Eric Clapton à de ce concert, comment cela s’est fait?
JB : (sourire) En fait, je lui ai juste envoyé un mail de ce Blackberry, et voilà…


NH : Et comment as-tu trouvé le public anglais, au Royal Albert Hall?
JB : Je pense que le public anglais est assez…..conservateur, si tu vois ce que je veux dire. Il était un peu rigide, distant, au début du concert, mais les gens se sont vite détendus, et moi aussi. Je dois t’avouer que j’étais mort de peur, aussi, avant de monter sur cette scène…

FP : Comme nous n’avons pas pu aller au Royal Albert Hall, nous sommes allés te voir à l’Olympia. Quelle comparaison peux-tu faire entre ces deux concerts?
JB : En fait, pour nous, l’Olympia a été vraiment génial. C’était à la fin de l’année, c’était la fin de notre tournée et comme cette année j’avais vraiment ressenti une très forte pression en moi, comme si à chaque concert je jouais avec ma vie, du coup, donc, on est arrivés très détendus à l’Olympia et ça a été génial pour nous. C’était comme si toute la pression et le stress de cette tournée s’étaient évanouis en un instant. On a joué libérés, détendus et heureux, parce qu’on savait aussi tout ce que l’on avait fait depuis des mois ensemble.

NH : Tu joues dans de très grandes salles, maintenant, en comparaison avec celles où tu jouais lors de ta première venue en Europe. Un musicien nous disait l’autre jour que pour lui, jouer devant vingt ou trois mille personnes, c’est la même chose, et qu’il se donne à fond quel que soit le nombre de personnes face à lui. Tu en penses quoi, tu qui a joué devant 50 personnes puis plusieurs milliers?
JB : (silence) Franchement, cela me semble assez bizarre comme remarque. C’est vrai que l’artiste va se donner à fond mais tu ne dois pas oublier la réaction du public qui sera très différente si tu es face à vingt ou trois mille personnes. C’est vrai que le musicien va se donner à fond et jouer de son mieux pour vingt personnes, mais le retour que tu as de vingt personnes n’est pas du tout le même que celui de plusieurs milliers, come à l’Olympia. Et ce qui est important, pour un musicien, c’est aussi ce retour d’énergie de la part du public. Tu sais, mon premier concert en Angleterre, je l’ai fait à Poole, chez Mr Kyp, et pour mon premier concert, 280 personnes sont venues, et pour moi ce fut un événement parce qu’avant ce concert j’avais joué devant 100 à 150 personnes. Et jouer pour 280 personnes, je peux te dire que tu sens la différence.

FP : Ton nouvel album, ‘Black Rock’, est très différent de ‘The Ballad of John Henry’, tout en suivant une certaine ligne de conduite. Qu’est-ce qui explique ce nouveau virage?
JB : C’est vrai, tu as raison, c’est à la fois un changement et une continuité. Tu sais, cette année, on a vécu beaucoup de choses, de grandes choses comme le Royal Albert, l’Olympia, des grands concerts aux Etats-Unis. Plein, plein, de choses qui sont l’aboutissement d’années de travail pour réaliser ces projets et du coup, j’ai eu l’idée, pour cet album, de prétendre qu’on avait tous 18 ans à nouveau et qu’on n’avait jamais rien fait avant. Comme si on venait de se connaitre, avec ce côté détendu et nonchalant que les jeunes ont. Et puis je voulais aussi faire un album que les gens pourraient remarquer, qu’ils trouveraient vraiment cool.

NH : Alors pourquoi l’avoir appelé ‘Black Rock’?
JB : Hé bien, dans un moment de très grande créativité (rires), nous avons décidé de prendre le nom du studio où nous enregistrions, en Grèce, comme titre pour l’album.

FP : Et l’idée d’avoir des musiciens grecs et des instruments grecs, ça t’est venu après, ou c’était prévu dès le départ?
JB : En fait, les musiciens étaient des copains de Kostas, le gars qui nous avait proposé son studio, et comme nous étions là et qu’ils étaient là,… Tu vois, c’est aussi simple que ça (rire). Non, rien n’avait été planifié à l’avance et tout cela s’est intégré à nos enregistrements de manière très facile, sans se casser la tête. Dans l’esprit de ce que je voulais qu’on fasse comme album, un truc spontané et sans prise de tête. J’ai eu l’opportunité de faire jouer des instruments grecs parce que j’étais au bon endroit, au bon moment. Par contre, faire de la musique ‘world’, je ne sais pas, et…je dirais même que je ne veux pas. Il y a plein d’autres musiciens qui le font bien mieux que moi et puis je n’ai pas de connaissances suffisantes de ce genre de musique. Ce que je veux dire, c’est que je ne me vois pas aller au Mali pour faire de la musique parce que je ne connais pas le Mali, sa musique, ses musiciens. Bien sûr que ce serait cool d’y aller, mais non, la world music ce n’est pas pour moi.

FP : Pas de world music, donc, alors tu reprends du Leonard Cohen dans cet album. C’était un challenge que tu t’étais fixé?
JB : Oui et non. Oui, dans le sens où je voulais essayer autre chose, me prouver que je peux adapter des chansons qui n’ont rien à voir avec ce que je fais habituellement, et puis non, parce que comme je te le disais, on a enregistré cet album comme si on avait 18 ans et qu’on commençait à jouer ensemble, donc sans se fixer de limites de style. Et du coup, c’est ce qui a rendu ce challenge excitant, mai cela m’a aussi permis de le faire sans aucun stress,…puisque j’avais 18 ans (rire).


FP : Et pour ‘Spanish Boots’, de Jeff Beck, c’était aussi un challenge?
JB : Non, mais parce que j’aime Jeff Beck et sa manière de jouer de la guitare. Il a un jeu qui m’a toujours inspiré et qui me convient bien. Ceci dit, je ne cherche pas à le copier ou à jouer comme lui et c’est pour cela aussi que j’ai repris ce morceau, pour montrer que je peux le jouer en y insufflant mon jeu à moi.

NH : L’année dernière, tu nous avais avoué que l’album ‘The Ballad of John Henry’ avait été aussi une sorte de thérapie pour ‘réparer’ un chagrin d’amour. Comment ça va, de ce côté-là, un an plus tard…?
JB : (grand sourire) Oui, c’est vrai que d’enregistrer certaines chansons m’avait permis de tourner une page mais rassure-toi, car maintenant la roue a tourné. J’ai trouvé quelqu’un et nous sommes très heureux ensemble.

NH : On peut savoir qui elle est, ce qu’elle fait?
JB : C’est une musicienne, elle aussi, et…elle est beaucoup plus connue que moi. Voilà (large sourire).

FP : Pour revenir à la participation de B.B. King sur cet album, comment cela s’est passé?
JB : Tu vas voir que tout est lié, dans la vie. J’étais en tournée et je venais de rencontrer cette fille, avec qui je suis maintenant. Je la trouvais super et elle me trouvait bien. Je me suis dit que j’ai la chance avec moi et estimant que B.B. King avait beaucoup fait pour moi depuis vingt ans, je l’ai appelé et je lui ai dit que ce serait peut-être pas mal si on pouvait enregistrer un titre ensemble. Il m’a dit que ce serait cool, oui, et il a accepté. Il a enregistré sa partie, j’ai enregistré la mienne et c’est comme ça qu’on a enregistré cette chanson ensemble.

NH : Peut-on imaginer voir B.B. King à l’un de tes concerts?
JB : J’y ai déjà pensé, mais je ne sais pas du tout si cela se fera. Il est très occupé, tu sais, et à son âge, même s’il a encore une pêche incroyable, il ne peut pas donner suite à toutes les sollicitations.

FP : Et l’inverse, être un guest sur un de ses concerts?
JB : Ca oui, c’est sans doute plus réalisable. Et puis j’ai 53 ans de moins que lui, donc c’est plutôt à moi de me déplacer pour aller jouer avec lui et lui dire merci pour tout ce qu’il m’a apporté.

NH : Dis-moi, Joe, tu dois être fier d’avoir B.B. King sur ton album…
JB : Fier? Oui, bien sûr, et même plus que ça car pour moi, avoir enregistré avec B.B. King, c’est incroyable, presque un rêve. Mais cela te montre aussi quelle sorte d’homme il est, et toute cette générosité qu’il a en lui. (silence) Et c’est d’autant plus merveilleux pour moi qu’il n’avait aucune raison de m’aider en jouant sur mon album. Sa force, son charisme, cette relation extraordinaire qu’il a avec les musiciens et le public, c’est parce qu’il croit totalement dans le Blues et qu’il veut transmettre cette musique aux autres. Cela fait 60 ans qu’il joue et il a toujours voulu que les jeunes continuent à jouer le style de musique qu’il aime, pour que les jeunes qui jouent maintenant inspirent les nouvelles générations. C’est dans cet esprit que je veux avancer aussi dans la musique…, et dans la vie.

FP : Mais en jouant avec toi, il reconnait et accepte que tu joues un Blues différent du sien, un Blues en évolution, parce qu’il accepte que le Blues ne doit pas rester statique, même si certains le souhaiterait.
JB : Absolument…! C’est exactement cela. Tu as tout compris de cette relation que nous avons eue, B.B. King et moi. Et tu as vraiment compris qui est B.B. King. Tu sais, dans le blues comme dans d’autres musiques, il y a de soit disant ‘puristes’, des personnes qui refuseront toute évolution de la musique alors qu’eux, ils acceptent d’utiliser un téléphone sans fil, un ordinateur. Ils n’ont rien compris et restent bloqués à une époque révolue, se dressant en gardiens du Temple, et ce sont eux qui finissent par dégoûter les jeunes. C’est pour cela que moi, je continue à aller dans les écoles, pour jouer devant les gamins et leur montrer ce qu’est le Blues. Et que le Blues évolue, vit, comme eux, et qu’il évoluera avec eux. Et ça, vois-tu, les gamins le comprennent. Le pire, ce sont les puristes qui n’ont jamais été musiciens et qui disent que le Blues doit être joué comme ceci ou comme cela. Moi, je fais écouter aux jeunes mon style de Blues, je les encourage à jouer cette musique à leur façon et s’ils peuvent le faire mieux que moi, alors qu’ils le fassent (sourire).


NH : Est-ce qu’un jour tu proposeras un album totalement acoustique?
JB : Non, parce que je ne suis pas sûr que ce soit vraiment moi. J’aime bien jouer acoustique tous les jours, pendant une quinzaine de minutes, mais très vite, le côté électrique me manque. Je pourrais le faire, ce n’est pas un problème, mais ce n’est pas moi. Je suis un gars qui vibre totalement lorsque je joue électrique, tu vois. Je joue acoustique pendant le concert, parce que cela plaît au public et que j’aime aussi l’ambiance que cela crée entre moi et le public, mais faire tout un album comme ça, non, je ne pense pas, parce que la guitare acoustique n’est pas…(court silence) dans mon sang. Pour moi, dans mon sang, il n’y a que la Les Paul, et dans ma tête, j’ai toujours le son d’une Gibson.

FP : Ton manager est toujours très présent dans ta carrière.
JB : Absolument,…et je suis très heureux de le laisser faire et me dire ce qu’il veut, parce que c’est lui le producteur. Et puis, je ne peux pas tout faire. Si Kevin n’était pas là, je mourrais à cause du stress. Faut être lucide et le reconnaître: sans lui, je ne pourrais pas avoir la carrière que j’ai.

NH : Un journaliste anglais, après ton concert au Royal Albert Hall, a conclu son article par cette phrase: ‘Là où Joe Bonamassa est arrivé, il n’y a pas de retour possible en arrière’. Quel est l’avenir de la ‘star’ Joe Bonamassa?
JB : Tu sais, c’est vrai que je pourrais me dire qu’après avoir fait le Royal Albert Hall et avoir joué avec Clapton, j’y suis arrivé, et que maintenant je pourrais me permettre d’être ainsi… mais tu sais que j’ai une éthique de travail qui m’empêche de penser comme ça. C’est vrai que j’ai fait de grandes salles, l’année dernière, mais je me dois de continuer, de travailler encore pour faire encore mieux. Ce serait une énorme erreur de me reposer sur mes lauriers parce que j’ai eu une super année en 2009. Non, pas question, je dois toujours aller plus loin, faire toujours mieux. Et pour réussir cela, il me faut travailler et travailler encore.

FP : Et pour que celle que tu aimes soit fier de toi?
JB : (large sourire) Oui, bien sûr, car moi, je suis très fier de ce qu’elle fait.

 ITW de Joe Bonamassa  (Janvier 2009)

Après un double album live explosif qui faisait suite à deux superbes CD dans lesquels Joe Bonamassa avait quelque peu délaissé son côté virtuose de la six cordes pour plus de ‘feeling’, le ‘kid’ est déjà de retour, avec un album musclé et d’excellente facture, ‘The Ballad of John Henry’.

Inévitablement, et rien que pour cette première chanson qui donne également le titre à l’album, ‘The Ballad of John Henry’, il nous fallait absolument rencontrer Joe et en parler avec lui, John Henry étant non seulement un personnage, mais une légende, un symbole dans ce pays ayant élu son premier Président noir.
Qu’est-ce qui avait donc bien pu pousser Joe Bonamassa à écrire une chanson sur John Henry… ? C’est ce que nous sommes allés lui demander.
 
 
Préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer et Nathalie Harrap, le 22 janvier 2009, pour la présentation de son nouveau CD, ‘The Ballad of John Henry’
 
 
BM : Bonjour, Joe. Ainsi tu es revenu sur Paris pour faire la promo de ton prochain album. Tu vas le faire pendant combien de jours ?
JB : Deux, trois jours.
 
BM : Tu vas en avoir marre…
JB : (large sourire) Non, non,…. Ca ne me dérange pas.
 
BM : Ce que l’on te propose, c’est de faire une ITW un peu différente des précédentes. On ne va pas te poser des questions sur tes influences, les albums que tu préfères, etc., mais on aimerait se concentrer avec toi sur ce prochain album, ‘The Ballad of John Henry’.
JB : (large sourire) Super !
 
BM : Pourquoi as-tu choisi la légende de John Henry comme thème de chanson ? Comme tu le sais, il n’est pas connu en France, alors qu’aux USA où il est le symbole de l’anti-esclavagisme, l’anti-racisme, l’anti-capitalisme, et on aimerait savoir ce que tu as voulu exprimer au travers de cette légende de John Henry.
JB : En fait, ce que j’ai voulu exprimer à partir de cette légende c’est plutôt l’éthique du travail. Aujourd’hui, aux USA, et je ne sais pas si c’est la même chose ici en France, on fait n’importe quoi pour être célèbre à tout prix. Il n’y a plus cette valeur du travail, cette volonté d’être fier de ce que l’on fait, et une certaine intégrité,…et pour moi, John Henry c’est tout ça ! John Henry est le symbole du travail bien fait, cette volonté de faire quelque chose qui en vaut la peine, et pas simplement passer sur YouTube en faisant quelque chose de débile pour être célèbre trois minutes. C’est toute la différence entre être reconnu et célèbre, tu comprends ?
 
BM : Tout à fait.
JB : Ce que je veux dire, c’est qu’aujourd’hui il y a très peu de différence entre être célèbre en faisant quelque chose de bien et être célèbre juste pour être célèbre ! Et puis actuellement les gens veulent être riche à n’importe quel prix, et tout de suite ; ce n’est plus une question de réussite personnelle, de bien travailler pour ensuite gagner de l’argent. Il y a eu des changements de priorités, et les gens recherchent à tout prix la célébrité, qui est en fait quelque chose de très artificiel. Pour moi John Henry est une icône, il est une légende pour le peuple américain parce qu’il a travaillé dans des conditions très dures, et de toutes ses forces. Je crois vraiment que si l’on travaille bien, que l’on produit quelque chose de qualité et que l’on s’y donne totalement, les gens te respectent et réagissent en fonction de cela… Comme pour John Henry.
 
BM : John Henry est pour toi l’éthique du travail, c’est cela ?
JB : Tout à fait ! Et il est important actuellement que des gens soient reconnus pour leur travail plutôt que pour avoir réalisé des trucs stupides comme tu peux en voir sur internet, par exemple.
 
BM : Est-ce qu’un personnage comme John Henry t’a influencé dans ta conception de la valeur travail, et pour jouer ta musique ?
JB :
Oui, bien sûr ! Je reste persuadé que si tu travailles dur et que tu fais de ton mieux pour produire de la bonne musique, quelque chose de qualité, tu seras apprécié et les gens reconnaîtront ce que tu fais comme efforts pour produire un CD de qualité. Il faut toujours produire quelque chose dont tu peux être fier, quelque chose de bien fini, et qui va durer dans le temps. C’est cela que m’a appris John Henry.
 
BM : L’interprétation que tu nous donnes est assez différente de celle que pourrait faire quelqu’un qui suit littéralement les paroles de ta chanson.
JB : Peut être… Je ne sais pas… Tu sais, John Henry est américain, mais pour moi il aurait pu être d’une autre nationalité, il aurait pu être noir ou blanc, cela n’a aucune importance. Ce qui est important c’est l’icône, et ce que cette légende véhicule comme message. Et puis tu vois que ça change maintenant aux States, on a le premier président américain noir… (Joe gratte sur sa guitare les premières notes de la ballade de John Henry) Tu vois, ce qui est important dans cette chanson est cette volonté de réussir un travail bien fait. Pour moi, en tant que musicien, cela se traduit par exemple par la volonté de proposer des albums de qualité et qui ne seront pas déjà dépassés ou vieillots une année plus tard. Je veux être comme John Henry, pour que ce que je fais soit apprécié et reconnu. Je veux être reconnu et non pas célèbre. Etre célèbre ne m’intéresse pas.
 
BM : Cette reconnaissance, tu l’as également grâce à tout ce que tu fais dans les écoles. Tu peux nous en dire un peu plus ?
JB : En fait, c’est très simple. La question qu’il faut d’abord se poser – et que je me suis posée – c’est comment produire la prochaine génération de fans de blues. (JB feuillette deux magazines posés devant lui, dont le dernier Blues Magazine) Je vais prendre un exemple… Regardez. Dans ce magazine, qu’est-ce que je vois ? Des vieux, et encore des vieux. Il n’y a presque que des vieux. Où sont les jeunes musiciens ? Où sont les gosses qui font du blues et qui incitent les autres gosses à écouter du blues ? Je n’en vois pas…, ou presque pas (dit-il en regardant l’article consacré à Tim Lothar. Alors on peut attendre patiemment de regarder la prochaine vidéo de B.B. King sur MTV, et on attendra longtemps. Et puis comment faire pour que les gamins écoutent du blues ? Je ne sais pas si c’est comme ça en France, mais aux USA on ne passe pas de blues sur les grosses radios. Et un jour on m’a demandé de participer à ‘Blues in the School’, et j’ai accepté tout de suite, parce que cela va dans le sens de mes idées : faire découvrir le blues aux gosses. Par contre, contrairement à d’autres musiciens qui sont payés pour le faire, moi je me suis dit que si je le fais, je le fais pour rien. 

BM : Pourquoi ?
JB : Parce que beaucoup d’écoles n’ont déjà pas assez d’argent, et puis parce que je pense que c’est mon devoir de musicien de le faire. (silence) Je pense qu’en tant qu’artiste il me fallait donner du temps aux gosses, et pour rien.
 
BM : Et tu t’y prends comment, alors, avec ces gosses ?
JB : (sourire – Joe prend sa guitare et nous dit) Je ne voulais pas arriver dans les classes en chantant des vieux blues des années 20. Ca, tout le monde peut le faire et je ne pense pas que c’est ce qui va attirer des gamins qui écoutent actuellement d’autres musiques. Alors j’arrive avec ma guitare et je leur joue ça… (Joe commence par jouer plusieurs riffs de Led Zeppelin). Je dis ‘Salut les gosses !’, et puis je leur joue ça… (Joe joue plusieurs riffs de Jimi Hendrix), avant de leur dire ‘Salut tout le monde, je suis Joe Bonamassa, j’ai 31 ans et je voudrais savoir si vous connaissez Led Zeppelin ?’. Et tous les gosses me hurlent ‘Ouiii’. Je leur demande s’ils connaissent Jimi Hendrix, et ils me hurlent ‘Ouiiii’ à nouveau. ‘Alors vous savez ce qu’est le blues !’, et ils me regardent tous avec des yeux ébahis. Ils n’en reviennent pas. Je commence ensuite pas leur expliquer que les Stones et Clapton ont joué du blues, en leur jouant ça…. (Joe joue plusieurs riffs de Clapton, époque CREAM), et là, d’un seul coup, tu établis une véritable connexion avec les gamins et tu les amènes à aimer le blues car ils s’aperçoivent que ce qu’ils écoutent est déjà du blues. (Joe joue quelques riffs de Led Zeppelin à nouveau) Mon travail c’est de les amuser. Je suis un ‘entertainer’, et je les amuse pendant une heure. Et si je réussis à faire qu’après ma présentation, cinq gamins en sortant iront acheter un disque de B.B. King ou de SRV, ou l’un des miens (rires), alors j’aurais réussi à les intéresser au blues et à leur faire comprendre ce qu’est le blues. Et que le blues ce n’est pas qu’une musique de vieux ou des chansons comme… (Joe chantonne) ‘My baby loves me’…  Voilà l’image du blues que je ne veux pas que l’on donne aux gamins. Comment veux-tu qu’un jeune, en 2009, soit sensibilisé au blues par ça ?
 
BM : Tu ne crois pas que c’est peut être aussi le terme même de ‘musique blues’ qui transmet une image peu attractive du blues ?
JB : Oui et non, parce que les musiciens sont tous responsables de ce qu’est le blues, de ce qu’il a été et de ce qu’il sera. Et si chez de nombreuses personnes le blues a une image ringarde c’est aussi parce que des musiciens véhiculent une image ringarde. Regarde, Nathalie: rien n’est plus ringard que d’entendre dans un festival un chanteur qui ne fait qu’interpréter de vieux blues, sans rien apporter de neuf de lui-même. C’est ennuyant à mourir. Et à mon humble avis, sincèrement, on manque d’artistes qui ont de l’énergie, cette énergie nouvelle pour faire évoluer le blues.
 
BM : C’est peut être aussi une question de générations, non ?
JB : C’est vrai qu’en général les gosses ne veulent pas écouter ce que leurs parents écoutent. Ils ne veulent pas être comme eux… Par exemple, moi quand j’étais ado, j’aimais le blues parce que mes parents détestaient ça. Et pour que les gamins s’intéressent au blues, il faut un peu de rébellion, un peu de danger (sourire), et c’est ce que j’essaye de faire, parce que je m’inquiète vraiment pour l’avenir du blues si on n’arrive pas à faire venir des jeunes dans nos concerts. Il faut que les gosses viennent, sinon le blues ne pourra plus exister. Il faut une nouvelle génération… (dit Joe en jouant quelques notes sur sa guitare) C’est pour cela qu’il faut aller dans les écoles ! Comme je te le disais tout à l’heure, Francois, les artistes ont une grosse responsabilité.
 
BM : Mais les médias ont aussi leur part de responsabilité, non ?
JB : Non, je ne crois pas. Pour moi, c’est aux musiciens de produire de la musique qui vaut la peine d’être jouée sur les radios. C’est ce qu’avait réussi par exemple B.B. King. Et quand tu aimes ce que tu entends, tu ne te poses plus la question de savoir si c’est du blues ou pas du blues. Tu aimes, et c’est tout.
 
BM : C’est ce qui s’est passé avec Gary Moore.
JB :
Exactement !
 
BM : Que penses-tu d’internet ? Est-ce selon toi un danger pour les artistes ? Quel est selon toi, son impact sur le public ?
JB : Enorme ! Comme vous le savez, j’ai mon propre label, mais je ne serai pas très surpris si d’ici….cinq ou six ans on ne sortait plus du tout de CD.
 
BM : Tu le crois vraiment ? Pourtant on voit se développer des ventes de vinyls…
JB : Oui, il y a encore de très nombreux amateurs de vinyls. J’ai d’ailleurs proposé mon Live en vinyls, et dédicacés ! Je suis même allé jusqu’à rayer le nom de mon ex petite amie qui figurait encore dessus…(rire)
 
BM : Et que penses-tu des CD qui proposent quelque chose de qualité, avec un beau livret, un digipack, ou des bonus, comme une vidéo ?
JB : C’est incontestablement de la valeur ajoutée. Une vidéo, un morceau caché sont de très bonnes idées, mais le produit s’adapte aussi au public. Ceux qui écoutent avec un baladeur, ils se contenteront de la qualité du son compressé proposé sur internet, alors que d’autres, qui écoutent la musique en étant installés dans leur salon, veulent un enregistrement de qualité,….et c’est pour eux que j’ai sorti mon Live en vinyls, parce qu’il y a encore un public pour des enregistrements de qualité.
 
BM : Mais internet c’est aussi des sites sur lesquels tu trouves des vidéos…
JB : (nous coupant la parole) Moi, pendant mes concerts, je laisse le public prendre des photos, filmer en vidéo. Je les laisse faire ce qu’ils veulent. Pourquoi ? (NDLR : même pas le temps de la poser la question que déjà Joe se la pose et y répond) Parce qu’en général, après chaque concert, il y a immédiatement 4 ou 5 vidéos de moi qui passent sur YouTube, et comme tu le sais, il y a plein de gosses qui vont sur YouTube, et ce sont donc des jeunes qui écoutent du blues ! Et comme je vous le disais, ce que je veux c’est que des gosses viennent écouter du blues,… alors je pense qu’être filmé en concert et être vu sur YouTube est un excellent moyen de faire écouter du blues ! (Joe joue un riff rapide sur sa guitare et continue son explication) Et puis avant de payer 30 ou 40 dollars pour un concert, tu as des gens qui vont sur YouTube et qui écoutent ce que tu fais, et si ça leur plaît, alors ils viennent te voir en concert. Puis ils achèteront ton album, le feront écouter à des copains,…et ça continuera, encore et encore… Tout comme je découvre sur YouTube des gamins qui jouent du Bonamassa, et ça, vois-tu, c’est ce qu’il y a de mieux pour promouvoir le blues. Voilà ce qu’est internet, aussi !
 
BM : Et le piratage des albums, tu en penses quoi ?
JB : Si tu proposes quelque chose de bien fait, comme l’a montré John Henry, alors je ne pense pas que les amateurs de musique se contenteront d’une copie de mauvaise qualité. Ils iront acheter le CD ou un enregistrement numérique de qualité,…. parce que tu sais comme moi que le fait de copier a toujours existé.
 
BM : Ce que me disait Popa Chubby récemment… D’ailleurs Popa m’expliquait que pour éviter ce phénomène de copie, la responsabilité des musiciens est grande : il leur faut proposer des CD avec tous les titres de qualité et pas uniquement avec un ou deux bons titres et du remplissage…
JB :
Tout à fait ! C’est ce que je disais tout à l’heure : un travail bien fait et dont je peux être fier. C’est ce qui manque à d’autres, c’est sûr.

BM : Où en es-tu de ton projet d’album de World Blues ?
JB : J’ai toujours cette idée en tête mais je ne veux pas refaire ce que d’autres ont fait, comme par exemple aller au Mali et enregistrer avec un musicien malien. Ce que je veux faire doit être différent. Il faut tout d’abord de bonne chansons, puis concevoir une certaine interprétation musicale dans laquelle des instruments africains par exemple, comme le ‘rain stick’ (le bâton de pluie), peuvent s’incorporer tout naturellement… Ce que je veux c’est ajouter des instruments spécifiques, et c’est plus difficile que d’aller dans un pays étranger et d’enregistrer sur place. Ca, ce n’est pas mon truc.

 
BM : Pourrais-tu nous dire alors avec quel artiste tu aimerais jouer sur un prochain album ?
JB :
(sans hésiter, Joe répond) J’aimerais Ry Cooder, comme guitariste. Il est vraiment exceptionnel, et cela me ferait vraiment plaisir qu’il vienne jouer avec moi.

BM : Pourrais-tu nous dire quelques mots sur ton producteur, Kevin Shirley ? Il a eu un gros impact sur toi, sur ta vie en tant qu’artiste, mais est-ce aussi le cas dans ta vie personnelle ?
JB : (silence) Oui, il a eu une énorme influence sur moi, et très positive. Pour être franc, je ne serais pas ici sans lui. Par exemple, il m’a appris à articuler les mots qui étaient dans ma tête. Il m’a aussi appris que je devais être différent des autres, et que je ne devais pas m’excuser d’avoir du succès, que je n’avais pas à m’excuser parce que je vends des albums,…parce que dans le milieu du blues, le succès commercial n’est pas toujours bien accepté, comme tu le sais.
 
BM : Tu lui dois tant que ça ?
JB : Oui ! Quand il m’a rencontré, en 2005, je jouais devant 300 personnes, et en 2009, après 4 albums, je vais jouer au Royal Albert Hall, et c’est à guichets fermés. Cela doit faire au moins 4.000 personnes de plus pour un concert (rire). Quand je prépare un album, Kevin me dit toujours ‘Joe, fais ce que tu veux !’, et lui, il sent déjà comment sera l’album, juste en écoutant mes chansons. Vraiment, Kevin est quelqu’un d’extraordinaire. Il a une vision, et il me pousse constamment à me sortir de ce que je connais et de ce que j’ai déjà fait pour créer des choses différentes et ne jamais rester dans ma ‘zone de confort’ (rire).
 
BM : C’est lui qui a sélectionné la chanson sur John Henry pour devenir le titre de l’album ?
JB :
Kevin a adoré la chanson quand je lui ai envoyé la démo. Et c’est cette chanson qui a donné le ton de tout l’album.
BM : Sur lequel il y a aussi une superbe chanson d’amour.
JB :
‘Happier Times’. (sourire) En fait j’ai écrit cette chanson quand j’étais au plus bas (Joe prend sa guitare et joue le début de la chanson)… C’était à cause d’une fille que j’ai vraiment aimée, et puis un jour tout m’a lâché : mon ordinateur a crashé, mon blueberry ne marchait plus, je devais préparer des programmes de radio et cette fille dont j’étais fou qui me lâche… Tout à la fois ! (rire) Ce jour-là, j’ai écrit trois chansons : ‘Story of a Quarryman’, ‘Last Kiss’, et ‘Happier Times’,…en trois heures.
 
BM : Trois très belles chansons…
JB : Merci ! (sourire)
 

Crédits photos : © Joe Bonamassa.com

 
Frankie Bluesy Pfeiffer & Nathalie Harrap