ITW de Grigri Blue
Son disque, ‘Loup pour l’autre’, avait été très remarqué lors de sa sortie et noté ‘Coup de Cœur’ par la rédaction de Paris-Move. Que ce soit en anglais ou en français, Grigri Blue signait 15 titres bourrés la gueule de mots tendres, de cris d’amour ou de colère, comme dans la chanson ‘Loup pour l’autre’ qui débute par des paroles signées G.W. Bush.
Façon Dylan ou Joan Baez, Grigri se fait porte-voix des opprimés, des laissés pour compte, des trahis ou des décimés, comme dans cette superbe chanson, ‘Leavenworth Blues’, dédié aux indiens d’Amérique. Incontestablement un grand, un très grand album de Blues, signé par un grand, un très grand Loup solitaire.
P : Bonjour, Grigri.
GB : Bonjour à tous les auditeurs de Radio Canut.
P : Est-ce que tu veux bien revenir en quelques mots sur ta trajectoire musicale?
GB : Bien sûr. Je joue depuis une dizaine d'années maintenant sous le nom de Grigri Blue. J'ai commencé vers 16/17 ans à jouer de la guitare après que mon père m’ait dit qu'il fallait que je me trouve une activité. Lui étant guitariste-chanteur, ça a été vite vu… J'ai pris une de ses grattes et mon père m'a dit ‘J't'apprends pas, tu t’débrouilles…!’. Alors j'ai pris quelques cours et puis je me suis débrouillé tout seul. Ensuite, j'ai enchaîné avec les groupes de rock, de grunge, car on était en plein boom de Nirvana à l'époque,…je suis allé à Seattle, c'était impressionnant là-bas…, et puis très vite, le blues! En parallèle, la pratique de l'instrument m'a amené tout de suite à l'écriture, et à force d'écrire des textes, du poème, j'ai fini par faire de la chanson et depuis, je n'ai plus arrêté. Je continue à écrire, encore et encore. Voilà en quelques mots mon parcours.
P : D'où tiens-tu ce nom de ‘Grigri Blue’?
GB : Grigri Blue? Parce que c'est un truc qui me va bien, car j'ai un petit peu l'humeur gris-bleue, comme ça, tu vois… Je suis un déconneur mais en même temps, je ne rigole pas tout le temps, et si tu tombes sur moi au hasard d'une rue, ça peut être gris, ça peut être bleu ou bien les deux. Et puis le ‘gri-gri’, c'est par rapport à la petite magie que j'essaie d'expliquer aux gens, la petite magie de la vie qu'il faut entretenir au quotidien pour essayer d'être heureux et d'apporter du bonheur aux autres. C'est aussi un petit clin d'œil à un journaliste qui m'avait grillé là-dessus: c'est une chanson de Dr. John où il fait ‘Grigri John, John Grigri’, et comme je la fredonnais, ça a donné Grigri Blue et c'est resté. Les gens se sont mis à m'appeler Grigri.
P : Après le Grunge et le Rock, par quel processus en es-tu arrivé à chanter du blues?
GB : Le processus est assez simple. A l'époque, je jouais principalement de la guitare électrique et je chantais. J'ai rapidement monté des groupes de blues qui ont fait un petit tabac à Nantes et puis j'aimais tellement la musique acoustique, la guitare classique ou folk sans oublier le dobro et la guitare slide, qu'à un moment donné je me suis mis à tourner tout seul – en acoustique, guitare-chant – et à me dire qu'il fallait que je mette en avant les chansons. Après, des gens m'ont aidé, m'ont fait entrer en studio parce qu'ils croyaient en mon projet. Donc j'ai fait du studio, j'ai sorti quelques opus, et puis voilà…
P : Tu disais tout à l'heure qu'en te mettant à jouer, tu étais venu tout de suite au texte, alors que ce n’est pas forcément évident. Est-ce que tu écrivais déjà?
GB : Oui, c'est assez rigolo… Pour moi, le fait de jouer d'un instrument, ça a été l'occasion de me dire que j'avais là un nouveau support pour m'exprimer, alors tout de suite j'ai pris un crayon et du papier.
P : D'accord, parce que tu sais bien qu'il y a des gens qui se contentent de faire de la musique sans rentrer dans le ‘texte’, car c'est déjà bien assez difficile comme ça…! En plus, toi, comme si ça ne suffisait pas, tu écris en plusieurs langues! Mais on en reparlera tout à l'heure… D'où tires-tu ton inspiration, pour composer?
GB : De pleins de trucs…! De la musique Afro-américaine, bien sûr, car j'en écoute pas mal. Et puis aussi de rencontres, en écoutant John Lee Hooker, Leonard Cohen, Bob Dylan,… A 17 ans, Bob Dylan m'a secoué la tête, et en plus, je croyais qu'il était mort..! Mais il est bel et bien vivant, et je l'ai vu il y a quelques années, au Zénith de Paris. Bob Dylan fait partie de ces gens qui m'ont à la fois inspiré et d'une façon détournée, encouragé. Le fait de se retrouver tout seul sur scène, devant les gens, en formule ‘guitare-voix-harmonica’, c'est pas forcément simple…, mais apparemment, ça plaît.
P : Mais parfois tu t'entoures aussi d'autres musiciens…
GB : Toujours! C'est-à-dire que je fonctionne avec des ‘invités’. Que ce soit en studio, en projet de disque ou sur scène, ce ne sera jamais le même concert, ce ne sera jamais le même set, parce qu'il s'agit avant tout de rencontres humaines. Du coup, mes accompagnateurs sont chaque fois différents. Après, il y a des gens qui continuent à m'accompagner depuis des années, parce qu'on est devenu vraiment amis. Tu vois, quelqu'un comme Rudy Roberts, l'ancien guitariste de Starmania, hé bien c'est un honneur de jouer avec ce type-là, et actuellement, il m'accompagne toujours.
P : Tes textes traduisent de fortes préoccupations sociales. Pourquoi ne pas te contenter de chanter comme tout le monde l'amour perdu, le chemin de croix des bars ou l'indifférence de ton patron à ton égard? Voilà des sujets bien plus ‘classiques’ pour un bluesman, non?
GB : Justement! L'indifférence du patron, je l'ai pas mal chantée. L'amour perdu, j'arrête pas non plus de le chanter… Alors maintenant, les préoccupations sociales, oui, je les chante aussi, parce que je considère vraiment qu'on n'est pas là pour rigoler en tant qu'artistes en France, aujourd'hui. On n'est pas là pour faire de la soupe, on est là pour faire miroir et dire: ‘Voilà, moi je vous parle de moi, je vous parle de vous’. Comme tout le monde, j'ai été confronté à des situations de luttes sociales et d'autres choses très énervantes et si, à un moment donné, on peut être le témoin de notre époque et être cash avec les gens,…faut le faire. Tu vois, c'est une attitude que j'ai adoptée naturellement. Même si, aujourd'hui, j'ai un petit peu le pied sur le frein à ce sujet.
P : Tu as des chansons dans lesquelles cela transparaît quand même très fortement. Je pense à ‘Quel Blues M'a Piqué’ où tu parles de Big Boss ou de Big Brother… Tu te sens concerné par les caméras de vidéosurveillance et la société sécuritaire qui se met en place depuis quelques années?
GB : Énormément! J'ai même renoncé, à un moment donné, à avoir un portable sur moi. Je ne supporte pas l'idée de pouvoir être fiché. Et comme je te le disais, Nantes est une ville sympa, une ville très métissée, très Rock 'n Roll dans l'âme, mais on a une politique de métropole. Jusqu'à cet été on avait 50 caméras de vidéosurveillance en centre-ville, et aujourd'hui on en a 500…! J'ai même des amis techniciens, des spécialistes de l'installation électronique qui ont refusé des contrats pour monter les caméras, tellement cela les offusque. Donc, dans ‘Quel Blues M'a Piqué’, je me lève un matin avec la rage et j'ai envie de gueuler à tout le monde qu'il faut peut-être un petit peu se rebeller, parce que Big Boss et Big Brother, c'est une réalité aujourd'hui. Surtout Big Boss, en fait!
P : Big Boss, ou les Big Boss, apparaissent aussi dans G8 Blues…
GB : Oui… (silence) Oui.
P : C'est une chanson que tu as écrite après les événements de Gênes et la mort de Carlo Giuliani…
GB : Oui, et pour une raison très simple, car je me suis dit ce mec là est, hélas, martyr de notre génération…, et il faut parfois des martyrs pour que les gens cogitent. C'est le genre de chanson que tu écris vite fait sur la base d'un article que tu lis dans le journal, tu vois. Moi, à l'époque, j'avais le même âge que lui et je me suis dit que cela aurait pu être n'importe lequel d'entre nous… (silence) Pour moi, c'était un des pires sommets du G8, parce qu'ils se foutaient vraiment de la gueule des gens. Ce qui m'énerve, c'est qu'à l'époque où je chantais cette chanson, bien avant que l'album ‘Loup pour l'autre’ ne sorte, les gens ne réagissaient pas tout de suite alors que quand je la joue aujourd'hui, ils font de grands hourras et tapent des mains et des pieds. Ce qui me fait chier, c'est que j'ai l'impression qu'ils réagissent tardivement. Et ça, quelque part, c'est très français…!
P : Justement, arrives-tu à sortir de nos frontières pour aller jouer dans d'autres pays francophones, déjà?
GB : Pas du tout…! Pas du tout, non, non… Je devais aller dans un pays non francophone, dans la réserve indienne de Pine Ridge, très exactement, pour y faire des échanges avec les Amérindiens autour de la musique, du blues et des luttes sociales, tu t'en doutes, mais cela n'a pas pu se faire car mon fils est né au même moment.
P : Dans ces conditions, on comprend bien que tu aies dû remettre ça à plus tard, mais restons quand même dans le sujet, si tu le veux bien, parce que dans l'album ‘Loup pour l’autre’ il y a cette chanson ‘Leavenworth Blues’ dans laquelle, si je ne me trompe pas, il est question de Léonard Peltier (1)?
GB : Il s'agit effectivement de Léonard Peltier. ‘Leavenworth’ est le pire pénitencier des Etats-Unis et les Amérindiens sont nombreux à être enfermés là-dedans. L'histoire de Léonard Peltier est simple: des années de résistance au sein de l'AIM, l’American Indian Movement, et tout comme Mumia Abu Jamal, des Black Panthers, il a été incarcéré parce qu'on n'arrivait pas à le descendre (2). A travers cette chanson, j'essaie de résumer toute son histoire, à savoir qu'il a pris 200 ans de prison pour un crime qu'il n'a pas commis. Il me tenait à cœur d'écrire cette chanson là, suite à la lecture de son livre ‘Ecrits de Prison’(3). C'est un monument, une montagne de vie, ce truc là, et c'est vachement optimiste, en fait…! C'est la lutte d'un mec, bien sûr, mais c'est aussi la lutte séculaire d'un peuple, et c'est bourré d'optimisme…! Ce mec là, c'est un peu le Nelson Mandela des Amérindiens.
P : Tu te sens proche des Amérindiens?
GB : Oui, car ceux que j'ai rencontrés m'ont vachement bien accepté, en tant que français. Bizarrement, en tant que français, c'est assez facile d'être accepté des Amérindiens…, surtout des Sioux. Alors oui, je me sens proche d'eux. Et puis une anecdote encore concernant mon père – je vais vous parler de mon père pendant toute l'interview (sourire) – car mon daron, tu vois, le genre de mec, ouvrier, qui lit jamais, quoi…, et qui me dit ‘Tiens, prends ces bouquins là, ils sont intéressants!’. Et c'était des bouquins sur la vie des Amérindiens. C’est dingue, non?
P : Ce sont donc ces bouquins qui t'ont ‘perverti’? Parce que non seulement tu chantes en français et en anglais, mais en plus tu chantes en indien. Tu es fou, ou quoi…?
GB : (sourire) Je sais pas… Un jour, un type à qui j'avais rendu service m'a offert pour me remercier un dictionnaire franco-lakota. J'avais quelques petites bases de cette langue sioux, originelle,… Et tiens, c'est marrant, ce mec là, c'est mon manager, aujourd'hui…! Ce qui est cocasse, c'est que quelques années plus tard, j'ai appelé l'auteur de ce bouquin, pour essayer d’avoir un peu plus d'éléments, et il se trouve que c'est Slim Batteux. C'est un type formidable, super gentil, que j’ai eu au téléphone plusieurs fois. Il vient d’ailleurs de sortir un autre bouquin, encore un dictionnaire franco-lakota, mais avec des CD en plus, pour pouvoir mieux travailler. Tu sais, cette langue est une langue superbe, même si je ne la pratique pas au quotidien…
P : En tout cas, tu la chantes! Je pense à ‘Iwanyaka’…
GB : Iwanyaka, ce n’est pas moi qui l'ai écrite. Il s'agit d'un vieux, vieux texte que j'ai retrouvé dans des livres. C'est un vieux texte de femmes. Un truc que chantaient les femmes entre elles et ça dit à peu près ça: ‘Va t'en, mon mari, je ne t'aime plus, va dire à mon amant que je veux vivre avec lui…’. Tu vois un peu le caractère des femmes sioux.
P : Pourquoi cette timidité face aux initiatives nationales ou internationales qui pourraient donner un écho plus large à ton talent?
GB : J'ai essayé… On a eu beaucoup de chroniques, surtout pour la sortie de ‘Loup pour l’autre’. Dans Blues Magazine, le chroniqueur disait même que Grigri Blue était peut-être le leader d'un certain blues français, le ‘chef de meute’, comme il disait. On a eu de sacrées éloges, cela dit, mais on n'a pas eu plus de programmations. Et je vais te dire une chose, même si ce n’est du tout une critique ou un jugement de valeur, c’est que l’on rencontre quand même encore pas mal d'oppositions à ce que je monte sur scène sur de gros festivals et que je chante du blues en français et avec des textes engagés. J'ai l'impression qu'il y a encore une génération, et je pèse mes mots, une génération de programmateurs qui s'assoient un peu sur du blues micro-ondes, réchauffé, qui sonne terrible en ‘live’ mais qui, à un moment donné, n’a pas la pertinence du blues en tant que style musical et de lutte sociale, justement. Du blues qui a envie d'ouvrir sa gueule, de dire ‘je’ au nom des autres. Il ne faut surtout pas qu'on perde de vue le sens profond du blues. Ceci dit, je ne vais pas te dire que j'en pâtis car aujourd'hui je gagne ma vie. Je suis intermittent du spectacle parce que ce qui compte, à un moment donné, c'est de bouffer. Si on ne me prend pas pour telle ou telle raison, ce n’est pas grave, je joue ailleurs.
P : Et les Tremplins?
GB : J'en ai déjà fait. J'ai eu le 2ème prix de Jazz à Vannes, il y a 3 ans, mais je n’ai pas le temps ni l'argent d'aller faire des tremplins gratuits. Tu vois ce que je veux dire? Excuse-moi d'être aussi pragmatique, mais vaut mieux dire les choses telles qu’elles sont.
P : C'est clair, il faut que cela se sache.
GB : C'est une réalité. Faut bouffer, quoi…!
P : Bien sûr, tu as raison, et on est tous logés à la même enseigne. Du coup, tu te tournes aussi vers les spectacles pour enfants. Entre nous, au lieu de les laisser jouer aux jeux vidéo ou regarder la télé, t'as pas un peu l'impression de perdre ton temps à les emmerder avec du blues?
GB : (rires) Mais c'est pas du tout du temps de perdu, et ça marche terrible…! C'est un spectacle qui s'appelle ‘Léo découvre le blues…’, qui a été raconté par Bohringer sur un CD chez Harmonia Mundi. L'histoire est vraiment sympa. C'est Christine Mulard et Jean-Jacques Milteau qui l'ont co-écrite. J'avais donc envoyé un mail à Jean-Jacques Milteau en lui demandant s'ils voulaient bien que je monte ‘Léo découvre le blues…’ en spectacle et comment on pourrait s'arranger pour les droits d'auteur, et tout ça. Sans même savoir qui j'étais, Jean-Jacques m'a répondu le soir même ‘Vas-y, fonce, ça n'a jamais été fait…!’. A partir de là, j'ai repiqué tout le texte, j'ai créé les musiques et les chansons, et j'ai peaufiné la mise en scène avec la compagnie Adzel de Nantes, qui a mis son théâtre à ma disposition. Ce sont ces gens de la compagnie Adzel qui ont fait les marionnettes avec lesquelles je me retrouve sur scène avec mes guitares, mes harmonicas et les jeux de lumière. Je raconte donc l'histoire du blues à un public de…8 à 88 ans.
P : C'est super, et en plus, le texte est très chouette! Tu tournes pas mal avec ce spectacle?
GB : Ouais, ça tourne énormément parce que c'est un conte musical avec marionnettes. C'est assez ‘complet’ si on peut dire. On se déplace sur toutes sortes de manifestations, des petites salles aux festivals. J'interviens aussi pour des conférences ou des ateliers avec les jeunes, en collèges notamment, mais aussi dans les centres sociaux-culturels. C'est également une autre manière de rencontrer les jeunes et c'est super de pouvoir leur expliquer d'où vient le blues, pourquoi et comment cette musique est née et leur expliquer que s’il n'y avait pas eu cette bombe atomique musicale, il n'y aurait pas eu le rock 'n roll, le jazz et le hip-hop, aujourd'hui. Pour moi, l'intention est là: leur ouvrir les idées là-dessus.
P : Bravo Grigri! Je trouve que c'est vraiment une chouette initiative et je t'encourage vraiment à continuer, et ceux qui t’aident aussi, parce que j'imagine que tu n'es pas seul, avec ces marionnettes…
GB : Si, si… Je suis tout seul sur scène. Ce ne sont pas des marionnettes où on se cache derrière, à part une qui fait ma taille. Ce sont des marionnettes que l'on dit ‘à vue’, c'est-à-dire que je suis à côté d’elles. Je manipule et je fais parler la marionnette et à un moment donné, on ne me voit plus, alors que je suis toujours là… Humainement, c'est vraiment une super expérience que de pouvoir s'effacer, être humble et invisible alors qu'on est sur scène! Du coup, les gens ne sont captés que par la marionnette.
P : As-tu conscience qu'il n'y a pas beaucoup de compositeurs comme toi, en France, qui redonnent cet aspect social au blues, qui n'hésitent pas à chanter dans plusieurs langues et qui s'investissent dans des projets culturels comme ce spectacle de marionnettes avec tout le contexte d'injustices que tu dénonces…
GB : Tu sais, j’ai beaucoup fréquenté la rue, j'ai travaillé en usine, j'ai fait plein de métiers d'ouvriers et aujourd'hui je suis super content de gagner ma vie en faisant des spectacles. Et dans mon spectacle pour enfants, je n'oublie jamais de dire deux trucs: la première, c'est ‘L'humour, jusque dans la poisse, ça sert dans la vie’, et la deuxième chose que je leur dis, c'est ‘Essayez de ne jamais être l'esclave de qui que ce soit ou de quoi que ce soit’. Dans la mesure où j'ai placé ces deux phrases là avant de sortir de scène, j'estime que mon rôle est joué.
P : Pourrais-tu nous parler maintenant un peu de cette Ligérie d'où tu viens?
GB : Hé bien, ma Ligérie, c'est un pays imaginaire. Nous, on habite au bord de la Loire, le dernier fleuve sauvage de France, qui nous façonne le paysage et nous donne des bouts d'endroits magnifiques. C'est un petit peu mon Mississippi à moi. Et puis en tant que français jouant du blues, j'avais envie de situer un petit peu mon identité. Alors je me suis nommé ligérien, car c'est le terme qu'on utilise pour les gens qui vivent autour de la Loire, les ligériens et les ligériennes, et j'ai inventé la Ligérie. La Ligérie, c’est quoi, aujourd'hui? A la fois des zones marécageuses et des zones plus industrielles, car il y avait des zones industrielles vraiment monumentales, avec les chantiers navals et tout ça, zones qui ont été en grande partie rasées pour laisser la place à d'énormes complexes de loisirs nocturnes. Si je parlais de métropole tout à l'heure, c'est parce que je suis assez déçu qu'ils soient venus piétiner ma Ligérie poétique avec leurs discothèques. Mais je te rassure, ma Ligérie se porte bien…
P : Tant mieux, car ce que tu dis, en plus d'être très poétique, ouvre des perspectives. Comme si tout ce que tu fais ne suffisait pas, en plus, tu écris de la poésie!
GB : Oui (rires)…! Comme je te le disais tout à l'heure, j'écris de la poésie depuis que j'ai commencé à faire de la musique. Et depuis, je sors un ou deux recueils par an et d'ici un mois, on sort deux recueils de poèmes qui s'appellent ‘Hors Chansons’ et qui seront en vente via Internet.
P : Pourquoi ce titre, ‘Hors chansons’?
GB : Pour présenter quelque chose qui n'est pas de la chanson. Ce sont tous les textes qui n'ont jamais été chantés, qui sont surtout de la poésie à lire à voix haute. Parce que c'est le but de la poésie, qu'elle soit lue, à voix haute… Pour sortir ces deux volumes, j'ai relu dix ans d'écriture et ça fait super bizarre de se relire comme ça, mais c'est encore un truc de plus à assumer à la fois personnellement et à la fois sur le plan social, comme on en parlait tout à l'heure.
P : On pourra donc se procurer ces deux volumes sur ton site, c’est ça?
GB : Tout à fait. Il faudra se connecter au site et les gens pourront commander les tee-shirts, les tasses à café, les recueils de poèmes,…et en plus, c'est pas cher! On n'est pas là pour piquer du fric au gens, on est là pour qu'ils se fassent plaisir et c’est tout.
P : Une dernière question, Grigri Blue, car dans l'album ‘Loup pour l’autre’, la dernière chanson est une très jolie balade qui s'intitule ‘Léo’s ballad’. Qui est ce Léo?
GB : C'est mon fils, mon petit garçon de quatre ans. Ils m'avaient dit à la clinique qu'on pouvait venir avec de la musique mais je suis arrivé le soir de l'accouchement avec un bras en moins et une jambe dans le sac, avec la béquille et tout, parce que j'avais fait une chute juste avant… Par contre, j'avais le CD avec moi car j'avais déjà enregistré cette chanson là pour l'accouchement. Et mon fils est né sur ce morceau. Mais son prénom complet, c’est Léonard, pas Léo.
P : Grigri, je dois t’avouer que je suis très heureux de t'avoir eu au téléphone et d'avoir pu en faire profiter tout le monde. Veux-tu ajouter quelque chose?
GB : Oui, oui, faut rappeler que ‘L'humour, jusque dans la poisse, c'est important’, faut pas oublier que le blues et une bonne partie de la folk-music, faire ce qu'ont fait des gens comme Edith Piaf, parler de nous, parler de la rue, parler des vrais gens, parler des vraies difficultés, sociales ou autres, et que chanter tout ça ce n’est pas faire de la variété et de la FM,…même si la FM c'est bien aussi, pour percer. Et au revoir à tous les auditeurs de ‘Blues des Canuts’!
(1) Leonard Peltier est un Indien Lakota-Anishinabe incarcéré depuis 30 ans sur la base d’accusations douteuses et aujourd'hui retenu au pénitencier fédéral de Leavenworth (Kansas).
(2) Pour plus d'infos sur le sujet: http://fr.wikipedia.org/wiki/COINTELPRO
(3) ‘Ecrits de Prison’, de Léonard Peltier et édité chez Albin Michel.
Interview radio réalisée pendant l’émission ‘Blues des Canuts’, sur Radio Canut, le 5 novembre 2008, par Pascal.
L'émission ‘Blues des Canuts’ se déroule tous les mercredis, de 15h à 16 h, sur le 102.2 de Radio Canut (Lyon et sa région) mais vous pouvez l'écouter en direct, sur le net, où que vous soyez dans le monde via le site de Radio Canut: http://radio.canut.free.fr/ ou bien en cliquant tout simplement ici…
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