ITW de Ana Popovic au Nancy Jazz Pulsations

ITW de Ana Popovic au Nancy Jazz Pulsations
 
Préparée et réalisée par Dominique Boulay – Paris-Move & Blues Magazine
Photos: © Sylvie Cornu-Boulay
 
 
C’est à l’occasion de la soirée blues du Nancy Jazz Pulsations 2009 que j’ai rencontré Ana Popovic pour une ITW. L’entretien s’est déroulé pendant qu’un peu plus loin, Mick Taylor et ses musiciens emmenaient les deux mille spectateurs sur des sentiers tout de bleu parés.

 
BM : Pourquoi chantes-tu le blues, puisque tu as tout ce dont peut rêver n’importe quelle femme au monde? Tu es une femme superbe, une chanteuse à la voix extraordinaire, une guitariste talentueuse et la maman comblée d’un petit garçon super!!
Ana Popovic : Mais tu sais, j’ai grandi avec le blues. Et pour moi, le blues a toujours été une musique très populaire. Avant que je ne comprenne les paroles des chansons, je chantais déjà le blues! Pour moi, cela a toujours été une musique très vivante et j’en ai une approche très positive. Contrairement à ce que l’on peut imaginer, les artistes de blues écrivent, eux aussi, des choses amusantes. Tout n’est pas négatif dans cette musique. Si tu écoutes les chansons de T.Bone Walker ou Buddy Guy, elles ont des paroles amusantes. Ces chansons ont même des messages très positifs. En fait, ma musique est basée et inspirée du blues, mais elle est aussi très moderne. Je peux écrire ce que je veux. C’est avant tout du Ana Popovic.
 
BM : Est-ce que ton père est fier de toi, lui qui possède une collection impressionnante de disques vinyles, et qui a joué lui-même ?
AP : Oui et je pense que c’est un soutien important ! Et en plus, il aime ce que je fais.
 
BM : Demeure t’il toujours à Belgrade?
AP : Oui, c’est là qu’il réside, mais il m’accompagne souvent en tournée. Il est venu plusieurs fois en tournée avec moi aux Etats-Unis. C’est un peu mon ‘porteur de guitares’. Il adore les Etats-Unis et mes parents étaient, tous les deux, mes invités sur le Blues Tour. D’ailleurs au cours de cette tournée mon père a jammé avec Susan Tedeschi, Debbie Davis, Bob Margolin, moi-même et beaucoup d’autres musiciens. C’était une croisière formidable.
 
BM : Quelles autres blueswomen connais-tu donc?
AP : J’en connais plein! Ayant grandi en écoutant les bluesmen américains, il était inévitable que j’écoute aussi Koko Taylor ou Etta James, et bien d’autres. C’est vrai que la plupart sont des hommes: Howling Wolf, Albert Collins, Elmore James et Bukka White, Albert Collins et Albert King. Stevie Ray Vaughan et Ronnie Earl sont mes influences. C’est vrai que la majorité des musiciens est constituée d’hommes. Quand j’avais treize ans, j’essayais de jouer comme Howling Wolf, par exemple. Faut bien reconnaître que dans le monde du blues il n’y a beaucoup d’hommes et que les femmes sont minoritaires.
 
BM : On peut dire qu’il ya deux chapitres dans ta carrière. Le premier est européen et le second plus américain, n’est-ce pas?
AP : Oui, c’est exact. J’ai tout d’abord beaucoup joué en Europe mais maintenant que je suis sous un label américain, j’entame réellement un second parcours. J’ai commencé sur le marché américain il y a sept ans et tout le monde me disait à l’époque que je faisais une grosse erreur et qu’il fallait que je reste ici, en Europe. Soi-disant parce qu’il y avait trop d’artistes de l’autre côté! Mais il se trouve que j’adore relever des défis et que j’adore me trouver là où les choses se passent et j’ai continué à être persuadée que j’y arriverais. Et je dois avouer que cela a été très difficile au début de se faire une place là-bas. J’avais du mal à m’imposer auprès des producteurs et des musiciens. C’était vraiment difficile de commencer des tournées. Eux, ils ont la logistique qui est prête, mais toi, quand tu arrives, tu n’as rien. Tu dois tout faire par toi-même. Et le fait d’être une femme n’arrange pas les choses, et ne les facilite pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Cela a vraiment été difficile, mais j’ai persisté. De plus, les agences européennes ne me suivaient pas, parce qu’elles étaient persuadées que c’était plus lucratif pour moi de rester en Europe. Elles allaient même jusqu’à me dire que les spectacles étaient de meilleure qualité ici. Mais comme je suis une femme têtue, cela a fini par payer. Ca a été vraiment un immense défi pour moi, mais maintenant je suis reconnue par le public, et il me respecte beaucoup. Ce qui fait que maintenant cela marche bien pour moi des deux côtés de l’océan. Et avec deux disques sous un label américain, je pense très sincèrement que j’ai réussi quelque chose de pas mal sur ce marché américain.
 
BM : C’est vrai que lorsque j’ai l’occasion de feuilleter Living Blues ou Blues Revue, je vois souvent de la pub te concernant ou des commentaires qui évoquent tes tournées, ou tes albums. Tes agents font bien leur boulot. Je me rappelle de toi dans le cadre de Blues en Val d’Oise, il ya quelques années. A l’époque, pour toi, ce n’était pas la même dimension…
AP : Oui, c’est vrai, mais grâce aux CD enregistrés, à Internet, aussi, tu n’as plus besoin d’être née aux Etats-Unis pour faire une carrière américaine. Je peux aussi jouer en France, car il y a de grands musiciens ici, puis retourner aux Etats unis pout y faire des tournées. 
 
BM : As-tu joué avec de grands musiciens français?
AP : Oui, j’ai par exemple joué avec Paul Personne,…et quelques autres, mais pas tant que cela, finalement.
 
BM : Et en Allemagne, là où se trouve ta précédente maison de disques, Ruf Records, jouais-tu avec des musiciens locaux?
AP : La plupart du temps, je travaillais et je ‘jammais’ avec des musiciens américains. Ronnie Earl, par exemple, est venu lors de l’un de mes spectacles, Buddy Guy, également, et Bernard Allison.
 
BM : Quels sont tes projets immédiats?
AP : Je fais, en simultané, deux tournées en une. A la fois une tournée européenne et une autre américaine. Et l’on fait de nombreux allers et retours entre ici et là-bas: Europe-Canada, Europe-Etats-Unis. Je vais être en octobre sur le vieux continent, et en novembre sur le nouveau. En décembre je vais faire quelques dates en France et je vais également jouer à Calgary au Canada. C’est tout le temps comme cela, et je n’aime pas manquer une occasion de jouer quelque part. Je suis comme ça, j’adore être sur scène. Du coup, je suis beaucoup en avion, mais cela en vaut la peine. Certains demeurent assis derrière un bureau, moi, c’est dans les avions que je suis assise. Je suis payée pour être assise dans un bus, dans un avion et  pour jouer. Reconnais que c’est quand même génial, non…?!!! Mais j’aime également rester à la maison, tu sais, car j’ai besoin de ces moments-là. Pour recharger mes batteries et retrouver mon énergie, je me relaxe en étant chez moi. Pas mal de musiciens ne s’éclatent que lorsqu’ils sont en tournée, dans les bus, les avions ou les hôtels, et ils oublient un peu qu’il y a d’autres choses aussi belles que la musique, dans la vie. Comme être avec les siens, sa famille, ses amis. Moi, en ce qui me concerne, j’adore cela.
 
BM : Où résides-tu le plus souvent?
AP : Je réside à Amsterdam. Je ne vis pas du tout aux Etats-Unis. Je n’y vais que pour le travail.
 
BM : Ton fils est donc en permanence à Amsterdam. Est-ce que tu as le temps de t’en occuper?
AP : Bien-sûr, tout le temps. Je l’ai emmené en tournée alors qu’il n’avait que cinq semaines. Mais maintenant qu’il est plus grand, il ne me suit plus qu’en été. Ce mois d’octobre, par exemple, je n’ai joué que les week-ends. Mon fils était donc à la maison avec son père pendant les WE, et toute la semaine j’étais avec lui. Etre musicienne, artiste, c’est vraiment bien parce que tu peux passer beaucoup de temps avec ton enfant. Et quand tu joues le soir, tu as eu le temps de le coucher avant de partir et après avoir joué toute la journée avec lui. C’est génial, ça, tu vois. Les artistes féminines qui pensent qu’être mère va briser leur carrière se trompent. Ce n’est pas du tout cela.
 
BM : Au début de ton show, j’ai pensé à Tina Turner…
AP : Si tu penses au côté énergique, je suis d’accord avec toi. Mais je n’ai pas sa voix. Et je ne veux imiter personne. Si c’est pour le côté tonique de la prestation, ok, je suis d’accord, et cette comparaison me flatte. Quand on me compare à Tina Turner ou bien à Jimi Hendrix à propos de l’énergie que je déploie, c’est que j’ai réussi. Et là, je dois avouer que je suis contente de moi.
 
BM : Quelle conception du rôle de la femme as-tu? Parce que ton jeu de scène est très sensuel, et ta tenue très féminine!
AP : Je ne prétends absolument pas donner des leçons ou être un exemple, mais je trouve que cela devrait inspirer un certain nombre de femmes. Tu peux être féminine et jouer de la guitare. Pour faire cela, tu dois être la meilleure possible en guitare et après, tu peux faire, ou te permettre de faire ce que tu veux, et comme tu le ressens. Et moi, je m’habille comme j’en ais envie, comme je le sens,… mais, attention, pas pour en jouer! Je suis une guitariste, premièrement, mais aussi une femme, un point, c’est tout. (rires)
 
AP : Tu penses quoi de mon dernier album?
 
BM : J’allais y venir… Je le trouve très bon! Et à ce propos, je ne peux qu’envier la personne à qui tu adresses tes superbes chansons d’amour. Cet homme-là, il a de la chance! Mais à ce propos, sont-elles destinées à un homme ou bien à ton fils?
 
AP : Il y en a pour tout le monde, mais je ne parle pas seulement d’histoires me concernant. Cela m’a également été inspiré par des expériences arrivées à des amis. Il y a, certes, une chanson pour mon mec, Blues for M, et une qui, effectivement, concerne plus particulièrement mon fils, Part of Me. Mais il y a aussi des textes qui concernent des gens qui ont envie ou besoin de se sentir proche des autres. Et il n’y a pas non plus que des chansons qui concernent des choses personnelles. J’écris aussi pour les gens qui viennent m’écouter. Chaque chanson est une histoire différente. Elles parlent de tout et de rien, de tout le monde, en fait. Si je parle beaucoup d’amour c’est parce que je pense vraiment que l’amour est la chose la plus importante sur terre et dans la vie. Que tu sois riche ou pauvre, que tu possèdes une belle maison ou pas, une grosse voiture ou non, que tu sois un guitariste doué ou pas, que tu aies du talent ou pas. S’il n’y a pas d’amour dans ta vie, il est impossible que tu sois heureux. Ce que je veux dire, Dominique, c’est que je ne parle pas d’amour ‘à la John Lennon’, mais plutôt de l’amour familial, fraternel, ce sentiment qui fait que tu ressens que des êtres ont besoin de toi. Et que tu peux rendre heureux comme ils te rendent heureux. Ce n’est pas en travaillant douze heures par jour pour obtenir une plus belle voiture, une plus grande maison, que tu vas être plus heureux. Ce qui est important, c’est qu’il y ait des personnes qui t’attendent à la maison. Voilà, c’est de toutes ces choses-là que parle mon nouvel album, de cet amour que l’on peut trouver et donner. Mais le problème, pour pas mal de gens, c’est qu’ils sont trop occupés à faire de l’argent et qu’ils oublient de regarder autour d’eux.
 
BM : Le contenu du CD est différent du contenu du concert. Il y aurait donc peu de place pour des ballades, sur scène?
AP : Non, la question n’est pas là. En fait, cela dépend vraiment de l’ambiance, et du timing. Si tu ne disposes que d’une heure pour jouer, c’est impossible! Mais dans les endroits où l’on enchaîne deux sets, alors là, oui, c’est possible, et dans ces cas je peux alterner morceaux rapides et morceaux plus lents.
 
BM : Si je peux me permettre de revenir sur ton nouvel album, je voudrais te dire qu’on le trouve excellent, et que c’est une vraie surprise.
AP : Merci. Tu sais, j’aime surprendre les gens et me surprendre moi-même. Je ne sais d’ailleurs pas de quoi sera fait mon prochain album (rires). Ce qui est certain, c’est qu’il sera différent. Chaque album a son propre style. Je n’aime pas faire toujours la même chose. Et même si le disque précédent a bien marché, ce n’est pas pour cela que je vais répéter la même chose indéfiniment. J’aime le changement, le mouvement!